JOURNAL MUSICAL D‘UN CONFINEMENT (10)
Leçons
d’un confinement.
Mercredi 29 avril 12h20
Autrefois, la mort était sensible
dans notre vie : on mourait chez soi, entouré de ses proches, réunis
ensuite pour la veillée funèbre. La mort était visible dans nos sociétés :
les Pompes funèbres encadraient de noir les portes du défunt avec ses
initiales ; sur une petite table couverte d’une nappe de deuil reposait,
avec un stylo, le cahier des condoléances. On avait vu arriver le prêtre avec
les sacrements pour les croyants, et le défilé des couronnes de fleurs. Sensible,
visible, la mort était aussi audible avec le glas des cloches et il y avait
autrefois les petits corbillards délicatement chantés par Brassens.
Puis l’on a envoyé les encombrants
mourants mourir à l’hôpital et, de l’hôpital, à un anonyme salon du cimetière
pour une rapide cérémonie à temps compté puisque les convois mortuaires se
succèdent à un rythme rapide. Aujourd’hui, on parle de « faire son deuil »,
d’autant plus que, peu à peu, on a évacué la mort de nos vies, dont elle fait
pourtant partie.
C’est qu’avec le culte du beau, le culte
du corps, par le sport, la chirurgie esthétique, notre arrogante modernité a
cru nier la vieillesse et, sinon vaincre la mort, la dissimuler, par la parole
ou les faits ; incapable d’affronter la violence de la réalité, on ne
disait plus le mort, déjà plus le décédé, mais le défunt ; on use de la douceur
d’euphémismes, du voile de périphrases : « il est parti, elle nous a
quittés ».
Comme punis d’avoir cessé d’être
jeunes, d’avoir renoncé à la jeunesse, comme si la vieillesse était une longue
maladie qui choquait les regards, les anciens, on les a enfermés, avant de les renfermer
dans les Ehpads, où la mort, qu’on ne voit plus, est allée silencieusement les
chercher confinés dans une chambre, sans la famille, sans les amis : seuls.
Et songeons qu’à la douleur de la
perte, s’est ajoutée, pour les familles, celle de n’avoir pu, par crainte de la
contagion, assister l’être cher, ni l’accompagner pour ce qu’on appelle pudiquement
le dernier voyage, interdit aussi. Et je pense, quand on n’a pas eu le
temps de visiter, de dire adieu à un être aimé qui va disparaître à jamais, ce
qu’on peut ressentir en pensant au geste qu’on n’a pas fait, au mot qu’on n’a
pas dit ou, pire, au contraire, au mot de trop qu’on lui a dit, qui nous a
échappé autrefois, et qu’on ne peut plus rattraper, ni effacer désormais par un
autre mot aimant qu’il n’entendra plus.
Évitons ces mots cruels, qu’une fois
dits, on ne cesse jamais de répéter et de regretter. À l’inverse, ne différons
jamais, ne remettons jamais le geste amical, le mot affectueux à plus tard, au
lendemain, à un avenir dont on n’est jamais assuré car on risque de n’avoir
plus l’occasion de le faire ou dire.
Écoutons ce
doux adieu d’autrefois, Bist du bei mir un morceau qu’on a longtemps
prêté à Bach car sa femme, Ana Magdalena l’avait copié dans son fameux petit cahier.
Mais c’est un air du musicien allemand Gottfried Heinrich Stötzel,
tiré de son opéra Diomedes
oder die triumphierende Unschuld (‘Diomède ou l'innocence triomphante’), crééé en 1718 à
Bayreuth. On a retrouvé un exemplaire de la partition d'origine qu'on en 2000 Conservatoire
de Kiev
Je
vous donne une adaptation chantable des
deux strophes :
Auprès de toi, j’irai sans crainte,
Tranquille, à mon dernier repos. (bis)
Et mon adieu sera sans plainte
Si je sens à cette heure sainte
Tes douces mains sur mes yeux clos. (bis)
(Da capo)
Bist du bei
mir | par Benjamin Appl (baryton)
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