Alain Aubin est un grand artiste : chanteur, metteur en scène et même compositeur. Consacré dans de grands rôles de contre-ténor sur les grandes scènes européennes, Rome, Naples, Vienne, Lyon, Paris, etc, ce Marseillais pouvait se contenter de « gérer » sa carrière d’interprète de la musique baroque, jalonnée de disques. Mais, descendant du XVIII e siècle vers le XVI e, non content d’ouvrir son répertoire vers la musique plus ancienne, remontant vers notre époque, il a été interprète de Britten, a participé à la création d’œuvres contemporaines de notre concitoyen Raoul Lay, de And farewell goes out sighing de Gijan Kancheli, concerto pour violon et contre-ténor, avec le grand violoniste letton Gidon Kremer au Châtelet sous la direction de Kent Nagano en 2000. C’est aussi avec ce célèbre chef qu’il avait participé à la création de l’opéra en russe Les Trois sœurs du compositeur hongrois Peter Eötvös d’après Tchékov (rôle d’Olga) à Lyon, repris dans des lieux prestigieux, consacré par un disque (Deutsche Grammophon), distingué par le Prix Charles Cros et un Diapason d’or. Un disque d’or, en 1997, avait déjà couronné Lambaréné, « Bach to Africa » (Virgin), autre de ses goûts éclectiques pour des expériences syncrétiques, mêlant musique « classique » et musiques traditionnelles, africaines, orientales, expérience récidivée avec Mozart l’Égyptien (Virgin), dont il fit certains arrangements. Ajoutons ses activités d’animateur musical avec sa chorale populaire, tournée vers un répertoire méditerranéen.
C’est cette veine savante et populaire qu’avec l’Ensemble Baroque Graffiti il nous fit savourer, ces « chansonnettes », pendants plébéiens, populaires, des nobles madrigaux de cour, ces chansons de « vilains », virelais pour les Français, villancicos pour les Espagnols, villanelles pour les Napolitains qui subirent la domination angevine et des siècles de suzeraineté espagnole. Autant dire que ces délicieuses villanelles, vignettes musicales et lyriques, si elles sont riches d’influences, sont elles-mêmes influentes et fortement originales, genre vocal à part entière où la science musicale et poétique, suprême élégance, sait s’habiller subtilement à la paysanne. C’est le témoigne d’une époque d’art sans frontières, où l’art savant puise ses modèles dans l’art populaire et où l’artiste populaire popularise les créations savantes, dans une osmose naturelle qui a survécu dans certains pays, Espagne, Italie, Russie et s’est perdu dans une France où le centralisme monarchique de la cour puis jacobin de la République a étouffé bonne part de la créativité régionale du peuple.
C’est donc un déni de justice envers ces délicates estampes que redressait Alain Aubin, expliquant et exprimant de sa voix ronde, boisée, les textes et les chants. Il était en fraternelle complicité avec Jean-Paul Serra (qui illustrera aussi joliment ce brassage savant et populaire avec des courantes de Frescobaldi), ponctuant le chant de la douceur de l’orgue ou des argentines cordes pincées du clavecin tandis qu’Agustina Meroño, tirait délicatement la ligne dorée à la corde frottée de la viole de gambe. On aura aimé particulièrement l’humour de « la gatta cenerentola », la révolte de la mal mariée, le poétique « chant de loin », héritage de « l’amor de lonh » des troubadours, où la noble métamorphose antique se fait simple métaphore humaine pour dire amour, haine ou dénoncer l’oppression fataliste de l’enclume par le marteau, motif et leitmotiv de La Vie brève de Manuel de Falla. Ou la villanelle révolutionnaire de l’intrépide comtesse Fonseca Pimentel. Une villanelle d’aujourd’hui de Roberto de Simone, où l’on arrose les roses de ses pleurs, avait une envoûtante patine immémoriale. Et l’on pensait aussi à Berlioz et l’une de ses Nuits d’été… Tendre émotion en partage.
9 novembre 2006
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