TAILLER DES VESTES…
Pour l'homme aux rubans verts… ( Molière)
Suprême élégance : être à l’aise partout, en smoking ou costume d’Adam. Si le débraillé règne aujourd’hui en maître parmi les spectateurs d’un théâtre qui a perdu sa valeur sacrale de célébration rituelle d’une société, qui n’a plus le sens du sacré mais celui du consacré, on éprouve cependant un certain malaise à le voir installé sur scène. Si l’ennui naquit un jour de l’uniformité, que peut naître de l’uniforme qui règne depuis des décennies sur la scène en matière de costume? Voilà plus de quarante ans que, sous prétexte de nous les rapprocher, de les moderniser, on nous joue les œuvres d’hier en vêtement d’aujourd’hui .
Petite panoplie vestimentaire
La surprise anti-conformiste de l’anti-culture des années 68 put faire en son temps son nécessaire choc au théâtre. Mais l’effet se défait, et ce qui est révolutionnaire au départ, installé, répété comme un pieux devoir de musée, devient une routine d’un illusoire épate-bourgeois : un académisme. Et le singulier d’une forme, généralisé, n’est plus qu’un uniforme. Avec dix ans de retard, la tendance s’emparait de l’opéra.
En 76, Patrice Chéreau se faisait huer à Bayreuth pour une Tétralogie habillée en années 30 avant de devenir un « must » acclamé pendant 25 ans dans le même lieu. Les metteurs en scène germaniques, suisses ou belges, comme s’ils avaient mis 30 ans à digérer Chéreau, nous resservent depuis le plat rance et réchauffé d’opéras habillés en tout sauf à l’époque du sujet, ce qui est d’une bien étrange pédagogie quand on veut initier des jeunes à la scène lyrique qui risquent d’égarer leurs repères chronologiques en découvrant le mythique Orphée de Monteverdi en smoking 1900, Agamemnon en débardeur et chapeau melon, Phèdre en tee-shirt, Hercules de Hændel en tee-shiret de marine et chemisettes multicolores par la grâce disgracieuse de Luc Bondy ; ils peuvent en perdre leur latin en voyant les Romains de Poppée habillés de pyjamas orientaux (Aix), Jules César, en explorateur africain entouré d’officiers de la Wehrmacht (Werniecke), les chevaliers médiévaux de Rinaldo , en terroristes palestiniens. On a vu Tristan en complet veston (Olivier Py) ; pour Mozart , on a eu Cosí dans un Mac Do (Peter Sellars), La Clémence de Titus en habits Louis XIII (Bourseiller, Aix) et années 30 ailleurs ; un frigorifique Don Giovanni aixois « Ikea » et « Findus » selon l’expression respectivement d’Edmée Santy et la mienne. Récemment, Don Juan a été noir à Harlem, « golden boy » dans les tours de la Défense, avec un Commandeur « manager » en fauteuil à roulettes (Haneke) et, encore à Paris, actuellement, des Noces de Figaro (Marthaller) se situent dans un hall d’hôtel lugubre de Berlin-est et s’habillent en tendance « Tati » tandis que Suzanne accompagne le poétique duo sur la brise avec la Comtesse à la machine à écrire et que les récitatifs sont soutenus au synthé ou en tapotant sur des verres par un personnage, « le récitativiste », qui commente l’action.
On a eu le « tout à l’époque de la création de l’œuvre » à la mode Ponnelle (réussie) des années 70. Mais pour quelques réussites, rares, des initiateurs, on se perdrait à énumérer la longue série de spectacles, imités, copiés, plagiés jusqu’à la nausée, affligés de ces tics devenus du toc. Ce qui pouvait passer pour novateur à l’époque est devenu, 40 ans après, un conformisme, un académisme affligeant. C’est devenu la solderie permanente, l’interminable fin de série des vieux modèles sempiternellement repris sous prétexte de neuf depuis 68. Ce n’est plus de la mode, c’est du copié collé dont on rougit pour les auteurs.
Imagination au pouvoir
Il ne s’agit pas de dénigrer la recherche en art qui, s‘il n’avance pas, recule. Les travaux de laboratoire, en ce domaine sont nécessaires, du moins quand le public n’est pas le cobaye d’expériences nombriliques de metteurs en scène à la mode.
