IL BARBIERE DI SIVIGLIA
(Rome,
1816)
Opéra-bouffe en
deux actes
de
Gioacchino Rossini
Livret de Cesare Sterbini
d’après
Le Barbier de Séville de
Beaumarchais
« Bravo, bravissimo », applaudissais-je
après avoir savouré dans sa plénitude cette production du Barbiere
di Siviglia dans le cadre grandiose du
théâtre antique d’Orange lors des dernières Chorégies, le 31 juillet. Puisque
les productions tournent, se reprennent, il n’y a pas de raison de ne pas
reprendre des introductions aux articles critiques d’œuvres qui demeurent
immuables, éternelles, malgré les traitements que leur appliquent ou infligent,
malgré les temporalités diverses que leur imposent les metteurs en scène au
goût du jour. En voici quelques lignes qui donneront la mesure du passage d’un
plein air immense à l’espace clos, plus intime, de l’Opéra de Toulon.
« Carrément drôle. Un Barbier de qualité. Au carré. Sinon une coupe au
carré, un Barbier au carré, au sens
mathématique, dont la puissance se multiplie par elle-même, dans cette
réalisation, par ce que nous appelons en littérature et en art une mise en
abyme, l’incrustation d’une réplique plus petite du même dans son double plus
grand : théâtre dans le théâtre et cinéma dans le cinéma. L’immense
plateau d’Orange contient un plateau de cinéma filmant en live un Barbiere di Siviglia qui se projette en
même temps, in situ, sur l’écran du
mur de scène côté cour. Ajoutons les caméras de la télévision qui filment
l’ensemble, et souvent, les chanteurs acteurs du vrai film se regardant jouer
les uns les autres. C’est un vertigineux et virtuose jeux de miroirs et
d’images tel que l’invente le génie du Don Quichotte de Cervantès, qui aurait fasciné Umberto Eco. Et cela, contrairement à
tant de mises en scènes prétendument modernes qui torturent le texte et le
contexte, toute cette complexité de construction semble couler de source et
dans un respect absolu de la musique et, comme Orange offre le privilège
d’entendre et de voir la musique se faire sous nos yeux et oreilles dans
l’immense fosse orchestrale ouverte, c’en est une exaltation, une sublimation
voluptueuse autant qu’intellectuelle. Une réussite. » Tout se voyait, tout
s’entendait.
Toulon
Dans mon émission
radio de présentation de cette production à Toulon, j’émettais quelques
craintes sur ce passage du gigantesque au confidentiel à cette échelle. Craintes
vaines : certes, dans l’espace réduit du plateau de Toulon, plus de
Cadillac à cour ni de caravane pour acteurs à jardin, plus d’écran où se
projette pratiquement in extenso le film qui se tourne, mais, dans cette
douillette coquille, comme un œuf plein à craquer, la petite Fiat 500, la Vespa pimpante et
piquante de Figaro semblent ici être chez elles, et il y a une telle
inventivité, une intelligence si joyeuse encore à cette adaptation en vase clos
de la production d’Orange que, sans la faire certes oublier, elle ne la fait
pas regretter, notre joie étant entière encore dans ce merveilleux enfantillage
délectable que nous offrent des artistes qui jouent à réveiller le jeu en nous,
notre irrépressible part et besoin d’enfance : enfance éternelle de l’art.
L’œuvre
C’est une histoire
espagnole imaginée par un Français, immortalisée en musique par un Italien en
1816. Le Barbier de Séville ou La Précaution
inutile, écrit par Beaumarchais en 1775, s’inspire de Molière et son École des femmes, qui s’inspire du
théâtre espagnol. C’est une pièce prérévolutionnaire. Figaro, même s’il n’est
pas encore le rival plébéien du Comte comme dans le futur Mariage de Figaro
mais seulement son valet complice, a déjà une importance et une joyeuse
impertinence qui lui donnent le premier rôle, le rôle-titre, joli renversement
de la hiérarchie sociale : le valet passe devant le maître, le roturier devant
le noble, s’affiche.
La précaution inutile, ‘l’inutile precauzione’, des
sous-titres, c’est celle du tyrannique patriarche, battue en brèche par
l’obstination amoureuse du Comte Almaviva, les ruses de Figaro, le triomphe
enfin de Rosine sur le barbon jaloux qui la cloître et convoite :
c’est le complot des jeunes, la révolte
surtout de la femme contre la loi patriarcale des vieillards détenteurs du
pouvoir, révolution des femmes ratée en 1789, frustrées du suffrage universel,
et même aujourd’hui pas entièrement aboutie pour ce qui est de l’égalité et de
la parité.
