JOURNAL MUSICAL D’UN (DÉ)CONFINEMENT (14)
DERNIÈRE
Parler aux autres, c’est aussi parler de soi avec
ses mots pour devenir ses idées. On me pardonnera ainsi de signaler que, il y a
quelques années, j’ai publié un essai D’Un
Temps d’incertitude, incertitude du temps,
dont les temps que nous vivons semblent un étrange écho.
Nous savions
tous qu’un grain de sable peut enrayer une machine ; nous avons sans doute
oublié, mais je le rappelle, en 1969, le dernier fleuron de la science spatiale
américaine, une flambante fusée Apollo, à Cap Cañaveral, explosa au décollage :
l’enquête prouva qu’un simple rat avait rongé une gaine électrique et provoqué
un court-circuit. Cela pourrait être une fable de La Fontaine…Alerte pour notre
arrogance humaine, alarme pour notre conscience scientifique.
Et voici qu’un microscopique virus, en
l’espace de deux mois, bouscule tous nos repères, fait basculer nombre de nos
certitudes. Qui nous aurait dit, après avoir vu pendant plus d’un an des vagues
de gilets jaunes onduler dans nos rues, la houle de grévistes déferlant sur nos
boulevards, que, presque d’un coup, ces millions de gens disparaîtraient de la
circulation et de nos regards pour se confiner chez soi et laisser des villes
fantômes désertes, sur toute la planète ?
Qui savait, qui pouvait
prévoir ? Il est facile, après coup, d’exhiber des certitudes ; mais,
ce qui est certain, c’est la seule incertitude, à l’échelle planétaire, à
laquelle n’a échappé nul pays, qui a été le vécu au jour le jour de l’épidémie,
qu’on pouvait difficilement imaginer pandémie tant nous avions foi dans cette
religion de la science, réponse à tous nos maux, à nos maladies. Et nous avons
vu le défilé de ses grands prêtres, pontifes de la médecine, dire, se
contredire, dans leurs certitudes opposées souvent, relayés par les
politiques : grippe, grippette, masques, pas masques, maladie hivernale
saisonnière qui passerait avec le retour des hirondelles, le printemps, sans
savoir que ce virus est aussi migrateur que ces oiseaux et semble se rire des
variations climatiques et saisonnières qui varient selon les hémisphères nord
ou sud de notre planète, égalitairement frappée. Et plongée dans un temps
d’incertitude.
Car nous en sommes là : un
virus bien connu de tous par son nom certifié en science, qui est sur toutes
les ondes, sur toutes les bouches, qui
circule à son gré, empêche notre propre circulation, affecte nos habitudes,
infecte nos habitations. Rien n’est plus assuré, nous sommes incapables
désormais de prévoir un voyage au long court, qui risque de tourner court,
d’empêcher le retour si l’on va trop loin. Partir, c’est mourir un peu
disait-on autrefois, une vérité : les voyages étaient si longs qu’on
n’était jamais sûr de revenir, de revoir ceux qu’on avait laissés. Et si l’on
revient, si on en revient, il n’est plus sûr d’être reçu porte ouverte à deux
battants, ni grands ouverts les bras, embrassades et bises devenues suspectes. Pas
de projet à long terme qui risque d’avorter avant terme, comme les élections
qui auront lieu le 28 juin mais qui risquent de n’avoir pas lieu si les conditions
de sécurité ne sont pas remplies, qui auraient lieu en septembre, si les
conditions le permettent et, sinon, en janvier, mais d’ici-là ? Impossible
de se projeter dans un avenir désormais aussi impénétrable que nos visages
masqués, aussi marqué par ces gestes dit « barrière » (je dirais frontières,
hélas !) appelés de « distanciation sociale », sinon de
distinction, de distance de classe.
Et pourtant, peut-être compensation
de l’incertitude générale, dans l’intimité éclatée par internet que de
certitudes dangereuses n’a-t-on pas vu fleurir dangereusement sur les réseaux
sociaux ! À force de tant
entendre certain on fait certitude de fausse information, qu’ils répètent à
leur tour, projetant leur foi, leurs dogmes, leurs convictions, leurs préjugés,
leurs fantasmes comme un savoir valable pour tous.
Or, penser savoir n’est pas
forcément savoir penser. Moins on sait, plus on s’imagine savoir, puisque le
propre de l’ignorance est d’ignorer ses limites. Mais le vrai savoir, conscient
de ses bornes, est modeste.
En ces temps d’incertitude,
rappelons donc la sagesse intellectuelle de Montaigne dont la devise
était : « Que sais-je ? ». Il reprenait l’affirmation de
Socrate : « Je sais que je ne sais rien. » Car rien n’est notre
savoir en regard de tout ce qu’il reste à connaître, faible notre lumière
scientifique face à l’infinité d’ombre de l’univers, et toute notre
connaissance, même éblouissante, est criblée d’insondables trous noirs.
Je commençais par la fusée visant la
lune, notre satellite si proche et si connu, qu’on croirait aujourd’hui sans
mystère mais qui, avec ses phases, sa face inconnue, ses visages changeants,
est symbole même d’inconstance, d’incertitude. Finissons donc par la « Prière
à la lune » de la Roussalka
d’Antonin Dvořák, opéra de 1901, le drame de l’amour
impossible entre une jolie ondine amoureuse d’un prince mortel qui se baigne dans
ses eaux. C’est chanté en tchèque par Frederica
Von Stade :
89.6//101.9
25 mai 2020, 12h20
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