L’ENTERREMENT DE MOZART
Opéra de chambre.
Livret d’Hubert Nyssen, musique de Bruno Mantovani,
Illustrations d’André Beaurepaire,
Interprété par Musicatreize, direction Roland Hayrabedian
Éditions Actes Sud, 43 pages, et un CD 25, 00 €
Opéra de chambre.
Livret d’Hubert Nyssen, musique de Bruno Mantovani,
Illustrations d’André Beaurepaire,
Interprété par Musicatreize, direction Roland Hayrabedian
Éditions Actes Sud, 43 pages, et un CD 25, 00 €
Légendes
Non, contrairement à la légende pieuse et larmoyante, Mozart, à sa mort, cortège funèbre sans personne, ne fut pas jeté à la fosse commune, pas plus qu’il ne fut empoisonné par le supposé jaloux de ses succès, Antonio Salieri (alors bien plus célèbre que lui) comme le laisse entendre le film simpliste de Milos Forman, Amadeus. L’enfant aimé de Dieu, Gottlieb ou Amadeus, à sa mort, subit simplement le lot commun de tous les mortels viennois de son temps, décrété en 1784, par son « frère » en maçonnerie, l’Empereur Joseph II. En effet, ce monarque réformateur et soucieux d’hygiène, pour éviter le risque d’épidémie dû à l’engorgement des cimetières trop petits dans l’enceinte de Vienne, les fit transporter à quelques kilomètres de la ville, avec interdiction de cortège. Les corps, après une cérémonie religieuse simple, imposée pour limiter les débauches de pompes funèbres, étaient conduits hors ville au coucher du soleil et déposés dans une chapelle du cimetière correspondant au quartier, et enterrés le matin suivant à plusieurs, enveloppés dans des sacs, sans cercueil en général, ces derniers étant réutilisables pour le transport des corps. Les cadavres étaient ensevelis dans des tombes et non des fosses communes. L’absence de cercueil accélérant la décomposition, tous les six ans, on vidait les cimetières pour gagner de la place, comme aujourd’hui on incinère. Mozart subit le sort commun et non aucun ostracisme post-mortem au cimetière de Saint–Marx.
Le livret
Le livret de Nyssen, écrivain fondateur des éditions Actes Sud, joue de cette légende romantique, agrémentée d’une autre : la gravure intitulée l’Enterrement du pauvre, un corbillard suivi d’un petit chien, Beethoven l’aurait baptisée l’Enterrement de Mozart. Et voilà qu’un visiteur (le clair ténor Olivier Coiffet) découvre dans une vitrine cette gravure qu’il veut acheter. Il entre dans l’antre où un vieillard (belle voix de basse de Jean-Manuel Candenot) ne peut ou ne veut vendre, désirant seulement parler de son philosophe de chien mort, Aristide.
Le texte, en vers libres parfois bien scandés en hémistiches d’alexandrins, n’est pas simple avec ses références à Lillith, la première femme redoutable de la Bible, avant Ève, à Lacan (sans doute pour le baroque des jeux de mots et la théorie du désir), à Kant, ses allusions à Shakespeare et à Sartre. Les meilleurs moments sont les malentendus verbaux du malentendant vendeur et les dérives et dérivations phoniques, les plaisantes décompositions de mots, du visiteur bégayant comme dans Rossini, que la musique souligne avec humour. L’aria du chien est bien drôle.
La musique
L’œuvre fut créé au Festival International de Musique de Besançon Franche-Comté cette année, et reprise à Marseille dans sa version scénique.
D’insolites percussions, des vibrations poétiques, des glissandi oniriques de clarinette, préludent avant que ne s’entonne en répons un logique Requiem à cinq voix. L’effectif instrumental, clarinette, violon, alto, violoncelle, contrebasse, piano et percussions, est léger mais dense par le traitement microtonal souvent de Mantovani, des entrelacs, des pincement vibrés de guitare, des trémolos de cordes, des trilles, des effets sombres de basse et des éclats dans un soyeux tapis de cordes au continuum très séduisant. Trois voix de femmes (Kaolo Isshiki, Elise Deuve, sopranos lumineux et le somptueux mezzo de Mareike Schellenberger) ont le rôle de la Voix du texte, du chœur antique : elles commentent l’action plus qu’elle n’y participent à l’inverse des Trois Dames rituelles de la Flûte enchantée. Le jeune compositeur Bruno Mantovani, en se jouant, joue le jeu de ce texte verbal étrange avec une verve constante et beaucoup d’humour. Les tessitures des voix aiguës sont tendues mais les chanteurs passent sans problème de la voix parlée au parlando et à la déclamation lyrique, qui rend cependant difficile, à ces hauteurs, la compréhension du texte, déjà pas très dramatique au sens scénique, et sans action très sensible à quoi se raccrocher.
Roland Hayrabédian, lui, mène ses excellents musiciens et chanteurs de Musicatreize (Victoires de la Musique classique 2007 bien méritées) avec son doigté, sa souplesse et sa finesse bien connues et si appréciées, sans relâche.
