N.B. Des circonstances indépendantes de ma volonté m'ayant empêché de "poster" mes émissions, je rattrape le retard.
https://open.spotify.com/intl-fr/album/5Ybqg0xB09CC1p7OcBAqCK
José de Nebra
VENUS Y ADONIS (I)
Mélodrame en un acte, 17 scènes (1729)
Livret de José de Cañizares
Los Elementos, Alberto Miguélez Rouco et.
2 CD Aparte
Première mondiale, ce double CD a le grand mérite d’être une première sur un compositeur inconnu ou peu connu qu’on redécouvre et nous fait découvrir un moment de la musique espagnole oublié que je voudrais resituer dans son contexte espagnol et européen.
D’une famille de musiciens, formé à la musique par son propre père, José Melchor Baltasar Gaspar Nebra Blasco naît en Aragon en 1702 à Calatayud, chère à Baltasar Gracián, meurt à Madrid 1768.
Nebra devient à 17 ans, en 1719 organiste du fameux Monasterio de las Descalzas Reales de Madrid, monastère de Clarisses où se retiraient les grandes aristocrates et les veuves royales qui lui ont donné le nom, « Les Royales Déchaussées », dont l’Impératrice d’Autriche, Marie, fille aînée de Charles Quint qui s’y retira en simple religieuse, avec sa fille qui professa. Le grand musicien Tomás Luis de Victoria, son chapelain, y fut organiste jusqu’à sa mort en 1611. C’était donc un poste prestigieux pour un jeune homme, qui se faisait par ailleurs un nom, et des subsides supplémentaires en vendant de la musique scénique pour les théâtres de Madrid. En 1724, il est nommé second organiste de la Chapelle royale dont il deviendra sous-directeur, terminant comme professeur de clavecin de l’Infant.
On a conservé de Nebra cent-soixante et dix œuvres religieuses, dont un célèbre Requiem pour la mort de la reine Barbara de Bragance, la protectrice de Domenico Scarlatti. Mais l’incendie de 1734 de l’Alcazar royal de Madrid fit pratiquement disparaître toute la musique sacrée de la chapelle royale. Ses œuvres ne sont pas encore cataloguées ; sa musique liturgique est dispersée en manuscrits des archives de la chapelle royale de Madrid à des bibliothèques en Espagne, mais aussi de la Chapelle sixtine de Rome à la Bibliothèque nationale de Munich en Bavière. On lui doit une vingtaine d’œuvres scéniques, lyriques, cinq opéras —au sens moderne du mot— connus à ce jour et douze zarzuelas. Je définirai ces termes.
Opéra, opéra-comique, zarzuelas,
Le mot opéra est aujourd’hui le terme communément employé pour désigner le théâtre chanté mais ce terme est tardif : on l’appelait plus justement « dramma per musica » ou « dramma in musica », ou « melodramma », c’est-à-dire ‘drame mélodieux’, en musique. Car le mot « opera » en italien signifie simplement ‘une œuvre’. Ce n’est que vers la fin du XVIIIe siècle que, pour distinguer les sujets, dramatique ou joyeux, on dira « ‘opera seria », ‘œuvre sérieuse’ pour l’un et « opera giocosa » ou buffa » pour l’autre et, pour simplifier, on dira finalement opéra. Mozart n’emploie pas le mot opera mais « dramma giocoso » pour son Don Giovanni, Rossini nomme surtout « dramma per musica » ses œuvres sérieuses, les distinguant des opéras bouffes.
L’opéra bouffe, s’il fait rire, ne doit pas être confondu avec l’opéra-comique. L’opéra-comique c’est, un opéra qui est « comique », non parce qu’il fait rire, mais, comme le dit le dictionnaire de Littré au premier sens du mot, « Qui appartient à la comédie », bref au théâtre. Donc, un opéra-comique est un opéra avec des passages parlés. À Paris, le théâtre de l’Opéra-Comique était le lieu consacré, au XIXe siècle, à ce genre d’ouvrages. Il faut le rappeler, Carmen n’est pas un opéra au sens moderne mais un opéra-comique puisqu’il y a des passages parlés entre les airs.