Transposer une œuvre d’hier à une prétendue modernité d’aujourd’hui suppose beaucoup de méfiance quant à son pouvoir : une œuvre ancienne peut m’être aussi contemporaine qu’une contemporaine peut m’être lointaine et étrangère. Mettre en relief excessif sur scène la modernité d’une pièce implique qu’elle ne parle pas d’elle-même ; si sa modernité va de soi, la souligner, est un pléonasme. C’est un frein à l’imagination qui n’a même pas à aller chercher l’universel, l’intemporel, le contemporain dans la Rome antique puisque, appuyés, surlignés, tout mâchés, prédigérés, on les lui offre sur un plateau débordant d’intentions, si totales qu’elles en deviennent totalitaires.
Le physique nous est imposé par la nature ; le costume relève d’un choix, d’un goût, dit autre chose : ce que je suis, non ce que je parais. L’Un se dissout dans l’uniforme. C’est donc l’imagination qu’il faut raviver : un Bakst, un Picasso, un Dufy, une Sonia Delaunay, Léonor Fini, Bernard Buffet pour Carmen, etc, inventèrent des décors et des costumes : d’authentiques créations, des œuvres d’art en soi. Ils ne se contentèrent pas de se fournir au fripier du coin.
Etrange paradoxe : une époque qui se gargarise de cultiver la différence, qui apparemment respecte l’Autre, n’a de cesse, sur scène, de l’assimiler au Même en ramenant platement l’hier singulier à l’aujourd’hui le plus quotidien.
De qui est cette phrase ?
« Si au costume de l'époque, qui s'impose nécessairement, vous en substituez un autre, vous faites un contresens qui ne peut avoir d'excuse que dans le cas d'une mascarade voulue par la mode. » De qui sont ces lignes ? » De Baudelaire.
Maquettes de costumes d'Éliane Tondut, théâtre Gyptis, Marseille :
1. Jocaste (Œdipe Roi, Sophocle, mise en sène A. Vouyoucas, 1997 ) ;
2. Rosalba en guerre (La Vie est un songe, Calderón, mise en scène A. Vouyoucas, 2000) ;
3. Dorinda (Orlando, Hændel, mise en scène F. Chatôt, 2002) ;
4. Orlando ( Orlando, Hændel, mise en scène F. Chatôt, 2002).
P. S. : Je reprends ici mes arguments, toujours d’actualité, parus, il y a…12 ans dans in CAES Magazine (revue culturelle du CNRS) N°65 puis dans Autre Sud et, récemment, dans La Revue marseillaise du théâtre.
Petite panoplie vestimentaire
La surprise anti-conformiste de l’anti-culture des années 68 put faire en son temps son nécessaire choc au théâtre. Mais l’effet se défait, et ce qui est révolutionnaire au départ, installé, répété comme un pieux devoir de musée, devient une routine d’un illusoire épate-bourgeois : un académisme. Et le singulier d’une forme, généralisé, n’est plus qu’un uniforme. Avec dix ans de retard, la tendance s’emparait de l’opéra.
En 76, Patrice Chéreau se faisait huer à Bayreuth pour une Tétralogie habillée en années 30 avant de devenir un « must » acclamé pendant 25 ans dans le même lieu. Les metteurs en scène germaniques, suisses ou belges, comme s’ils avaient mis 30 ans à digérer Chéreau, nous resservent depuis le plat rance et réchauffé d’opéras habillés en tout sauf à l’époque du sujet, ce qui est d’une bien étrange pédagogie quand on veut initier des jeunes à la scène lyrique qui risquent d’égarer leurs repères chronologiques en découvrant le mythique Orphée de Monteverdi en smoking 1900, Agamemnon en débardeur et chapeau melon, Phèdre en tee-shirt, Hercules de Hændel en tee-shiret de marine et chemisettes multicolores par la grâce disgracieuse de Luc Bondy ; ils peuvent en perdre leur latin en voyant les Romains de Poppée habillés de pyjamas orientaux (Aix), Jules César, en explorateur africain entouré d’officiers de la Wehrmacht (Werniecke), les chevaliers médiévaux de Rinaldo , en terroristes palestiniens. On a vu Tristan en complet veston (Olivier Py) ; pour Mozart , on a eu Cosí dans un Mac Do (Peter Sellars), La Clémence de Titus en habits Louis XIII (Bourseiller, Aix) et années 30 ailleurs ; un frigorifique Don Giovanni aixois « Ikea » et « Findus » selon l’expression respectivement d’Edmée Santy et la mienne. Récemment, Don Juan a été noir à Harlem, « golden boy » dans les tours de la Défense, avec un Commandeur « manager » en fauteuil à roulettes (Haneke) et, encore à Paris, actuellement, des Noces de Figaro (Marthaller) se situent dans un hall d’hôtel lugubre de Berlin-est et s’habillent en tendance « Tati » tandis que Suzanne accompagne le poétique duo sur la brise avec la Comtesse à la machine à écrire et que les récitatifs sont soutenus au synthé ou en tapotant sur des verres par un personnage, « le récitativiste », qui commente l’action.