Beaumarchais, de
retour d’Espagne, en avait fait d’abord une sorte de tonadilla, petite
œuvre lyrique espagnole typique, parlée, chantée, dansée, le pendant musical de
l’univers joyeux des tapisseries de Goya. L’échec de son espagnolade amena
Beaumarchais à en faire la comédie de Figaro qui se mit en quatre (quatre actes
et non cinq, échec de la première mouture) pour plaire.
Le célèbre
compositeur Giovanni Paisiello en avait déjà tiré un célèbre opéra, Il barbiere
di Siviglia en 1782 ; on
l’estimait indépassable. Le jeune Rossini s’attaque à gros en défiant ce
succès : on le lui fait payer lors de la première en 1816, un échec comme
la première version de Beaumarchais. Une cabale s’était liguée contre lui, des
incidents fâcheux jalonnèrent la représentation : Manuel García, qui, en
bon Espagnol s’accompagnait à la guitare pour la sérénade ou, plutôt, l’aubade
du Comte Almaviva pour éveiller Rosine, cassa une corde ; la basse jouant
Basile se cassa le nez, du moins saigna d’une chute ; un chat traversa
malencontreusement la scène, faisant miauler la salle de rire où il y en avait
bien plus d’un.
Clins d’œil hispaniques
Mais vite, la
vivacité, l’inventivité, la virtuosité vertigineuse de cet opéra l’imposèrent
sans conteste comme le chef-d’œuvre de l’opéra-bouffe. À une oreille
hispanique, par ailleurs spécialisée en tonadillas
et zarzuelas, son rythme
crépitant, pétille d’identifiables cadences espagnoles sans doute soufflées ou
écrites par le grand chanteur et compositeur Manuel García, père des fameuses
Malibran et Pauline Viardot, dont on a lieu de croire qu’il participa à cette
œuvre rapide (quinze jours) au-delà d’une première ouverture perdue : la
strette de l’air d’entrée de Figaro « bravo, bravissimo
fortunatissimo », a le martelé d’un zapateado
endiablé, l’indication de sa boutique « cinque parrucche » devient un
dansable boléro, sans parler de
celui explicite du chœur du vaudeville
final dont on s’étonne que le programme le présente comme…une polonaise. Mais
Rossini, faut-il le rappeler, était le mari de la cantatrice espagnole Isabel
Colbrán, et a composé au moins deux vertigineuses chansons espagnoles.
Réalisation
et interprétation
On entre dans la
salle, on prend place, en découvrant,
sur la scène du théâtre, le cinéma : un studio de Cinecittá, où se presse
et s’empresse un flux innombrable de machinistes, de techniciens, affairés déjà
à monter, peindre, placer un décor, régler des lumières, manœuvrer les projos,
les caméras, le moniteur de contrôle, la machine à ventilo, à brouillard ;
les preneurs de sons tendent la perche et nous, l’oreille à des musiques légères,
au brouhaha italinissime de ces artistes et artisans s’interpelant à grands
renforts de cris pour s’entendre : la fièvre bruyante d’un tournage. Au
milieu, capitaine dans la houle de la foule, le metteur en scène portevoix à la
main pour lancer ses ordres et intimer silence, n’usant guère son fauteuil
pliable à son nom, le metteur en scène :
il parlera ensuite du fond de la salle pour dire la fin des prises, qui sont
annoncées, numérotées pour le montage, acte par acte, scène à scène, par le
clap.
Porte-manteaux des
costumes, scripte attentive au jeu, son tableau et crayon à la main. Tubes
italiens des années 50/60, années non seulement de la fameuse comédie italienne
cinématographique, mais aussi du célèbre Festival de San Remo de la chanson
(1951) qui donna au monde tant de succès : Verso l’estate, Volare, Nel blu dipinto di blu (1958), là,
souvenirs d’Orange mêlés, rangaines italiennes pour la couleur locale, un peu
de twist (début 60) pour l’internationale. Fétiches de ces années 60, une
Fiat 500 rouge (créée en 1957), déboulera, bourrée comme un œuf des musiciens
de la sérénade du Comte Almaviva et nous aurons aussi l’inoubliable et inusable
Vespa de Figaro qui viendra avec son seau de colle placarder des affiches de
pub pour son salon de coiffure et autres choses.
Le cinéma est une
industrie qui tourne à plein à cette belle époque, âge d’or du cinéma italien
et l’on voit déambuler, moins qu’à Orange, bien sûr, des figurants échappés d’autres
tournages, un centurion arraché de quelque péplum voisin pour la pause-café, un
curé, un délicieux ragazzo, espiègle
enfant de chœur.