Autre trait distinctif, l’opéra ou mieux dit le melodramma, tel qu’il se constitue à l’époque baroque, aux XVIIe et XVIIIe siècles, a une double nature musicale : l’action est déclamée, recitée en chantant par le récitatif, le récit qui exprime la situation, introduisant l’air qui expriment l’affect, le sentiment du personnage. Le récit fait avancer l’action, l’air qui suit, surtout air Da capo, avec un retour orné, est un moment statique, où le chanteur exerce sa virtuosité par des ornements variés. Voici donc, au tout début de Vénus et Adonis, le chœur qui exalte la beauté, sans pareille au monde, du jeune Adonis. Imaginez, entendant cela, ce qu’éprouve Vénus, affront suprême et de genre, découvrant qu’on trouve un homme, un simple mortel, plus beau qu’elle, la déesse féminine de l’Amour et de la beauté. Écoutons en entier son récitatif où, chantée par Paola Valentina Molinari, elle exprime, horrifiée, cette insulte, cet outrage à sa gloire et, dans l’air de fureur enchaîné, son désir de se venger en éliminant cet insupportable rival en beauté :
1) DISQUE 1, PLAGE 8
Zarzuela
Aujourd’hui, en Espagne, la zarzuela, outre qu’elle désigne un plat de poissons et fruits de mer, est le nom donné à une œuvre dramatique qui mêle musique, chant et parole et souvent, danse. Mais sa variété est telle que le genre embrasse des œuvres qui peuvent aller de l’opérette à l’opéra-comique. Ce mot dérive de zarza (qui signifie ronce), donc, zarzuela est un lieu envahi par les ronces, une ronceraie. Ce nom fut donné au Palais de la Zarzuela, résidence champêtre royale (c’est la résidence du roi actuel et de sa famille), aux environs de Madrid.
Le roi Philippe IV, qui avait fui l’Escorial austère de son aïeul Philippe II, et habitait un palais à Madrid, venait s’y délasser avec sa cour, chasser et y donner des fêtes somptueuses, des pièces de théâtre à machine, aux effets spectaculaires et de musique, qu’on appellera « Fiestas de la zarzuela » puis tout simplement « zarzuela » pour simplifier.
En 1627, une de ces œuvres musicales est, en fait, un véritable opéra à l’italienne au sens moderne, entièrement chanté, avec récitatifs précédant les airs. Bien sûr, on ne l’appelle pas « opéra » puisque ce mot tardif, italien, n’existe pas encore. La selva sin amor, ‘La forêt sans amour’ a pour librettiste rien de moins que le fameux Lope de Vega, pour lors le plus grand dramaturge espagnol. La musique de Filippo Piccinini, italien établi à la cour d’Espagne, est malheureusement perdue. La mise en scène, fastueuse, extraordinaire, du grand ingénieur et peintre florentin Cosimo Lotti frappa les esprits et on en a des descriptions émerveillées par Lope de Vega lui-même.
Cependant, à ce type de récitatif à la florentine, recitar col canto, favellare in armonia, on préféra vite des récits parlés reliant les airs et les danses populaires. Ce genre théâtral hybride, parlé/chanté anticipe d’un siècle et demi l’opéra-comique français, qui naît dans le milieu du XVIIIe siècle.
La zarzuela a toujours un argument mythologique et, autre caractère fondamental, selon les règles du nouveau théâtre de Lope de Vega établi en 1609, il y a un mélange de drame et de comique, ce dernier dévolu aux personnages populaires, que même l’opéra espagnol de modèle italien conservera.
