CATALOGUE ROMANTIQUE D’UN
DRAGUEUR
(extrait)
Photo J. J., du film de Pierre-Jean de San Bartolomé Dialogue interrompu |
(Quelque part sur la Côte,
quelque part autrefois)
Lavé par la pluie, le ciel humide séchait son bleu au soleil
et, comme les escargots, les gens sortaient maintenant des longs repas
dominicaux en famille. Traînant un vague à l’âme asthénique dans une
ville où
je n'avais encore ni repères ni connaissances, la petite Triumph qui me permettait la grande évasion
vers d’autres lieux en panne, j'avais fui le mol ennui de la promenade
endimanchée des lentes déambulations bourgeoises d'entre goûter
enfantin et apéritif adulte avec les stations du salon de thé-pâtisserie
et des vastes terrasses de café, d’une société de consommateurs enchaînant
mangers à mangeailles, à la digestion à peine troublée par les premiers échos
assourdis par la distance qui arrivaient de la famine au Biafra : «
Arrête la télé ! ces images horribles me coupent l’appétit ! ».
Surmontées les convulsions de la guerre, de la post-guerre et, officiellement,
des non-guerres coloniales, ankylosée par La Guerre froide, somnolant dans le coton paternaliste d’un gaullisme
du troisième âge.
Fuyant le troupeau de « veaux » qui, après l’euphorie
digestive des repas de famille, traînaient l’ennui dominical et leur langueur
postprandiale, j'avais gagné un bord de mer plus singulier, isolé,
toujours plus favorable à la rêverie mélancolique ou poétique
—sublimation sans doute de mon manque érotique des trois jours de
chasteté forcée—ou plutôt neurasthénique de me sentir dans la nasse de cette impasse,
bien que le désert ne donne guère lieu à la propice rencontre. Je
jaugeais déjà mon erreur de fuir la foule, juché sur un rocher tel un
Chateaubriand breton égaré en Méditerranée espérant les orages désirés,
contemplant le large où l'horizon fermait, d’un trait de rasoir définitif,
tout rêve
d'évasion.
De mon perchoir, je découvris alors, revenu à
la terre, celle —l’évasion— celle d'un petit caniche frisoté,
frénétique,
tenant en laisse une dame qui, en équilibre instable sur des talons
inappropriés pour les galets de la plage, pour éviter une chute et celle de son
chignon malmené, serrant contre son cœur son sac comme pour compenser
le déséquilibre,
avait lâché
sa bestiole, récalcitrante à ses appels de détresse :
« Chopin !
Chopin ! Mon Choupinet, reviens ! Maman va pleurer ! »
Saisissant
l'occasion par les cheveux, je veux dire la laisse du corniaud indocile, je
volai à
son secours et lui rendis noblement le petit monstre rétif, vaincu par ma
prestesse, tel un trophée chevaleresque à la Belle Dame non Sans Merci, puisque,
levant alternativement la tête vers moi et la baissant vers le
fuyard, décomposant encore plus son chignon par la loi de la pesanteur,
faisant pendre en aplomb les perles de son collier, elle se répandit
en actions de grâces à mon endroit tout en grondant et sermonnant la bête
poilue, queue basse et oreilles frémissantes sous l'admonestation.
Élégante
tricolore, jupe étroite arrêtée aux genoux, elle portait un tailleur bleu
foncé, veste courte sans col, lestée d’une petite chaîne dorée, et son sac était
d'un beau cuir matelassé rouge, orné, à ce que je vis, de deux C entrelacés,
l’un à l’envers.
« Avec ces gants, me dit-elle comme pour s'excuser, me
montrant leur cuir également rouge, la laisse neuve a glissé… »
Voulant corriger une mèche rebelle de cheveux qui
passait devant ses yeux, sans oser me regarder de face, elle s'écria :
« Mon Dieu ! Je suis décoiffée, je dois être
affreuse ! »
Tout en faisant des risettes à l'affreuse bébête
à
frisettes qui m’évaluait d’un retroussis soupçonneux de ses babines dentées, je
rassurai la Dadame par des compliments qui la firent rougir, l’harmonisant un
peu à
son sac à
main et, enfin, m'envisageant franchement, elle poussa un petit cri :
« Ah, mon Dieu ! C'est vous ? »
Me tendant la laisse nerveusement, « Surtout, ne le lâchez
pas ! », d’autres mèches de cheveux, aussi insoumises que le
chien, réfractaires
à l’apprêt excessif du chignon laqué, encadrant de leur frise folle son
visage penché, elle ouvrit fébrilement son sac, farfouilla fiévreusement
un moment : « Je ne trouve rien dans ce fichu fouillis ! Ah, oui,
enfin ! », en extirpa un calepin doré dont le fermoir tenait par un
petit stylo en or. Sa généreuse poitrine gonflée d'émotion, elle me le tendit d'un
geste ému :
« Tenez,
vous me signeriez un autographe ? »
« Tiens,
déjà ? »
me dis-je, enflé d'une fatuité pleine de gratitude blasée,
avant de me demander pourquoi n’ayant alors eu récemment qu’une fois les honneurs de la presse dans un lointain
canard pour un recueil de poèmes. Prenant délicatement le petit stylo, sur la
page blanche qu'elle avait ouverte, je m'exécutai avec application, faisant
largement déborder mon paraphe glorieux sur deux pages vierges comme on
occupe, par droit de conquête, un territoire.
«
Oh, merci, merci ! »
Reprenant
respectueusement l'agenda en rougissant encore, elle regarda mon
long graffiti :
« Ah…
Alors, ce n'est pas votre vrai nom ?
—Oui, c'est mon vrai
nom…
—Mais, l'autre…
—L'autre ?
Lequel ?
—Mais Guy Bedos ! »
Faisant contre bonne
fortune bon cœur, prenant la chose et la belle avec un humour philosophique,
je fus tenté d'envoyer un communiqué de victoire à
l'humoriste.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire