Yuste, Les mémoire imaginaires de Luis de Narváez, d’après un texte de René Villermy, Mise en scène de Thierry Paillard, lumières d’Éric Rolland. Arles, à Saint-Honorat des Alyscamps.
Les Alyscamps, les « Champs Élysées » d’Arles la romaine, sa nécropole hors les murs : demeure des ombres heureuses selon les Anciens. Aujourd’hui, une large et noble allée de sombres cyprès adoucis d’autres frondaisons plus tendres, prêtant une ombreuse poésie à cette double enfilade de sévères sarcophages, de stèles funéraires, de restes de mausolées antiques et paléochrétiens sur lesquels le néo-classicisme antiquisant du XVIII e siècle a imprimé sa trace : une urne colossale, des insignes maçonniques dans un vague œcuménisme sépulcral. Au fond, comme une récompense de ce grave et rêveur parcours de ruines, devant des fouilles, l’église Saint-Honorat, fondée au XI e siècle par les moines de Saint-Victor de Marseille, en style roman provençal, surmontée d’une tour lanterne des morts de style romain, inspirée de l’antique local. C’est en ce lieu plein de charme mélancolique que, dans le cadre de « Monuments en scène », Thierry Paillard avait choisi de présenter une œuvre, récit concert, créée au théâtre de Lenche, Yuste, Saint-Just, le couvent perdu du fin fond de l’Estrémadure où Charles Quint, le plus grand monarque que l’histoire ait connu, après avoir abdiqué les vaines pompes du monde, choisit de se retirer en 1556 pour y mourir en 1558. [...] On trouvera difficilement lieu plus adéquat pour évoquer l’ombre du grand Empereur, qui rêva d’une Europe unie et d’une monarchie universelle : les ruines pour y accéder, comme restes du rêve détruit, de l’Empire bientôt en décadence, les tombeaux, symboles de pierre de la vanité de la gloire terrestre et, enfin, passé ce porche roman si pur, l’harmonie grandiose et simple, après le chaos terrestre, de l’aspiration mystique à l’élévation intérieure.Des quatre massives piles cylindriques, puissantes assises terrestres, trait d’union solide entre terre et ciel, se déploient par la pointe les palmes vigoureuses des trompes, (supports nervurés) sur lesquelles repose le firmament octogonal de la coupole, percée de sa lanterne comme une aspiration vers la lumière du haut. Des blasons en haut relief ornent la nudité des murs et quelques discrets ajouts, bijoux baroques. Dans la grandeur imposante de l’architecture, musique muette, la grandiose humilité de la musique, architecture sonore. Mais la pierre n’écrase pas, elle exalte la délicatesse arachnéenne des sonorités de la vihuela, que, sur la douce viole de Luc Gaugler, ligne dorée continue et contenue de nostalgie, horizon lointain, René Villermy égrène ou tisse de ses traits argentés : la corde frottée par l’arc est soubassement dialogué à la corde pincée du luth, un tendre et grave gémissement amoureusement commenté et diminué par l’aigu consolateur. C’est l’harmonie intime de l’âme après le chaos du monde en ruines de l’extérieur.Une simple cathèdre surmontée d’un dais est à la fois siège ancien ou trône abdiqué à un personnage en longue robe bleue, cheveux blancs, ombre parfois fantasmatiquement portée sur le mur : ce n’est pas Charles Quint en son monastère, mais son compagnon de pérégrinations en Europe, Luis de Narváez, grand musicien, célèbre de son temps, que représente Michel Paume, acteur fiévreux, habité par son personnage, auquel Villermy, auteur du texte, prête sa parole : le musicien d’aujourd’hui dialogue à travers le temps avec celui d’autrefois, le fait parler et chanter admirablement par sa musique. Commentaires d’un homme de notre temps sur un autre qui lui ressemble beaucoup : catastrophes, guerres de conquête, de religion (« il n’y a pas de guerre sainte »), rêves de grandeur. Vanité, pérennité, caducité : quel écho peut-il rester de la musique non imprimée dans le naufrage du temps ? Quelle trace laisserons-nous ici-bas hors ces tombeaux vides ?Autant de questions qu’on se pose à l’écoute de ce beau concert parlé ou de cette musique éloquente servie avec dignité par ces artistes et par la délicatesse de touche de Thierry Paillard qui, dans un tout autre esprit, réussit encore une de ses émouvantes vignettes après la truculente Aldonza (déjà avec Villermy) et ces aériens Mots d’ailes où, en un tour d’hélice, il offre les délices d’un parcours de l’épopée de l’Aéropostale à lui tout seul, en texte, chansons et courrier. À bon expéditeur, salut.