Les illustrations d’André Beaurepaire (voir dans ce blog son exposition, Peinture), vives, poétiques, ajoutent au régal des yeux le plaisir de l’oreille. Un bien beau livre qui s’inscrit dans la superbe collection des Sept contes musicaux, dont trois sont déjà parus aux mêmes éditions Actes Sud.
Non, contrairement à la légende pieuse et larmoyante, Mozart, à sa mort, cortège funèbre sans personne, ne fut pas jeté à la fosse commune, pas plus qu’il ne fut empoisonné par le supposé jaloux de ses succès, Antonio Salieri (alors bien plus célèbre que lui) comme le laisse entendre le film simpliste de Milos Forman, Amadeus. L’enfant aimé de Dieu, Gottlieb ou Amadeus, à sa mort, subit simplement le lot commun de tous les mortels viennois de son temps, décrété en 1784, par son « frère » en maçonnerie, l’Empereur Joseph II. En effet, ce monarque réformateur et soucieux d’hygiène, pour éviter le risque d’épidémie dû à l’engorgement des cimetières trop petits dans l’enceinte de Vienne, les fit transporter à quelques kilomètres de la ville, avec interdiction de cortège. Les corps, après une cérémonie religieuse simple, imposée pour limiter les débauches de pompes funèbres, étaient conduits hors ville au coucher du soleil et déposés dans une chapelle du cimetière correspondant au quartier, et enterrés le matin suivant à plusieurs, enveloppés dans des sacs, sans cercueil en général, ces derniers étant réutilisables pour le transport des corps. Les cadavres étaient ensevelis dans des tombes et non des fosses communes. L’absence de cercueil accélérant la décomposition, tous les six ans, on vidait les cimetières pour gagner de la place, comme aujourd’hui on incinère. Mozart subit le sort commun et non aucun ostracisme post-mortem au cimetière de Saint–Marx.
Le livret
Le livret de Nyssen, écrivain fondateur des éditions Actes Sud, joue de cette légende romantique, agrémentée d’une autre : la gravure intitulée l’Enterrement du pauvre, un corbillard suivi d’un petit chien, Beethoven l’aurait baptisée l’Enterrement de Mozart. Et voilà qu’un visiteur (le clair ténor Olivier Coiffet) découvre dans une vitrine cette gravure qu’il veut acheter. Il entre dans l’antre où un vieillard (belle voix de basse de Jean-Manuel Candenot) ne peut ou ne veut vendre, désirant seulement parler de son philosophe de chien mort, Aristide.
Le texte, en vers libres parfois bien scandés en hémistiches d’alexandrins, n’est pas simple avec ses références à Lillith, la première femme redoutable de la Bible, avant Ève, à Lacan (sans doute pour le baroque des jeux de mots et la théorie du désir), à Kant, ses allusions à Shakespeare et à Sartre. Les meilleurs moments sont les malentendus verbaux du malentendant vendeur et les dérives et dérivations phoniques, les plaisantes décompositions de mots, du visiteur bégayant comme dans Rossini, que la musique souligne avec humour. L’aria du chien est bien drôle.
La musique
L’œuvre fut créé au Festival International de Musique de Besançon Franche-Comté cette année, et reprise à Marseille dans sa version scénique.
D’insolites percussions, des vibrations poétiques, des glissandi oniriques de clarinette, préludent avant que ne s’entonne en répons un logique Requiem à cinq voix. L’effectif instrumental, clarinette, violon, alto, violoncelle, contrebasse, piano et percussions, est léger mais dense par le traitement microtonal souvent de Mantovani, des entrelacs, des pincement vibrés de guitare, des trémolos de cordes, des trilles, des effets sombres de basse et des éclats dans un soyeux tapis de cordes au continuum très séduisant. Trois voix de femmes (Kaolo Isshiki, Elise Deuve, sopranos lumineux et le somptueux mezzo de Mareike Schellenberger) ont le rôle de la Voix du texte, du chœur antique : elles commentent l’action plus qu’elle n’y participent à l’inverse des Trois Dames rituelles de la Flûte enchantée. Le jeune compositeur Bruno Mantovani, en se jouant, joue le jeu de ce texte verbal étrange avec une verve constante et beaucoup d’humour. Les tessitures des voix aiguës sont tendues mais les chanteurs passent sans problème de la voix parlée au parlando et à la déclamation lyrique, qui rend cependant difficile, à ces hauteurs, la compréhension du texte, déjà pas très dramatique au sens scénique, et sans action très sensible à quoi se raccrocher.
Roland Hayrabédian, lui, mène ses excellents musiciens et chanteurs de Musicatreize (Victoires de la Musique classique 2007 bien méritées) avec son doigté, sa souplesse et sa finesse bien connues et si appréciées, sans relâche.
Les illustrations d’André Beaurepaire (voir dans ce blog son exposition, Peinture), vives, poétiques, ajoutent au régal des yeux le plaisir de l’oreille. Un bien beau livre qui s’inscrit dans la superbe collection des Sept contes musicaux, dont trois sont déjà parus aux mêmes éditions Actes Sud.
Illustration : L'Enterrement du pauvre revu par André Beaurepaire
1 commentaire:
Bravo pour l'analyse, mais j'ai vu cet opéra, c'était affreux!
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