LE RÊVE PASSE…
Le songe d’une nuit d’été
De Benjamin Britten
Livret du compositeur et Peter Pears d’après Shakespeare
Opéra de Toulon, 5 décembre
Le songe d’une nuit d’été
De Benjamin Britten
Livret du compositeur et Peter Pears d’après Shakespeare
Opéra de Toulon, 5 décembre
La qualité paie. L’exigence de Claude Henri-Bonnet, Directeur général de l’Opéra de Toulon, qui mêle judicieusement opéras du répertoire et œuvres plus rares, remporte ses fruits : une salle comble a fait un triomphe mérité à A midsummer’s night dream de Britten.
L’œuvre
Parue en 1600, cette féerie de Shakespeare, dont Britten (1913-1976) fait son fidèle opéra de 1960 pour son festival d’Aldeburgh, avait déjà séduit Purcell qui en tira The Fairy Queen (1692) et Mendelssohn sa musique de scène (1827), dont tout le monde connaît au moins la fameuse « marche nuptiale », sans compter les adaptations pour le théâtre et même le cinéma, dont un film de Woody Allen. Avec ses trois niveaux de personnages, les terre-à-terre artisans épris de théâtre, les terrestres humains et le monde surhumain des fées, nous avons une fascinante mise en abyme de la théâtralité : les fées contemplent le manège des humains qui seront spectateurs de la tragédie involontairement burlesque des rustauds comédiens, le tout sous le regard d’Oberon, roi des fées qui mène le jeu, compliqué par l’étourderie de son elfe favori, Puck. Nous avons donc la guéguerre entre Oberon et Titania sa reine, qui se disputent (comme un couple séparé aujourd’hui la garde d’un enfant) un petit page indien ; le chassé-croisé amoureux d’un quatuor de jeunes gens, je t’aime, moi non plus, et des artisans à vocation d’artiste qui veulent donner en spectacle la tragédie des Roméo et Juliette babyloniens, Pyrame et Thisbé, au couple noble de Thésée qui a séduit Hippolyte, la farouche reine des Amazones qui menaçaient Athènes. Le tout dans une forêt durant à la mi-été, soit le 14 août, la magique « Nuit des étoiles ».
La réalisation
L’un des charmes de la mise en scène de Jean-Louis Martinoty, sur fond de nuit brumeuse et des lumières oniriques et féeriques de Fabrice Kebour, dans un décor de forêt stylisée (Bernard Arnould) c’est de rendre sensible la nature évoquée poétiquement dans le texte de Shakespeare avec ses animaux (loup, ours, lion, hibou, chauve-souris, guère redoutables, âne) et, surtout, une faune et une flore à l’échelle délicate des fées : ver luisant, abeilles aux pattes regorgeant de cire pour de minuscules flambeaux, bourdon aux pattes chargées de miel gourmand, les oiseaux aux plumes colorées, la peau irisée de la mue de la couleuvre qui peut servir de robe moirée à une fée ; boutons de rose ourlés de perles de rosée, clématite, chèvrefeuille, thym… Une chauve-souris, un énorme hérisson, une sauterelle sur un immense tronc d’arbre, l’ampoule rouge ou bleue du philtre magique végétal donnent cette dimension exquise et d’un poétique humour. Les costumes lumineux, très pile Wonder (Daniel Ogier), aux coiffes et coiffures pleines d’extravagante fantaisie, apportent leur dimension de rêve au peuple nocturne des fées, tandis que les nobles humains sont en blanc très british de joueurs, sinon de tennis, de badminton moins compliqué sur une scène!
L’interprétation
La direction musicale de Steuart Bedford, qui eut la chance de travailler avec Britten lui-même, tire toute la magie de cette partition pleine de finesse fantasque : sons doucement métalliques du clavecin pincé, des clochettes, du triangle, harpe, avec des glissandis d’envol ailés furtifs pour le monde des fées. Oberon (créé par Alfed Deller) a ici la voix ronde, timbrée du contre-ténor Rachid Ben Abdeslam, nimbée de poésie et Tytania est la soprano colorature Maïra Kerey, qui se tire avec une aisance magique de son air, bref mais hérissé de "cocottes " , de vocalises de vraie Reine de la Nuit et de trilles comme des battements d'ailes. Couple féerique vraiment. Le quatuor d’amoureux ont les voix, belles et traditionnelles de soprano/ténor (Marjorie Muray/Jonathan Boyd), mezzo/baryton (Delphine Galou /Jean-Sébastien Bou) et les nobles humains, les timbres majestueux de basse pour Thésée (Randall Jakobsch) et de contralto pour Hippolyte (Elodie Méchain). L’inénarrable sextuor des artisans (Iain Paterson ; Jean Teitgen ; Yuri Kissin ; Christophe Berry ; Thomas Dolié ; François Piolino) fait passer son plaisir de jouer, de danser et Piolino, en travestie Thisbé, ébauche une danse du papillon à la Loïe Fuller et meurt dans un battement des mains qui est celui de Pavlova dans le Lac des cygnes, un régal royal. Enfin, le Puck parlant de Scott Émerson, diablotin boiteux et guindé, maître de cérémonie raidement anglais mais un peu zinzin, fait passer, avec sa belle diction anglaise, toute la beauté du vers shakespearien.
On regrette cependant que l’on ait abandonné le chœur d’enfants pour les fées bien que, malgré une légère hésitation, celui de l’Opéra de Toulon (Catherine Alligon) s’en tire au mieux pour le bonheur de tous. Une réussite.
Photos ©Frédéric Stéphan
1. Titania et sa cour de fées ;
2. Obéron roi nocturne ;
3. Le coucher de Titania.
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