Polyphonies de la Renaissance
L’association Euterpes, faisant une subtile infraction à sa récente élévation en Centre Régional d’Art baroque, qui consacrait sa vocation bien confirmée en programmations de ce style, remontant un peu le temps, invitait le prestigieux Ensemble Jachet de Mantoue, deux ténors, un contre-ténor, un baryton et une basse, couvert de récompenses pour ses disques nombreux. Ce groupe de chanteurs a capella, qui prend son nom du compositeur breton Jacques Colebault, dit Jachet de Mantoue (1483-1559), de sa Bretagne initiale, rayonne partout en Europe, au service de la polyphonie de la Renaissance.
Beau parcours européen, donc, avec des musiciens anglais, espagnols, italiens et français dans des œuvres religieuses en première partie et profanes pour la seconde. Mais, par trois fois, ils donnèrent en plain-chant, le chant grégorien (faussement) plat, la « teneur » initiale, voix fondamentale, monodie intangible de la liturgie, autour de laquelle la polyphonie construit son déchant, l’efflorescence arachnéenne de son contrepoint. Ainsi du pur Ave Maria grégorien, on passait aux entrelacs savants de celui de Robert Parsons, de l’Optiman originel à celui de Jachet de Mantoue et du De profundis ancien à la version, presque sereine, même dans l’imploration tragique, de Josquin des Prés pour la mort de Louis XII. La gravité hispanique de Cristóbal de Morales dans des extraits de sa Messe des morts semblait vibrer chez le catholique anglais Thomas Tallis, musicien de la « Blody Mary » Tudor, l’Espagnole (grand tante et épouse du futur Philippe II), imposant par le fer et le feu le retour au catholicisme et au latin en Angleterre. Thomas Tomkins (1573-1656), célèbre madrigaliste et virginaliste, débordait déjà sur le Baroque avec, tirée de la Bible mais non religieuse, un air sur la lamentation du Roi David apprenant la mort au combat de son fils rebelle, Absalon, pathétique plainte d’un roi et père (« O, my son ! », répète-t-il en écho au nom de son enfant) sans doute inspirée d'une chanson très populaire en Espagne évoquant indirectement la mort de Don Carlos, héritier révolté de Philippe II. Cette austère et prenante première partie prenait fin avec une commande de l’Ensemble à un compositeur Marseillais, Régis Campo, entre modalité et atonalité, une luxuriante polyphonie, un Kyrie, basée non sur du plain-chant mais sur un Credo de Josquin éployant et croisant lallègre jaillissement de ses ondes sonores sous les nervures de pierre en croisée d’ogive de la Chapelle Sainte-Catherine, de la lumière aiguë de la voix du contre-ténor à la crypte noire de la basse profonde.
La seconde partie nous promenait dans le rêve de bonheur d’une époque brutale et sanglante cultivant son utopie sentimentale comme un printanier jardin d’amour courtois, joyeux ou triste, avec ses roses et ses épines, ses oiseaux du matin à la nuit. Grands poètes pour grands compositeurs, Roland de Lassus et Costelay pour Ronsard, le délicat Sermisy pour Marot. Un mélancolique rossignol anglais d’un italien Ferrabosco et le « Cygne argenté » en son dernier chant d’Orlando Gibbons, en gamme descendante anticipant la mort de Didon de Purcell, apportaient leur brumeuse note dolente à la verve virtuose vertigineuse de l’alouette de Clément Janequin et à son fameux "Réveil" des oiseaux caquetant, cocottant, coucoutant dans son ivresse figurale et imitative étourdissante. Sa Bataille de Marignan, fracassante de fifres, fanfares, trompettes, tambours, de clameurs, de cliquetis et de claquement d’armes, clôturait le programme. Mais en bis, les chanteurs nous régalèrent d’une élégiaque et déjà montéverdienne nymphe morte d’Ockeghem. Puis, après les oiseaux, ce fut Titi et Grosminet en quelque sorte : le Contrapunto bestiale d'Adriano Banchieri "il dissonnante" (1568-1634) –que les interprètes oublièrent de nommer- , sur un félin "miaou-miaou", qui prélude trois siècles à l’avance le Duo bouffe pour deux chats de Rossini, manifestait l’humour des chanteurs avec, toujours leurs confondantes qualités d’homogénéité entre les voix, la précision et la douceur des attaques et le fondu indéfini des fins de sons.
Le 12 décembre 2006
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