MARS EN BAROQUE
La viole et le violon
La viole et le violon
Mars en musique au Lenche et, à deux pas, Chapelle Sainte-Catherine, Mars en Baroque, sans compter tous les autres concerts ou récitals : à défaut de folle journée de musique de Nantes, mois de folie musicale. De quoi ne savoir plus où donner de la tête, de l’ouïe, à moins d’avoir la chance, comme certains animaux aux appendices auditifs mobiles, de chauvir des oreilles et de les tendre de deux côtés divers en même temps et d’écouter, en plurielle stéréophonie, deux concerts à la fois. N’ayant pas ce privilège, je me serai vu réduit à n’ouïr que deux des six concerts et à n’entendre aucune des trois conférences passionnantes par des spécialistes autour du thème choisi cette année par le directeur artistique de ce Centre Régional d’Art Baroque (CRAB), Jean-Marc Aymes qui, lui-même, à la tête de son Concerto Soave, couronnait ce 6 e Festival : «Viole de gambe ou violon… »
Attestée d’abord en Espagne, à Valence, la viole de gambe, semble une vihuela à archet, le luth espagnol, tenue entre les jambes que le futur pape Borgia, Alexandre VIII, père de César et Lucrèce, importa avec ses bagages à Rome, en Italie qui exalta l'instrument avant de l’éclipser par le violon plus simple et populaire, viole de bras, comme la vihuela, autre instrument aristocratique, le sera par la plébéienne guitare.
Le Nombre d’or au violon et au violoncelle
Envolées les violes, vive les violons, c’est ce qu’on se dit à l’audition du concert inaugural du Festival où la canonique basse continue de la musique baroque était tenue par Michele Barchi au clavecin, cordes pincées, et Gaetano Nasillo au violoncelle, cordes frottées, l’argent et l’or, et, au-dessus, voix chantante et tentante, argentée et dorée, le véloce violon aérien de Chiara Bianchini.
Le thème de ce concert était aussi poétique que mythique : le Nombre d’or en musique… Si dans notre culture antique, l’origine religieuse, pythagoricienne, des nombres et des proportions, laisse des traces moins mystiques que mystifiées, qui vont des numéros à la numérologie, il existe effectivement, en mathématiques, une proportion, dite « dorée » ou Nombre d’or dont on a vite fait une proportion idéale qui réglerait la perfection sans qu’aucun travail scientifique sérieux n’en ait démontré la réalité en dehors d’une certaine harmonie en géométrie, dont les expériences prouvent par ailleurs qu’elle ne garantit en rien ce qui est perçu comme parfait par le profane. Disons plutôt que cela peut être un principe interne d’organisation, de construction, un module qu’on peut personnaliser, comme Le Corbusier pour sa Cité radieuse, qui l’appela « modulor ». La musique, dans la globalisation rhétorique baroque des arts, étant considérée comme une « architecture sonore » et l’architecture comme une « musique visuelle », il est logique qu’on ait rêvé de détecter en celle-là le problématique Nombre d’or de celle-ci, sans qu’aucun témoignage de compositeur ne l’atteste, à moins d’y rajouter une fumeuse volonté d’ésotérisme. Quant à le déceler par des analyses en quantifiant mesures et cellules musicales, il est certain que tout texte, même musical, répond aux grilles externes qu’on lui impose et, après tout, le fondement même de l’harmonie repose sur des séries, le sérialisme en fait même son credo atonal.
Si l’on chinoise sur la thématique du concert, on ne chipotera sur son exceptionnelle tenue, ce voyage entre apogée et crépuscule du Baroque, fantasque et fantastique avec Vivaldi, et aurore sereine du Classicisme avec Costanzi et Giardini, encore que la majestueuse et lumineuse architecture d’un Corelli ou Locatelli allie le baroquisme de l’invention et le thème et développement rigoureux, comme une charnière dans ce concert à la gradation sensible d’un siècle de violon, de l’évolution mélodique au style autonome plus concertant où le violoncelle de miel dialogue à parts égales avec la crête mielleuse du violon sur les écumes mousseuses d’un clavecin.
On aura aimé cette élégance noble du jeu des interprètes avec ces instruments qui passaient alors pour populaires face aux fameuses violes, la pudeur de Chiara Bianchini qui a le bon goût de ne pas ajouter des effets et de l’affect aux affects déjà gonflés de la musique baroque, qui serait tomber dans l’effectisme, de ne pas alourdir d’expression l’expression, ce qui serait sombrer dans l’expressionnisme, pléonasme et caricature de l’art baroque d’essence aristocratique. Son coup d’archet irise et ne martyrise pas les cordes : baguette magique scintillant d’étoiles lumineuses, il effleure un épiderme, caresse, comme dirait Sartre, qui est prise de possession d’une profondeur.
26 mars
L’Autriche et l’Allemagne au XVII e siècle
Triomphant en Italie, le violon s’impose en Europe, l’Angleterre et la France seules résistant au nouvel instrument « populaire » auquel les luthiers italiens, raffinant son timbre et élargissant ses moyens, ont donné des lettres de noblesse que les compositeurs, expérimentant ses possibilités expressives et virtuoses vont offrir à la musique universelle.
Avec la complicité de Laurent Stewart, claveciniste couvert de récompenses pour son jeu franc et raffiné qui fit ruisseler l’instrument dans la Toccata de la 6e Partita WWV de Bach, Hélène Schmitt, anima de sa fougue, de sa passion, curiosité toujours en alerte, un parcours du violon dans les pays germaniques.
On ne pourra pas l’accuser de facilité car, à côté de Bach archi-connus mais qu’elle nous fait redécouvrir, voisinent de moins illustres (aujourd’hui) contemporains qu’elle nous convie à découvrir : Muffat, Walther et, certes un Biber pour qui la postérité fut moins ingrate. Que dire de cette interprète sans sombrer dans le dithyrambe ? On ne sait qu’admirer le plus, la maîtrise technique (qui ne suffit jamais), l’engagement charnel amoureux avec l’œuvre, la folle virtuosité qui lui fait prendre tous les risques, son art du rubato qui exalte un motif, qui suspend le vol d’une note, ces attaques (mot impropre tant il semble agressif) pianissimi, ou plutôt ces sons qui semblent issus du silence, filés au forte et rendus à l’insensible de la perception, dans un sentiment d’un infini d’une ligne tenue à l’invisible audible de la sonorité.
27 mars
Photos, successivement de haut en bas :
Michele Barchi, Gaetano Nasillo, Chiara Bianchini,
Laurent Stewart et Hélène Schmitt.
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