Avant même donc que
ne commence l’opéra, sur le plateau, c’est tout l’apparent désordre
effervescent italien qui se résout toujours, quand on le connaît bien, par une
miraculeuse et efficace improvisation de dernière minute sur le fil du rasoir,
désordre plutôt présidé, secrètement, par un ordre supérieur sous la
brouillonne apparence de bricolage à donner des boutons aux sérieuses gens du
nord. Mais à Toulon, on est en proche pays de connaissance. On imagine
facilement aussi que le montage d’un opéra de ce type en son temps devait
relever aussi de cette joyeuse, nerveuse et incernable agitation créatrice.
Sans parler de la vitesse prestissime avec laquelle Rossini écrivait sa
musique, celle-ci en particulier. Une belle adéquation à la réalité de la
création d’autrefois, loin de la sacralité avec laquelle, souvent, on traite,
et maltraite des œuvres confites dans une dévotion mal comprise, dans un respect
sans chaude sympathie, momificateur.
Le décor
(Adriano Sinivia et Enzo Ioro) de l’opéra lui-même, est constitué de
quelques modules simples astucieusement mobiles, déplacés à vue en fonction de
leur fonction : façade de la maison de Bartolo et Rosina, place publique,
puis, retournés, intérieur de l’appartement : endroit et envers du décor,
littéralement, sous nos yeux, émerveillés du jeu. Les costumes sont également d’Enzo Ioro (qui
campe par ailleurs un Ambrogio muet mais hilarant) référant aussi aux années
60, et l’on pense aux films joyeux de Vittorio de Sica, avec leur amour,
humour et fantaisie.
Les lumières, ici
de Fabrice Kebour, complètent et prolongent tout ce jeu sur l’image,
nuit, aube, jour, scène infernale rouge de folie générale et policière. Les
vidéos de Gabriel Grinda, à défaut de l’écran géant d’Orange qui faisait
défiler le film en train de se faire, se projettent sur les murs des
décors, les animant du rêve de Figaro (pluie de billets au rythme étourdissant
de son zapateado « Bravo,
bravissimo… » ), celui de mariage de Bartolo, clins d’œil rapides au
cinéma italien, figurant en gros plan les visages expressifs de certains
acteurs, permettant habilement aux spectateurs du fond de voir l’expression
physique des chanteurs, visualisant l’effondrement du mur le tremblement de
terre annoncé, pendant le coup de canon vocal de l’air de la calomnie, la
tempête du dernier acte, etc. Et tout cela fait sens sur le son, ravissant les
oreilles et les yeux, sans les dérouter, les uns des autres comme souvent des
mises en scène qui, occupant trop le regard et l’espace, distraient de la
musique.
On ne peut que répéter
note admiration pour l’intelligence des moyens modernes mis au service d’une
œuvre qui n’en est pas écrasée mais exaltée dans toutes les dimensions de sa
multiple théâtralité. Avec tout ce matériel, ces appareils, tout cet
appareillage, aucune lourdeur mais une légèreté brillante, une élégance dans
l’humour : rossinienne en somme. Tirant toutes les ficelles de ce complexe
édifice, sans parler du jeu d’acteurs digne du meilleur de la comédie
italienne, sans un temps mort, Adriano Sinivia signe ainsi encore, dans
un espace réduit, une mise en scène oouverte digne d’un prestidigitateur. Il
nous place dans l’action qui se déroule sous nos yeux et dans les coulisses de
l’action, dans l’œuvre finie et fignolée et l’œuvre en train de se faire.
Du fond du théâtre
ici, il lance : « Azzione ! », on tourne et, sur
l’ouverture, le générique du film opéra défile sous nos yeux, avec la
présentation en gros plan, à l’ancienne, des héros comme se déploie la musique.
On aura aussi les « Coupez ! » de fin de scène, articulant au
mieux, littéralement, le découpage en scènes et séquences.
Les trouvailles s’enchaînent
gaîmant, trop nombreuses pour les dire toutes. Entre autres, hilarante de subtilité,
scène des plus drôles, secret de derrière la caméra qui nous est révélé :
Figaro et le Comte, partant en trombe sur la Vespa immobile tandis que défile,
derrière eux, à toute allure, le film de la route supposée parcourue, que le
ventilo souffle sur leurs cheveux pour donner l’illusion du vent de la vitesse,
avec le magique résultat, sur l’écran du mur où se projette le film, d’une
course poursuite à laquelle nous habitue l’illusion fabriquée du cinéma :
témoins et complices de l’artifice, nous tombons avec bonheur dans le jeu et sa
magie, même dévoilée.