On a eu le « tout à l’époque de la création de l’œuvre » à la mode Ponnelle (réussie) des années 70. Mais pour quelques réussites, rares, des initiateurs, on se perdrait à énumérer la longue série de spectacles, imités, copiés, plagiés jusqu’à la nausée, affligés de ces tics devenus du toc. Ce qui pouvait passer pour novateur à l’époque est devenu, 40 ans après, un conformisme, un académisme affligeant. C’est devenu la solderie permanente, l’interminable fin de série des vieux modèles sempiternellement repris sous prétexte de neuf depuis 68. Ce n’est plus de la mode, c’est du copié collé dont on rougit pour les auteurs.
Imagination au pouvoir
Il ne s’agit pas de dénigrer la recherche en art qui, s‘il n’avance pas, recule. Les travaux de laboratoire, en ce domaine sont nécessaires, du moins quand le public n’est pas le cobaye d’expériences nombriliques de metteurs en scène à la mode.
Transposer une œuvre d’hier à une prétendue modernité d’aujourd’hui suppose beaucoup de méfiance quant à son pouvoir : une œuvre ancienne peut m’être aussi contemporaine qu’une contemporaine peut m’être lointaine et étrangère. Mettre en relief excessif sur scène la modernité d’une pièce implique qu’elle ne parle pas d’elle-même ; si sa modernité va de soi, la souligner, est un pléonasme. C’est un frein à l’imagination qui n’a même pas à aller chercher l’universel, l’intemporel, le contemporain dans la Rome antique puisque, appuyés, surlignés, tout mâchés, prédigérés, on les lui offre sur un plateau débordant d’intentions, si totales qu’elles en deviennent totalitaires.
Le physique nous est imposé par la nature ; le costume relève d’un choix, d’un goût, dit autre chose : ce que je suis, non ce que je parais. L’Un se dissout dans l’uniforme. C’est donc l’imagination qu’il faut raviver : un Bakst, un Picasso, un Dufy, une Sonia Delaunay, Léonor Fini, Bernard Buffet pour Carmen, etc, inventèrent des décors et des costumes : d’authentiques créations, des œuvres d’art en soi. Ils ne se contentèrent pas de se fournir au fripier du coin.
Etrange paradoxe : une époque qui se gargarise de cultiver la différence, qui apparemment respecte l’Autre, n’a de cesse, sur scène, de l’assimiler au Même en ramenant platement l’hier singulier à l’aujourd’hui le plus quotidien.
De qui est cette phrase ?
« Si au costume de l'époque, qui s'impose nécessairement, vous en substituez un autre, vous faites un contresens qui ne peut avoir d'excuse que dans le cas d'une mascarade voulue par la mode. » De qui sont ces lignes ? » De Baudelaire.
Maquettes de costumes d'Éliane Tondut, théâtre Gyptis, Marseille :
1. Jocaste (Œdipe Roi, Sophocle, mise en sène A. Vouyoucas, 1997 ) ;
2. Rosalba en guerre (La Vie est un songe, Calderón, mise en scène A. Vouyoucas, 2000) ;
3. Dorinda (Orlando, Hændel, mise en scène F. Chatôt, 2002) ;
4. Orlando ( Orlando, Hændel, mise en scène F. Chatôt, 2002).
P. S. : Je reprends ici mes arguments, toujours d’actualité, parus, il y a…12 ans dans in CAES Magazine (revue culturelle du CNRS) N°65 puis dans Autre Sud et, récemment, dans La Revue marseillaise du théâtre.
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