DUO IMPRESSIONNISTE
Katel Boisneau, harpe
celtique ; Matthieu Tomi, basse six cordes
Marseille, Roll'Studio
14 septembre
Impressionnant,
sans vouloir impressionner, sans expressionnisme racoleur, par sa virtuosité souriante,
son aisance acrobatique des doigts, ce duo de cordes pincées, jamais pincé ni
guindé dans sa directe familiarité et proximité dans le nid rocailleux mais
douillet du Roll'Studio.
Le Panier
Car c’est aussi cela Marseille, en
dehors des grandes institutions musicales : presque secrets mais connus
d’initiés amoureux, des lieux discrets mais généreusement accueillants aux
musiciens, chanteurs, artistes, leur offrant un lieu, une scène, un public pour
s’y produire.
Ici, c’est dans le plein cœur, à tout cœur, du
vieux Marseille, il faudrait dire Massalia, même Phocée, l’antique cité sur la
colline du Panier où les Grecs posèrent la première pierre de la ville la plus
ancienne de France, que les Romains agrandirent, embellirent, fortifièrent, où
la Place des Moulins médiévale annonçait déjà l’avenir de ce qui devaient être
les puissantes minoteries du XXe siècle, broyant blé, arachide,
coprah, pour les fameuses fabriques de pâtes, biscuits célèbres, huileries,
savonneries fameuses, qui fleuraient bon un air non pollué, disparues
aujourd’hui avec la désindustrialisation. Le Panier, pas à pas, signe à signe,
dans ses ruelles ponctuées de petits ateliers d’artistes, que redécouvrent les
touristes, on suit des traces de cet immémorial passé d’où se construisit la
puissance d’une ville commerciale aux ambitions de cité république
méditerranéenne, qui contraignit tous les souverains de France à signer des
Capitulations respectant ses droits, jusqu’au jour fatal où Louis XIV, pour châtier
la rebelle, y pénétra non par la porte monumentale mais, en conquérant, par une
brèche faite symboliquement exprès dans sa muraille, en bas du Panier, où se
trouve le Mucem, faisant pointer tous les canons des forteresses des hauteurs,
non vers l’extérieur défensif, mais sur l’indomptable ville elle-même.
Roll'Studio
Ancien portail dont les deux lourds
battants de bois sont adoucis d’un bleu lavande sur une porte dont les ferronneries
végétalisées sont plus festives que défensives. Petit couloir, petit comptoir
de bar, quelques petites marches, un creux, une cave, un caveau en voûte en opus incertum, héritage romain, ces
pierres, ces moellons gris presque moelleusement sertis au hasard, comme des grumeaux,
dans un mortier presque jaune d’œuf : oui, un nid, avec cet étrange oiseau
doré posé sur un pied, la harpe, déployant une aile immobile striée de l’or
aérien de ses cordes. En face, aile sagement repliée d’un envol retenu, un
piano ; entre les deux, alanguies sur une chaise, les courbes rebondies,
voluptueusement féminines, de la guitare basse et une autre, semblant traîner comme
par hasard, telle une odalisque orientale, à même le tapis du sol. Un canapé,
des banquettes, des chaises pour les spectateurs.
Ce lieu modeste au creux de cette étroite
rue des Muettes affiche pourtant de larges ambitions parlantes, éloquentes :
c’est une école de musique. L'association Loi 1901 qui la gère dispense aux
enfants et aux adultes, prioritairement du quartier, une initiation et un
enseignement musical orientés vers la musique classique, baroque et lyrique, sans
oublier le jazz et ses improvisations, avec finalement, comme exercices
pratiques exemplaires, ces concerts du samedi sur la scène, ouverte à des musiciens,
généralement régionaux avec lesquels on peut amicalement discuter ensuite
autour d’un verre et d’une portion de pizza. La musique, de tous, à portée de
tous.
Duo impressionniste
On ne demandera pas, aux duettistes,
le pourquoi de ce nom, puisqu’ils se refusent d’expliciter quoi que ce soit de
leur musique, composée presque toujours à deux, qui, il est vrai, parle
toujours d’elle-même sans besoin de discours (surtout rue des Muettes !) faite
des impressions, physiques, donc, mentales, des images qu’elle suscite, éveille
ou réveille en nous. Ils nous souffleront, malgré tout, les circonstances, les
titres, condensés d’expériences de rencontres, autant d’approches qui auréolent
de vécu intense leurs morceaux.
Elle, Katell Boisneau, Bretonne, semble être née avec la harpe celtique
dans son berceau, paternelle sinon maternelle. Initiée par son père, elle
approfondit aussi au Conservatoire de Nantes la version classique de l’instrument,
dont elle nous dit, en passant, la différence : pas de pédales pour la
harpe celtique pour les demi-tons, mais un ingénieux et complexe système de « palettes »,
de « taquets », fixés sur le galbe supérieur de l’instrument pour
chaque corde. D’où la dextérité supplémentaire, la prestesse, la prestidigitation
de ces doigts de fée dont l’agilité est telle que l’on perçoit à peine la
touche. Originale artiste au parcours des plus singuliers : harpiste et danseuse-acrobate passée en
Afrique, apprentie au Circus Baobab de Guinée, puis formée et confirmée dans des écoles françaisses de cirque. Initiée à la kora, cette harpe-luth mandingue, elle
se produit en duo avec Toumani Diabaté
au Carrousel du Louvre, participe à diverses créations avec divers ensembles,
dont le groupe Accord de Cordes et
la Compagnie Mauvais Cotons. Lauréate
du Prix Envie d’Agir, elle crée un
duo de harpe, kora et mât chinois avec Kandia
Kouyaté à Conakry, retrouvant en 2009, son ami Abdoulaye Kouyaté pour fonder
Lá Y Ká.