On en aura vu des réalisations
du Barbier de Séville ! On en
aura vu des Rosines remarquables, admirables, inoubliables. Pourtant, il faut
oser le dire, je n’ai guère de souvenir de plateau si homogène musicalement,
vocalement, scéniquement.
Dès l’entrée,
à la direction musicale, le nordique Jurjen Hempel, en grand chef de
tous les climats musicaux, de sa baguette magique fait pétiller un Orchestre
de l’Opéra de Toulon au mieux de légères couleurs méditerranéennes, rossiniennes.
On s’amuse d’entendre comment cette ouverture, à laquelle on a
rétrospectivement identifié le Barbier,
alors qu’elle avait déjà servi à Rossini pour deux dramatiques opéras sérias, avec
un début haletant, angoissant, est habilement amenée par le chef, avec ses impertinentes
et piquantes flûtes, ses tempi capricants dans sa seconde partie, vers ce
bouffe apposé qui nous ravit. Pas un temps mort, une vivacité de tous les
instants, imposants, aux chanteurs, un rythme sans défaillance, et ils n’en
auront aucune, du dernier au premier.
Participant aux
décors, auteur des costumes, comment ne pas saluer encore ici Enzo Ioro qui
joue en plus un Ambrogio, muet, domestique stylé et endormi, sauf
lorsqu’il intègre les moments de folie de groupe, prêt à faire le coup de feu
pour son tyrannique maître Bartolo ? Un officier plein de rude et drôle
prestance, c’est Jean-Yves Lange, issu avec bonheur des chœurs pleins de
fougue mais contrôlés de Christophe Bernollin. Le baryton Mathieu Gardon est un
Fiorello, à belle voix, meneur de la clique claquante, caquetante, tonitruante,
des musiciens débridés de l’aubade, personnage pas simplement éphémère,
intelligemment utilisé par le metteur en scène comme comparse et complice du
Comte, amant ou amoureux de Berta l’esseulée plaintive, qui tire apparemment
bien son épingle amoureuse du jeu tout en ne paraissant que spectatrice, du
haut de son chaste balcon à son corps défendant ou défendu, d’un univers érotisé où tout invite à la
jouissance, prostituée, maquerelle dépêchant un billet, marin en goguette,
intrigues matrimoniales de la maison. C’est, au-delà de toute la machine
technique de cette mise en scène, une des réussites de l’intelligence humaine
de la mise en scène qui, malgré des allures caricaturales de servante
aigrie ou résignée, fait de Berta, campée
remarquablement par Dima Bawab, un vrai personnage existant au-delà de
son air unique de laissée pour compte mélancolique : l’humanité nichée dans le
bouffe.
Don Basilio,
personnage d’intrigant inquiétant sauvé finalement de la noirceur maléfique par
son opportunisme intéressé comique, est incarné par la basse Ivo Stanchev,
à la puissance suffisante pour justifier ces images cataclysmiques qui
illustrent son insidieux, insinuant conseil de Machiavel musicien, crescendo strophique
et catastrophique éclat de victoire terrifiante sur le calomnié écrasé sous la
calomnie.
Bartolo, baryton
bouffe, dans cette production, est digne d’un personnage de comédie italienne
parfaitement en place dans un film : Pablo Ruiz en endosse la digne
veste bourgeoise avec aisance scénique et vocale : la strette
véloce de son grand air à Rosine est admirable de clarté musicale et de
diction, ce qui est une prouesse dans le débit rapidissime imposé justement par
le chef.
Avec une
méconnaissance un peu affligeante de la technique d’époque de, littéralement, fabrication d’un opéra,
qui se faisait à un rythme pratiquement de production industrielle, dont
Rossini est le parfait exemple, au nom
de la mode actuelle d’une fidélité naïvement sacralisée à l’original de l’opéra
(très discutable pour ce type d’œuvre), à la fin, quand la voix du ténor est compréhensiblement bien
fatiguée, on lui inflige le pensum d’un air (« Cessa di piu resistere…»),
interminable et horriblement difficile, inutile à l’action déjà conclue. Rossini
lui-même, intelligiblement, l’avait supprimé dès la reprise de son opéra en
Italie pour en faire le feu d’artifice final de la Cenerentola. En effet, comment peut-on prétendre à une fidélité
textuelle à la partition quand on oublie que ce rôle même du Comte fut créé par
un baryton ténorisant, il est vrai virtuose, qui chantait aussi Don Giovanni,
Manuel García ? Ce n’est que la décadence du bel canto entraîné par le
wagnérisme et le vérisme que les voix graves devinrent incapables de vocaliser.
