JOURNAL MUSICAL D’UN DÉCONFINEMENT (12)
Procida (Photo B. Pelegrín) |
sur la société, sur le monde.
Ce temps suspendu nous
a forcés à remettre nos pendules à l’heure, nous a ramenés à l’essentiel :
prosaïquement, pressés de faire des provisions en évitant au maximum les
contacts, mais à pas comptés dans les magasins à cadence métrique mesurée de la
distanciation, nous avons sûrement tous renoncé à nous encombrer de babioles,
bagatelles, friandises inutiles pour nous en tenir au nécessaire pour tenir
longtemps chez soi sans courir encore l’aventure risquée d’autres achats
superflus. Les rayons vides d’articles de première nécessité en sont la preuve.
Et banalement aussi, je suis sûr, que seuls à la maison, on ne s’est guère mis
en frais de vêtements frais par la mode, et ne parlons pas des coiffures.
À un autre niveau,
cette obligation du sur place chez soi, dans la solitude ou non, nous a
contraints à une remise en cause, une remise à plat de notre mode de vie, de
nos relations avec autrui, compagne, compagnon, famille ou amis.
Mais surtout, il me
semble que le confinement, en nous cloîtrant dans un espace limité, nous
cantonnant dans nos frontières domestiques, a ouvert grand celles du monde.
Le confinement, en nous protégeant du virus infinitisimalement petit, nous a
fait prendre conscience d’un monde infiniment grand, dont nous sommes partie
prenante solidaire et ouverte : le microscopique Covid ne connaît ni
frontière, ni nationalisme, ni race, ni religion, ni idéologie. Il ne connaît
que les hommes, que la pandémie menace sur pied d’égalité, qui nous fait tous
égaux, sinon frères. Voici ce que disait le poète et pasteur anglais John Donne
(1572-1631) :
« Aucun homme
n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du
continent […] la mort de tout homme me diminue, parce j’appartiens au genre
humain ; aussi ne demande jamais pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il
sonne. »
On verra plus loin sa
richesse érotique en images.
Notre société, saturée
d’images a noyé l’imaginaire individuel, l’imagination, la faculté à se créer
des images personnelles. Mais, cloîtrés, nous avons découvert ou redécouvert
que l’imagination n’est plus la folle du logis, mais la fée : nous avons
tous ri, souri, rêvé devant cette profusion, cette déferlante d’images, de
vidéos dont certaines sont de vraies œuvres d’art, venues de l’infini
d’internet qui nous ouvrait les
murs.
L’espace réduit nous a
fait prendre conscience de la mesure du monde que nous avions perdue dans des
voyages trop rapides qui semblent abolir l’espace et le temps. Pas plus tôt
partis qu’arrivés, sans trop même le temps de rêver à ce voyage pour le vivre
mieux. Aussi, cette expérience du confinement, cette fermeture sanitaire des
frontières, limitant ou interdisant les déplacements, nous invite-t-elle à
repenser le voyage, à le rêver d’avance, à l’imaginer avant d’en ramener des
photos, des selfies. Le théâtre baroque espagnol, appelé Comedia, n’avait pas de décors mais les pièces, par la parole, à l’inverse
du théâtre classique français figé en un seul lieu, les multipliait, sollicitait
l’esprit du spectateur immobile pour les imaginer, comme dit Cervantes :
La Comedia est une carte
où
à peine un doigt distant
tu
verras et Londres et Rome
et
Valladolid et Gant.
Peu
importe au spectateur
que
je passe en un instant
de
l'Allemagne à l'Afrique
sans
qu'il bouge pour autant,
car
la pensée a des ailes
et
il peut bien, un moment,
me
suivre partout en rêve
ni
égaré, ni fatigant.
Certains ont sans doute
fait, comme Xavier de Maistre, le Voyage
autour de ma chambre. John Donne (1572-1631) savoure le voyage
amoureux sur le vaisseau du lit qui suffit à faire : « D'une
chambrette un univers entier » et,
des amants des mondes suffisants l'un à l'autre. Il part à la découverte
émerveillée du corps de sa maîtresse, un embarquement pour Cythère en un lieu
clos, miraculeusement ouvert par l’amour.
Mais de ma chambre encore
confinée, de notre studio clos, sur le miracle des ondes de la radio et du
téléphone, acceptez L'invitation au
voyage de Baudelaire, musique d’Henry
Duparc dans cette magnifique version et la diction impeccable de José van Dam :
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