Si Édith Piaf, après la Seconde Guerre Mondiale, a laissé une profonde empreinte dans la mémoire collective française, Joséphine Baker, après la Première a laissé une trace plus importante dans l’Histoire artistique de notre temps.
Joséphine Baker
Née en 1906 dans le sud raciste des Etats-Unis, elle meurt en 1975, dans cette France devenue la patrie selon son cœur dont elle adopte la nationalité. Formée à l’école de la rue, maîtrisant la danse désarticulée, « caoutchoutée », elle débarque avec une troupe, dont Sidney Bechet, au Théâtre des Champs-Élysées et y gagnera une célébrité universelle. La mode picturale chic est aux Arts nègres, qui influencent des gens comme Picasso. Le terrain intellectuel et artistique est prêt pour accueillir, en octobre 1925, la Revue nègre. Le Tout Paris, auquel se mêlent des poètes, dont Robert Desnos, les écrivains comme Blaise Cendrars, ou le peintre Francis Picabia, en espère un choc aussi grand que celui des tumultueux Ballets Russes d’avant guerre. C’est le triomphe.
Colette, qui sait ce que danser nue veut dire, écrit : « Paris ira voir, sur la scène des Folies, Joséphine Baker, nue, enseigner aux danseuses nues la pudeur. »
Freda Josephine Mc Donald, au sang mêlé indien et noir, devenue Joséphine Baker, à coup sûr ambiguë dans son succès dont témoignent les fameuses affiches caricaturales sur les « bons nègres » joyeux et danseurs, importe à Paris une vision nouvelle, plus populaire, de la négritude, faite de bonne conscience colonialiste condescendante, festive, musicale, comique : elle fait le clown, louche à volonté, gonfle ses joues. Mais, au-delà de ces clichés, impose le jazz, le charleston et un art de vivre nouveau. La première « star noire », « La Vénus d’ébène » de 18 ans dansant nue avec son régime de bananes, que s’arrachent le disque et le cinéma, meneuse de revues, icône de la mode, habillée par Paul Poiret, devient l’incarnation de la femme au corps et cœur libérés des « Années folles ». Elle est sacrée « Reine de l’Exposition coloniale » de 1931, exaltation sans mauvaise conscience du colonialisme qui expose, comme attraction, des tribus d’indigènes, décimés par le froid, qui tourneront ensuite dans des cirques dans toute la France.
Pourtant, célèbre dans le monde entier, Joséphine mettra sa gloire au service de la lutte contre le racisme. Héroïne de la Résistance au nazisme, son périlleux travail de renseignements lui vaudra décorations et d’exceptionnels honneurs militaires à sa mort. Elle rêva d’un monde aux couleurs de sa « tribu arc-en-ciel », à l’image de ces orphelins de toutes races qu’elle adopta
À la recherche de Joséphine
Le spectacle musical de Jérôme Savary , qui en règle la mise en scène et signe les décors, mêle à l’hommage à cette grande dame, un témoignage ému à la Nouvelle-Orléans dévastée par le cyclone Katrina et l’histoire de jazz, inévitablement tissée de celle de l’esclavage.
Un canot pneumatique à l’avant-scène avec trois rescapés : Old Joe (James Campbell), qui sera le narrateur de l’histoire des descendants d’esclave et du jazz, un homme plus jeune (Tom (Allen Hoist) et une jeune femme qu’un producteur, le seul blanc de cette production (Michel Dussarrat), engagera pour jouer le rôle de Joséphine dans un « revival » de la légendaire Revue Nègre : Nicolle Rochelle, belle de corps, bonne et excellente danseuse et chanteuse, vraisemblable incarnation de la célèbre Vénus noire…en beaucoup plus clair. Des images terribles des dévastations du cyclone passent en boucle sur grand écran, alternées de tableaux bien venus (enterrement New Orleans, Club de jazz, expo coloniale…). La musique, les danses sont superbes mais le discours d'Old Joe, pavé lourdement de bonnes intentions anti-racistes, pro-noires, sombre dans le stéréotype « nègre » inverse et créée l’ombre inévitable du racial.
Cependant, en deuxième partie, les grands tableaux de la Revue nègre, le charisme de Nicole Rochelle, son abattage, son humour distancié par rapport à Joséphine Baker, les quatre superbes acteurs chanteurs, la formidable troupe de danseurs et ces magnifiques musiciens, offrent un bel exemple de spectacle vivant, vivifiant. Avec le remarquable meneur de jeu Dussarrat, la salle entonne « Paris, reine du monde… », chantonne « J’ai deux amours… », « La petite Tonkinoise » que chante merveilleusement la belle et jeune Rochelle La présence de Savary lui-même à la fin, pour présenter chaleureusement sa troupe, sa faconde, sa générosité, opèrent le miracle d’un beau partage heureux.
29 mars 2009
Photos
1. Jérôme Savary par Michel Montea;
2. Nicolle Rochelle et James Campbell (photo : S. Alvarez );
3. Le jazz…(photo : S. Alvarez ).
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