Le miracle, ici, c’est que le Comte Almaviva de Juan José de León, sans
rien sacrifier de sa part tout au long de l’œuvre, se donnant
entièrement au jeu et au chant, avec une voix solide qu’il sait alléger,
conserve une fraîcheur, une agilité qui lui permet de se tirer, de manière
éblouissante, de cette inutile épreuve finale.
Pour les voix
féminines, depuis le retour à la partition première et au ton originel de
Rossini par la mythique Conchita Supervia dans les années 30, la
restauration de la partition critique d’Alberto Zedda, reprise par le
travail de Claudio Abbado et Teresa Berganza plus tard, il y a toute une
génération de chanteuses belcantistes aux voix graves mais vocalisantes voulues
par Rossini qui sont parfaitement à l’aise aujourd’hui dans ce style et couleur
de chant. Or, on a beau garder en mémoire tant de belles Rosines, celle
de Ginger Costa-Jackson nous apparaît exceptionnelle : sa voix,
pleine sans être lourde, a une couleur hispanique, sensuelle, charnelle mais
sans aucune vulgarité, vocalisant comme en se riant des difficultés dont se hérisse la partition. C’est une Rosine d’une évidence idéale, picaresque plus
que canaille, dont tout le corps, geste, visage, regard, fait sens. Loin
d’être une oie blanche, elle se définit comme « une vipère » si
besoin pour défendre ses intérêts, et on
la croit sans peine à la façon dont elle prend la farine, la disperse orageusement,
rageusement pétrit la pâte à pizza avec un rouleau à pâtisserie dont elle
fait un possible rouleau compresseur contre son oppresseur de tuteur dans une
scène encore hilarante où, avec Berta, on la voit préparer le rituel repas
italien, le vérisme humoristique faisant intrusion dans le lyrisme belcantiste
efflorescent.
Figaro arrive
pétaradant dans sa Vespa, chasse d’un revers de main le petit moucheron, le
fripon petit garçon, se met à coller, placarder une affiche, non un placard
politique subversif, mais une belle et habile pub pour sa boutique (devenue, à
la fin, affiche du film) : l’évidence d’un personnage d’emblée comme son
air déjà triomphant, qui tient déjà le haut de l’affiche. Vincenzo Nizzardo,
grand, svelte et beau, donne une inhabituelle noble allure à ce Figaro dont on
découvrira, dans la suite, avec son Mariage
et Noces, qu’il n’est pas un rustique
plébéien mais un aristocrate arraché enfant à sa famille. Mais, de toute façon,
noble ou pas, il a la seule noblesse qui compte, celle de l’intelligence,
l’aristocratie de l’esprit, ne devant rien à sa naissance comme le Comte mais
tout à son travail et à son industrie. Et ce chanteur a une telle facilité dans le chant, les
vocalises terribles que l’on ne sent nullement l’effort, dans tant d’aisance
fruit justement du travail.
Ce grand repas de noces aux spaghettis tandis que les mariés vainqueurs convolent et s'envolent sur la Fiat 500 du début est une scène finale, fellinienne, digne de ce cinéma ici célébré.
Superbe fin et
début d’année !
Opéra
de Toulon,
28,
30 décembre 2018, 1er janvier 2019
ll barbiere di Siviglia de
Rossini
Direction musicale : Jurjen Hempel.
Mise en scène et
décors : Adriano Sinivia. Décors
et costumes : Enzo Iorio.
Lumières : Fabrice Kebour.
Vidéos : Gabriel Grinda.
Lumières : Fabrice Kebour.
Vidéos : Gabriel Grinda.
Rosina : Ginger Costa-Jackson ; Berta
: Dima Bawab.
Le comte Almaviva : Juan José de León ;
Figaro : Vincenzo Nizzardo ;
Bartolo : Pablo Ruiz ;
Basilio : Ivo Stanchev ;
Bartolo : Pablo Ruiz ;
Basilio : Ivo Stanchev ;
Fiorillo : Mathieu Gardon
Un officier : Jean-Yves Lange.
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon.
Production Opéra de Lausanne .Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon.
Photos : © Frédéric Stéphan
1. Clap de fin de scène (Rosine, Bartolo et machiniste) ;
2. Aubade du Comte rêvant de Rosine ;
3. Départ à Vespa du Comte à chapeau et Figaro ;
4. Le barbier coiffeur, confident de la dame ;
5. Leçon de musique particulière ;
6. Désordre concertant d'un finale d'acte ( de gauche à droite : Lange, Costa-Jackson, Ruiz en blanc, Nizzardo, Stanchev derrière Bawab) ;
7. Banquet de noce et départ des mariés.
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