JOURNAL
MUSICAL D‘UN CONFINEMENT (11)
Avec le déconfinement, nous
allons enfin pouvoir ressortir dans la rue, comme une nouvelle éclosion de vie.
Mais quelle vie ? Elle sera forcément différente et l’on pourra alors dire,
avec quelque justesse, la banale et ironique expression : « J’ai
connu ça dans une autre vie ». Dont il faut bien se souvenir, car il faudra
la voir forcément au passé. Nous avons tous conscience que tout sera différent.
Et pour un temps, dont certains d’entre nous ne verrons pas la fin.
Le désenfermement
forcera à des bilans, personnels et collectifs.
Pour le collectif, nous
savons que nous ne savons pas combien de temps ni comment nous allons vivre socialement
après. Nous en avons déjà des signes palpables dans nos rues encore assez
désertes, dans les commerces où nous allons, autorisés à des courses, rapides, et
sans compétition ni gagnant. Comme un uniforme scolaire qui efface les
différences sociales, dont certains demandent le retour, il y aura l’égalitaire
anonymat généralisé des masques. L’un des effets bénéfiques du masque, avec
celui de nous protéger, est indubitablement, de masquer les rides ou
imperfections des visages. Mais aussi le sourire qui, en société, est une grâce
de la vie. Et l‘on assiste déjà à un étrange carnaval fantomatique, en masques
blancs. Mais si le carnaval festif favorisait, à la faveur des masques, les
rapprochements, les frôlements, les attouchements désirés des corps, nous
connaissons déjà une étrange danse d’évitemements, contrôlant le réflexe par la
réflexion, dans la hantise des gestes à ne pas faire, poignée de main, bise,
distance des corps à respecter, distance respectable, à leur corps défendant ou
défendu. L’Autre est devenu suspect, l’enfer, c’est vraiment les autres comme
disait Sartre.
L’enfermement chez soi,
en soi, a poussé souvent le confiné individuel à l’introspection. Aliénés,
c’est-à-dire chacun devenu Autre par l’agitation de la vie extérieure, du travail, de
l’emploi du temps, sans avoir de temps pour soi, profitant du loisir et de la
solitude, certains se sont enfin retrouvés ou cherchés. Je dirai que le malheur, quand on se cherche,
c’est que parfois, hélas, on se trouve, ou rien, le vide, et il vaudrait mieux se
laisser prudemment la brume du bénéfice du doute.
Pour les couples, le tête-à-tête
confiné à deux, c’est le duo qui a pu tourner au duel, occasion de se retrouver
ou de se perdre, d’approfondir un lien, ou de le défaire, de réveiller un amour
ou d’éveiller des rancœurs. Car le confinement est une accélération et
intensification du quotidien qui use les couples. Et là aussi, il y a des
inégalités : heureux ceux qui sont confinés en un lieu spacieux où le
couple n’a pas à se marcher sur les pieds, car on sait, les pieds, ça casse, et
c’est pas le pied… Bref, on s’est vu, trop vu : on ne peut plus se voir.
Et l’on se dit : il aurait mieux valu être seul que mal accompagné. Il y a
des cas insolubles : ni avec toi ni sans toi, mes maux n’ont de
remède : sans toi, parce que je me meurs, avec toi, parce que tu me tues.
Il y a les couples qui,
malchance ou chance, vivent séparés le confinement. La séparation peut préserver
le couple. Elle est l’épreuve de feu de l’amour : car l’absence est comme
le vent qui éteint les petites flammes et rallume les grands brasiers. Mais on
va la jouer romantique pour finir et introduire la musique, et l’on dira avec
Lamartine :
« Un seul être
vous manque et tout est dépeuplé. »
Et l’on écoute la mélancolique
chanson de Solveig, plainte, complainte de la jeune amoureuse qui attend le
retour du volage fiancé, le Peer Gynt du
Norvégien Henrik Ibsen mis en
musique par son compatriote Edvard Grieg
en 1867. Chantée par Anna Netrebko.
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