Jacques Charpentier, né en 1933, n'usurpe pas un nom qu’illustrèrent divers grands compositeurs français. Couvert de prix et de distinctions, il a occupé des postes aussi importants que prestigieux toujours au service de la musique sans sacrifier pour autant une œuvre riche, hélas, rarement exécutée en France. Aussi était-ce un hommage choisi et chaleureux que lui rendaient l’Association ACLM et la Cité de la Musique dans ce cœur de Marseille entre gothique et Baroque, face à la Vierge de la Garde, la Chapelle Sainte-Catherine, vigie de pierre vers le ciel érigée, sur l’éperon de Saint-Laurent. La compositeur avait carte blanche pour un programme de mélodies françaises, présentées par lui-même, offrant en prime une création personnelle. Deux chanteurs, Brigitte Peyré, soprano, et Jean-Christophe Maurice, baryton, se partageaient ce choix, avec la complicité de deux excellents pianistes, Jacques Raynaut pour elle, Josée Fabre pour lui, un petit mais efficace effectif musical, flûte, violoncelle, percussions, dirigé par Daniel Dahl servant joliment la création.
Art raffiné de salon, la mélodie française n’en est pas pour autant un genre mineur : à grands poèmes, grands compositeurs, à l’exception de la faiblesse des goûts poétiques de certains textes mais dignifiés et éternisés par la musique de Fauré. Rappelons que Hugo est le poète le plus mis en musique en France (même si Liszt et Wagner ne l’ont pas dédaigné), malgré son interdiction plus formelle que réelle d’interdire que l’on mît « de la musique le long de ses vers.» Cette soirée conviait donc à un panorama autant vocal et pianistique que poétique.
J.- C. Maurice ouvrait le chant avec trois mélodies du plus français des Vénézuéliens, Raynaldo Hahn, admiré par Mallarmé, aimé par Proust, rêvant d’une « peinture sentimentale » dans sa palette musicale. De Théophile de Viau à Verlaine et Hugo, Hahn manifeste un goût poétique très sûr, un sens du mot et un art délicat de la nuance dynamique, du pianissimo simple au triple, que le chanteur servit avec trop d’application peut-être et pas assez de libre simplicité, pliant sa voix large au charme rêveur de À Chloris, à la mélancolie de D’une Prison, et aux arpèges ailés de Si mes vers avaient des ailes… Cependant, on le sentit plus à l’aise et direct dans les vastes déploiements lyriques et les intervalles disjoints des mélodies du malheureux Duparc, vie trop longue pour œuvre courte mais géniale, des superbes poèmes de Baudelaire, la fiévreuse et presque mystique Invitation au voyage, La Vie antérieure, au large légato, jusqu'au sensuel Phydilé de Leconte de Lisle. La miniature mignarde de certaines mélodies demande simplicité sous peine d’en accuser la sophistication et ce grand baryton, encore une fois, parut s’épanouir à l’air libre du Spectre de la Rose de Berlioz et des amarres larguées vers le grand large des Berceaux de Fauré, plus en accord avec la générosité de sa voix que le confinement du salon précieux. Josée Fabre, tour à tour, donnait des ailes au piano, le faisait ruisseler, ondoyer, rêver, avec intensité.
C’est avec bonheur qu’on retrouve Brigitte Peyré, présence rayonnante et vénusienne, voix légèrement mûrie dans le grave, au velouté doucement voluptueux sans rien perdre de la luminosité de son aigu, au sommet d’une technique qui libère la profondeur de ses interprétations, prenantes sans effets ni afféterie, immédiates. Trois vignettes en prose, les Chansons de Bilitis que Pierre Louÿs prête à la poétesse mythique Sapho, mises lumineusement en musique par Debussy, sont détaillées avec un phrasé naturel, recto tono d’une Mélisande antique (La Flûte de Pan), une impeccable diction où glisse un frisson de froid (Le Tombeau des Naïades), une sensualité sans lourdeur de cette voluptueuse Chevelure. Dans les Trois Chansons Madécasses (malgaches) de Ravel sur des poèmes d’Évariste Parny, poète du XVIII e siècle, en comédienne accomplie, elle crée des atmosphères diverses, passe de la lascive et caressante Nahandove à la révolte anti-colonialiste de Aoua et finit dans la douceur idyllique de Il est doux. Mais l’interprète aguerrie de musique contemporaine bouleverse avec l’Action de grâces de Messiaen, déclamatoire psalmodie dans une ferveur extatique au piano large, puissant, vibrant d’intensité de Jacques Raynaut.
Extraits du recueil 7067 TF 83 de notre concitoyen Jean Mangion, Directeur des affaires culturelles, les poèmes mis en musique sous le titre …et mots (clin d’œil à Th. Gautier et ses Émaux et camées ?) ont le charme étrange des formes brèves que l’inachèvement apparent, hors de contexte, complète de vague mystère. La musique de Charpentier les sertit d’éclats, de brillances, les auréole délicatement, les irise de couleurs instrumentales d’une finesse d’orfèvrerie orientale : à mosaïque éparse de mots, constellation de notes, finissant sur une discrète mais jubilante samba éclatante et ironique. Brigitte Peyré adapte à cette belle création les couleurs de sa voix, file, vibre ou estompe ses sons en « sfumato » raffiné avec une maîtrise toujours au service du texte. Un moment de grâce.
20 octobre.
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