Nous quittons cette première émission sur l’air chanté et dansé par la nymphe Celfa, interprétée par Ana Vieira Leite, « Calquiera mozuela », qui débute sur un rythme de fandango et devient un exotique zarambeque hispano-américain africain et, accompagné de castagnettes :
2) DISQUE 2, PLAGE 2, FIN
Émission N°793 de Benito Pelegrín, 23/01/2025
https://open.spotify.com/intl-fr/album/5Ybqg0xB09CC1p7OcBAqCK
José de Nebra
VENUS Y ADONIS (II)
Mélodrame en un acte, 17 scènes (1729)
Los Elementos, Alberto Miguélez Rouco, direction
2 CD Aparte
Après les zarzuelas Vendado es Amor, no es cielo et Donde hay violencia no hay culpa, le jeune chef Alberto Miguélez Rouco, par ailleurs contre-ténor, poursuit ainsi sa mission de redécouverte des œuvres oubliées de celui que l’on surnomme le « Rameau espagnol ». Il a minutieusement reconstitué l’œuvre à partir des fragments du manuscrit original complétés par l’analyse d’autres œuvres scéniques et sacrées de Nebra.
Paradoxalement, dans un pays dont la cour accueillit fastueusement le fameux castrat Farinelli de 1737 à 1759, invité par la reine Elisabeth Farnese, épouse italienne de Philippe V d'Espagne, pour soigner par son chant quotidien le roi neurasthénique Philippe V, son successeur Ferdinand VI, en 1746, lui offrant même le statut d’intendant de la musique, grand maître des spectacles musicaux, dont des opéras italiens chantés par ses confrères châtrés, la zarzuela et l’opéra espagnol n’ont pas de rôle pour les castrats. Les interprètes en sont exclusivement féminines. Ici, on goûte l a virtuosité de cinq sopranos et une mezzo. Toutes rivalisent de brillant dans un grand éventail d'arias de caractère ou de bravoure. On signalera entre autres « Trompas venatorias », appel aux cors obligés de chasse, air de fureur de Venus appelant à la vengeance contre Adonis, ou l’aria di paragone, l’air de comparaison de tempête, « Silbo del aire veloz'», sibilant comme le vent quand Adonis, rivalisant avec la trompette, s'apprête à combattre le sanglier.
Je rappelle que ces scènes mythologiques reposent d’abord sur la fureur de Vénus de voir que sa beauté de femme et de déesse est surpassée, dit-on, par celle d’un simple mortel, le trop bel Andonis. La peu vertueuse Vénus, qui cocufie son mari boiteux Vulcain, dieu des forgerons, avec le flambant dieu de la guerre Mars, demande à ce dernier d’éliminer ce rival qui outrage sa gloire. Et Mars promet de susciter un monstrueux sanglier qui tuera Adonis qui prétend le chasser. Or, en voyant le jeune homme, la déesse de l’amour en tombe éperdument amoureuse et ne peut plus arrêter le piège de Mars qu’elle avait sollicité et tente vainement de freiner la fougue tragique de son jeune amant, que nous écoutons dans son air héroïque de chasse, naturellement avec des cors, chanté par Natalie Pérez :
1) DISQUE 2, PLAGE 6 : 1’50’’
La première émission sur ce magnifique CD m’avais permis de préciser, au milieu du XVIIIe siècle les concepts théâtraux et lyriques, entre Espagne, France et Italie, soit d’opéra à l’italienne, constitué de récitatifs enfilant des airs virtuoses, d’opéra-comique français, préférant un texte parlé avant un passage chanté comme la zarzuela typiquement espagnole qui le précède un siècle avant. Cette dernière a la caractéristique codifiée au XVIIe par Lope de Vega, de rompre l’unité de style aristotélicienne en mêlant drame et comédie, la peur et le rire. Même lorsque la zarzuela devient, avec des récits à l’italienne, un opéra ou mélodrame comme ce « Venus et Adonis », le mélange des genres est maintenu.
Voici l’air de Venus, bourrelée de remords d’avoir causé la fin de celui qu’elle aime, qui métamorphose Adonis mort en fleur. Sur lequel nous les quittons :
4) DISQUE 2, PLAGE 14 : FIN
Distribution :
· Paola Valentina Molinari (Venus), Natalie Pérez (Adonis), Jone Martinez (Marte), Ana Vieira Leite (Celfa), Judit Subirana (Clarin), Margherita Maria Sala (Cibeles),
· Los Elementos, coro y orquestra, Alberto Miguélez Rouco, clavecin et direction.
Émission N°794 de Benito Pelegrín, 23/01/2025
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