Son partenaire, complice compagnon
compositeur, Matthieu Tomi, d’origine
corse, passe en trombe au département de musicologie de l’Université d’Aix-en-Provence, en coup de vent au Conservatoire dans la classe du fameux Jean-François Bonnel, multi primé. Plus que de théorie, il s’enrichit
parallèlement d’expériences scéniques avec divers groupes de jazz, de blues sur
les scènes régionales et des festivals en Corse, tourne de 2005 à 2013 avec Watcha Clan, un groupe Wolrd Electro. Il joue actuellement avec Nasser Ben Dadoo, Bluesman, avec lequel il prépare un album. Ses compositions sont nourries,
de rencontres, de lectures, d’une atmosphère familiale insulaire où le chant, naturellement,
n’est jamais absent, voix ici encore écho du grand-père sinon du père de deux artistes qui,
apparemment, ne crient pas comme Gide : « Familles, je vous hais ! »,
credo bourgeois que, généralement, seuls des bien nantis peuvent se permettre.
Il y a un tel climat affectif chez
ces deux interprètes que, dans le dialogue naturel qui s’instaure dans l’intimité
amicale de cette petite salle, dans la proximité des artistes, j’ai presque du
regret de révéler à Matthieu Tomi que
le poème Liberté de Paul Éluard, qu’il
a mis amoureusement en musique était, au départ, du propre aveu du poète, un poème
d’amour nommé Une seule pensée, destiné à sa femme Nusch dont le nom
apparaissait comme la révélation attendue du mystère à la fin de la dernière
strophe[1].
Il le changea finalement (spontanément selon la légende) par celui de Liberté, dont
on sait le succès avec les parachutages par les aviateurs anglais dans la France
occupée. Mais qu’importe : le côté incantatoire du simple et sublime
poème, qui a inspiré tant de musiciens, dont Poulenc, est là dans la version de
Tomi, avec une sorte de basse continue obsessionnelle comme l’anaphore « Sur… »
qui scande le poème et cette musique passant de la harpe à la basse est un vrai
dialogue amoureux.
Motifs lancés à la harpe, commentés,
brodés à la guitare volubile, dès le premier morceau, Sole, (Inti d'abord, qui signifie ‘Soleil’ dans la langue quecha des Incas) il y a
tout l’or éclatant de la harpe ombré par l’épaisseur d’argent de la basse. La
pièce suivante, Agriate, du nom du
désert corse, pose un thème jazzy à la guitare, très rythmé, sombre, ponctué de
myriades d’étoiles, de constellations de subtils arpèges, douces vagues rêveuses
de la harpe avant que les deux instruments n’échangent leur dynamique, piano et
forte, gruppetis de la guitare tels des nuages de mauvais temps sur les ondes
plus larges de la harpe. Harpe à l’aigu, allègre, espiègle, et basse très
bossa nova, notes entêtées crêtées d’Éclats
lumineux avec de légères percussions de doigts sur la caisse ou cordes. Temps
arrêté de rêve, sur un bourdonnement de sa guitare, Matthieu Tomi semble se livrer à mi-voix en chantant, en anglais, un
souvenir de son grand-père dont la voix, dit-il, l’habite : Suspendu, il pince ses cordes et Katell tisse, aimante fée, sa fine
toile arachnéenne de sons atentifs.
On aura quelques standards
tendrement revisités, dont une berceuse, un thème langoureux de Tom Jobin, Luiza, avec une élégance savante et
populaire. Pour Orso, ‘ours’ en
Corse, les deux musiciens invitent dans leur couple le troisième homme, Wim Welker, bien d’ici malgré un nom d’ailleurs,
guitariste plié à toutes les musiques et disciplines, par ailleurs enseignant
en divers lieux. S’emparant de la seconde guitare, toute en aigus argentins, ce
sera un trio acrobatique, un superbe bœuf d’improvisations, compétitions en
virtuosités cordiales de cordes accordées jouant le désaccord pour rebondir,
revenir ensemble de courses-poursuites haletantes, la harpe devenant une sorte
de scat, scandant les vocaleses des guitares. Les trois
partageront un Thé à la menthe très
brésilien dont nous goûterons avec délectation jusqu’à la dernière goutte et ils
nous offriront en bis (tris ?) le bouquet pyrotechnique de la reprise en
trio de Suspendu, harpe élargissant
ses ondes presque hawaïennes, avec des effets de glissandis comme des
enroulements de vagues de surf sur le fracas écumeux des autres cordes. Des tsunamis comme on peut les aimer.
Impressionnante virtuosité dans la
simplicité souriante d’interprètes jeunes dans la proximité d’un lieu qui, sans
nulle glaciale distance, nous intègre chaudement, amicalement, aux musiciens.
Marseille
Roll'Studio
14 septembre
Katel Boisneau, harpe celtique ; Matthieu Tomi, basse
six cordes
Roll'Studio
(au Panier), 17 rue des Muettes, 13002 Marseille.
Le 24
Octobre, le Duo impressionniste assumera
la première partie de Nils Petter Molvaer, à La Petite Halle de La Villette, Paris.
Certains morceaux sont en écoute :
Sur le site de leur compagnie, capture de certains de leur spectacles harpe, guitare et cirque.
Photos :
1. Duo impressionniste (©Aurélien Le Calvez);
2. Photo
Roll’s studio, rue ;
3. Un concert de jazz;
4. Duo impressionniste (©Camille Perrin).
[1] « Je pensais révéler
pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. »,
Paul Éluard, Poésie et Vérité (1942)
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