2 septembre 06
Les Alyscamps, les « Champs Élysées » d’Arles la romaine, sa nécropole hors les murs : demeure des ombres heureuses selon les Anciens. Aujourd’hui, une large et noble allée de sombres cyprès adoucis d’autres frondaisons plus tendres, prêtant une ombreuse poésie à cette double enfilade de sévères sarcophages, de stèles funéraires, de restes de mausolées antiques et paléochrétiens sur lesquels le néo-classicisme antiquisant du XVIII e siècle a imprimé sa trace : une urne colossale, des insignes maçonniques dans un vague œcuménisme sépulcral. Au fond, comme une récompense de ce grave et rêveur parcours de ruines, devant des fouilles, l’église Saint-Honorat, fondée au XI e siècle par les moines de Saint-Victor de Marseille, en style roman provençal, surmontée d’une tour lanterne des morts de style romain, inspirée de l’antique local. C’est en ce lieu plein de charme mélancolique que, dans le cadre de « Monuments en scène », Thierry Paillard avait choisi de présenter une œuvre, récit concert, créée au théâtre de Lenche, Yuste, Saint-Just, le couvent perdu du fin fond de l’Estrémadure où Charles Quint, le plus grand monarque que l’histoire ait connu, après avoir abdiqué les vaines pompes du monde, choisit de se retirer en 1556 pour y mourir en 1558. [...] On trouvera difficilement lieu plus adéquat pour évoquer l’ombre du grand Empereur, qui rêva d’une Europe unie et d’une monarchie universelle : les ruines pour y accéder, comme restes du rêve détruit, de l’Empire bientôt en décadence, les tombeaux, symboles de pierre de la vanité de la gloire terrestre et, enfin, passé ce porche roman si pur, l’harmonie grandiose et simple, après le chaos terrestre, de l’aspiration mystique à l’élévation intérieure.Des quatre massives piles cylindriques, puissantes assises terrestres, trait d’union solide entre terre et ciel, se déploient par la pointe les palmes vigoureuses des trompes, (supports nervurés) sur lesquelles repose le firmament octogonal de la coupole, percée de sa lanterne comme une aspiration vers la lumière du haut. Des blasons en haut relief ornent la nudité des murs et quelques discrets ajouts, bijoux baroques. Dans la grandeur imposante de l’architecture, musique muette, la grandiose humilité de la musique, architecture sonore. Mais la pierre n’écrase pas, elle exalte la délicatesse arachnéenne des sonorités de la vihuela, que, sur la douce viole de Luc Gaugler, ligne dorée continue et contenue de nostalgie, horizon lointain, René Villermy égrène ou tisse de ses traits argentés : la corde frottée par l’arc est soubassement dialogué à la corde pincée du luth, un tendre et grave gémissement amoureusement commenté et diminué par l’aigu consolateur. C’est l’harmonie intime de l’âme après le chaos du monde en ruines de l’extérieur.Une simple cathèdre surmontée d’un dais est à la fois siège ancien ou trône abdiqué à un personnage en longue robe bleue, cheveux blancs, ombre parfois fantasmatiquement portée sur le mur : ce n’est pas Charles Quint en son monastère, mais son compagnon de pérégrinations en Europe, Luis de Narváez, grand musicien, célèbre de son temps, que représente Michel Paume, acteur fiévreux, habité par son personnage, auquel Villermy, auteur du texte, prête sa parole : le musicien d’aujourd’hui dialogue à travers le temps avec celui d’autrefois, le fait parler et chanter admirablement par sa musique. Commentaires d’un homme de notre temps sur un autre qui lui ressemble beaucoup : catastrophes, guerres de conquête, de religion (« il n’y a pas de guerre sainte »), rêves de grandeur. Vanité, pérennité, caducité : quel écho peut-il rester de la musique non imprimée dans le naufrage du temps ? Quelle trace laisserons-nous ici-bas hors ces tombeaux vides ?Autant de questions qu’on se pose à l’écoute de ce beau concert parlé ou de cette musique éloquente servie avec dignité par ces artistes et par la délicatesse de touche de Thierry Paillard qui, dans un tout autre esprit, réussit encore une de ses émouvantes vignettes après la truculente Aldonza (déjà avec Villermy) et ces aériens Mots d’ailes où, en un tour d’hélice, il offre les délices d’un parcours de l’épopée de l’Aéropostale à lui tout seul, en texte, chansons et courrier. À bon expéditeur, salut.
2 septembre 06
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