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DIALOGUE RCF
N°448
Enregistrement
25/6/2020
CORINE PELLUCHON, Réparons le monde,
Humains, animaux, Nature, Rivages poche, Petite Bibliothèque, 285 pages,
8,80 €
Sorti fin mai 2020, à peine sur les rayons, rayonnant
de lucidité, voici un livre urgent, qui n’est pas écrit dans l’urgence ;
un livre opportun, mais qui
n’est pas opportuniste. Il n’est
pas né de la génération spontanée de la pandémie que nous vivons, qui, tant pis
pour la redondance, génère une
génération d’ouvrages devenus presque un genre, que je dirais dégénéré
au niveau moral, des livres écrits à la va vite, et je ne dis pas
pensés, conçus le temps d’un confinement, pauvres petits ouvrages qui ne visent
qu’à surfer sur la vague de ce virus
pour des raisons d’opportunisme mercantile immédiat. Tout le contraire de ce
livre généreux de Corine Pelluchon, qui
dénonce, à longueur de publications passionnantes et d’interventions
passionnées dans des colloques, des conférences, ce monde effréné du lucre,
d’un capitalisme néo-libéral avide de richesse : les styles de vie qui en
découlent ont un impact destructeur écologique et social puisque on épuise,
sans les partager, les ressources de notre planète, la nature et les animaux
et, à terme, les sociétés démocratiques car il n’y a pas de compartiments
étanches entre nature, animalité, humanité, sociabilité. C’est donc un livre
bien d’aujourd’hui pour non seulement penser —et panser, mettre des pansements
sur les blessures du monde blessé, le
réparer, et préparer le monde de demain. Réparer, ce n’est pas en recoller
d’inutiles morceaux pourris mais « défendre la vie ».
Il s’agit d’un recueil de sept articles déjà parus dans
des revues et grands journaux, qui éclairent
dix ans du parcours de cette philosophe et qui sont éclairants sur notre monde actuel
dont tout le monde convient qu’il est en danger, dont chacun s’alarme, sans alerter sur les
solutions. Corine Pelluchon en propose de concrètes, toujours sagement
réalistes, jamais coercitives, pour « le bien commun », un nouveau contrat social, non petitement
limité à une société mais ouvert au monde des autres, à l’environnement
naturel, aux animaux. Mettre l’écologie et la condition animale au cœur de la
République est une condition pour réinventer la démocratie.
Une grande part de ce recueil, est consacrée à la cause animale qui, avait fait
l’objet d’un livre, Manifeste animaliste. « Politiser la cause
animale », paru en 2017 aux éditions Alma, dont nous avons parlé ici. Les
violences infligées aux animaux depuis l'industrialisation, qui produit de la
viande comme on produit des automobiles, sont le miroir d'un modèle de
développement fondé sur l'exploitation sans limite des ressources des autres
vivants.
En effet, le
« spécisme », cette conception élitiste qui place, sans se
questionner, sans problème de conscience, l’espèce humaine au-dessus de tout,
établissant des hiérarchies de valeur sur le vivant, est la racine du racisme,
du sexisme, la légitimation abusive de la domination, qui s’exerce toujours sur
le corps de l’autre, par les plus forts sur les plus faibles, esclaves, femmes,
enfants, animaux. Je rappelle, personnellement
que, vers la fin du XIXe siècle, un grand penseur comme
Ernest Renan écrivait tranquillement une hiérarchie des peuples et des races, d’après
lui, selon l’ordre de la nature : le Chinois, est fait pour être ouvrier ;
le noir, pour travailler la terre, et la race européenne, est celle des maîtres
et soldats. On n’hésitait pas à préciser, en cette époque d’expansion coloniale
sans état d’âme, que le jaune était insensible à la douleur, le noir, à la
fatigue, donc, faits par la nature comme auxiliaires de la faiblesse physique
des blancs. Mettez sous les noirs, les animaux et, quelque part, les juifs, et
nous savons ce que donnera, au XXe siècle ce catalogue des
hiérarchies raciales.
Pour en revenir à Corine Pelluchon, sa pensée est
nourrie des Lumières du XVIIIe siècle, des Droits de l’Homme, qui la
légitime pour proposer ceux des animaux, de la nature : cette nature dont
je disais, lors du confinement, qu’elle n’a pas besoin de nous mais nous,
d’elle. Mais, pensée de loin, de haut, sa réflexion, je le répète, est
absolument d’aujourd’hui et d’ici-bas. Loin des théories abstraites et abstruses, la réflexion
de Corinne Pelluchon serait une utopie si elle ne s’inscrivait ici et
maintenant, bien plantée sur terre, ancrée dans notre société, dans notre
monde, dans la nature, dans le concret de notre corps, de nos besoins, les
conditions matérielles de notre existence, biologiques,
environnementales et sociales.
Elle ne prône ni un retour mythique, mirifique, aux origines, et son discours sur les bêtes n’est pas bêtifiant :
c’est une morale individuelle et collective qu’elle propose, élargie à la
planète, disloquée par les intérêts mercantiles de certains, qui sont la
catastrophe annoncée pour nous tous. Je résumerais à ma façon sa généreuse
ambition : faire d’un monde partagé, le monde du partage.
Son dernier chapitre, « La vieillesse et l’amour du
monde » est une délicate réflexion morale sur la vieillesse et le
vieillissement, sur l’autonomie et la dépendance de nos ainés, de nous-mêmes,
sinon aujourd’hui, inévitablement un jour, posant le problème :
« Comment bien vieillir dans une société de la performance ? » Cette réflexion, si l'on peut dire déjà ancienne chez elle, s'est vue rajeunie, d'actualité aiguë dans ce que nous avons connu ou dramatiquement vécu dans les Ehpads au plus fort de la pandémie.
Corine Pelluchon,
Professeure à l’Université Gustave Eiffel, est membre du Conseil scientifique de la Fondation pour la
nature et l’homme de Nicolas Hulot.
Elle est déjà à la tête d’un grand nombre d’ouvrages qui ont reçu des
distinctions prestigieuses. Elle vient de recevoir en Allemagne le Prix de la
pensée critique Günther Anders pour l’ensemble de ses travaux.
On a pu rêver, autrefois d’un monde idéal où les philosophes seraient rois, ou les rois,
philosophes. On ne peut s’empêcher de rêver d’une telle philosophe, de
Corinne Pelluchon au moins au ministère de l’écologie : si c’est un rêve
pour nous, pas sûr que ce le serait pour elle.
CORINE
PELLUCHON, Réparons le monde, Humains, animaux, Nature, Rivages poche,
Petite Bibliothèque, 285 pages, 8,80 €
https://rcf.fr/culture/livres/la-culture-en-provence-jeudi
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