A BACH & ABEL CONCERT
Piano forte organisé Merlin 1784
1 CD Encelade
Nous aimons, sur nos ondes, saluer des artistes, des interprètes, loin des sentiers battus et rebattus, des terrains connus et reconnus, qui sans nous infliger la énième version d’une œuvre archi entendue d’un compositeur très célèbre, cherchent leurs voies, je veux dire leur chemin, et font entendre leur voix originale en terres inconnues qu’ils vont défricher et déchiffrer pour notre plaisir d’auditeurs curieux de nouveautés. Ainsi Catherine Zimmer, claveciniste, dont le dernier disque offre le multiple plaisir de nous présenter une phalange de compositeurs tous inconnus ou presque, joués par ailleurs sur un instrument original, hybride, le pianoforte organisé, qui avait disparu des ondes de la musique depuis très longtemps. Mais avant que de présenter l’instrument, quelques mots sur l’instrumentiste.
Elle a fait des études de piano et de clavecin aux conservatoires de notre région, Marseille, Aix-en -Provence puis Genève. Mais son maître le plus marquant, confie-t-elle, reste Pierre Barbizet, il est vrai virtuose du piano qui a marqué aussi notre vie et ville musicales, dont notre Conservatoire perpétue le nom. Piano et clavecin sont les deux pôles sa carrière. Invitée à jouer en soliste lors de festivals, elle prête régulièrement son concours à des ensembles de musique ancienne. Elle a enseigné ces deux instruments dans plusieurs conservatoires (Marseille, Marignane, au département de musique ancienne à Béziers-Méditerranée et, en Corse, au Conservatoire Henri Tomasi où elle a créé la classe de clavecin, promouvant la musique ancienne dans l’île.
Claveciniste, elle aime aussi faire entendre le clavecin dans des répertoires où
on ne l'attend pas, comme la musique espagnole, corse et sud-américaine, ou dans des
créations de musique contemporaine
Ses recherches musicologiques l’ont amenée à diriger la collection Les cahiers du clavecin à la Société de musicologie du Languedoc, et à publier une méthode de clavecin aux édition Van de Velde-Lemoine. Elle a aussi réuni une petite collection d’instruments d’époque de facture originale, en recherchant le répertoire qui leur est associé. Sa double formation de claveciniste et pianiste lui permet d’adapter sa technique pour faire sonner des instruments rares tels que le piano-forte organisé de Merlin* de 1784. Qui est, en fait, la vedette du disque proposé, premier enregistrement de cet instrument historique de 1784 qu’elle nous présente dans le livret détaillé qui l’accompagne.
Il fait partie, nous informe-t-elle, de la famille des claviorganum (clavecins, épinettes ou pianoforte couplés à un orgue). En l’espèce, construit par le facteur anglais John Joseph Merlin et les frères John et William Gray pour la partie orgue, il s’agit d’un pianoforte carré organisé.
Mais écoutez d’abord comment sonne cet instrument insolite dans le rondo final extrait de la Sonate pour piano forte Opus 7 en Do majeur d’une compositrice anglaise, Maria Hester Park (1760-1813) que ce disque nous révèle et percevez deux petits accrocs, un sonore au départ et un musical :
1) PLAGE 7
Vous aurez perçu sans doute deux choses étranges, un petit bruit au début : c’est celui entraîné par le changement de jeu de la soufflerie de l’orgue que, par souci d’authenticité Catherine Zimmer n’a pas voulu gommer comme réelle signature de l’instrument, et vous avez senti l’intrusion curieuse d’une flûte au milieu des grappes des notes du clavier.
Catherine Zimmer nous présente l’instrument dans sa préface.
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on invente les premiers pianofortes qui, contrairement au clavecin qui ne le peut pas, sa puissance étant uniforme, permettaient de prolonger et de moduler les sons du fort, forte en italien, au doux, piano, en italien, qui l’appelle forte piano. Pour intensifier leur puissance, on eut l’idée d’y associer un orgue, bien sûr un petit orgue régale transportable, afin d’en enrichir le timbre.
Il en reste très peu, dans des musées. Donc, c’est un instrument rarissime qui traverse le temps dans ce disque qui lui rend son lustre, mêlant ou séparant les notes cristallines du piano et celles plus mates, plus diffuses de l’orgue, pouvant jouer de façon indépendante ou ensemble, les soupapes sous les touches ouvrant les clapets de l’air de l’orgue dont les soufflets sont aussi dessous. L’orgue, vous le savez, peut faire tous les instruments de l’orchestre, d’où, ici, ces flûtes intervenant dans le discours du piano.
On regrette, dans cette première partie qu’elle parle en spécialiste pointue aux musicologues, sans prendre la peine d’expliquer ce qu’est « un jeu d’orgue de 4’ », un « pianoforte à simple pilote », un jeu à « étouffoirs levés » ou « véritable una corda** », langage technique à des spécialistes, ce qui jure avec son souhait de « contribuer à faire connaître à un plus large public » cet instrument rarissime.
Écoutons en entier, ce Prélude N°11 en la mineur, strictement pianistique, de Ludwig Wenzel Lachnith (1746-1820) :
2) PLAGE
Plus explicite que le livret, enrichi des images parlantes, on peut consulter le film passionnant qu’en a tiré Catherine Zimmer, lors de la restauration de son instrument en 2020, sous le titre : Merlin & Gray. La renaissance d'un piano-forte organisé.
À cet instrument si amoureusement restauré et choyé, Catherine Zimmer offre le cadeau de musiques qui y furent peut-être jouées à Londres à la Bach-Abel Society fondée en 1765 par les compositeurs Karl Friedrich Abel (1723-1787) et Johann Christian Bach, Jean-Chrétien Bach en français (1735-1782), le dix-huitième fils des vingt enfants de Bach. Lors de ces concerts sur abonnements, les deux compositeurs jouaient ou dirigeaient leurs propres œuvres, ainsi que celles de leurs contemporains. De Karl Friedrich Abel, écoutons le menuet qui termine sa Sonate op. 2 N°4 en mi bémol Majeur :
3) PLAGE 15 : 1’20’’
Dans ce CD, rare par l’instrument, sauf deux œuvres de compositeurs connus tels Haydn et Carl Philipp Emanuel Bach, le frère, on a le plaisir de découvrir, hors de ceux dont nous avons entendu des extraits, des pièces des inconnus chez nous, John Hook (1745-1827), John Stanley (1712-1786).
Mais nous le quittons sur un morceau de l’un des initiateurs de ces concerts londoniens, Jean-Chrétien Bach, en français, quelques mesures du deuxième mouvement de sa Sonate opus 5 N°6 n do mineur dont la fugue rappelle celles de son père Johann Sebastian Bach :
4) PLAGE 17
*Ce Merlin anglais était un prolifique et excentrique inventeur des plus originaux, s’offrant un jour le luxe catastrophique de faire irruption jouant du violon juché en patins à roulettes de son invention dans un salon distingué, perdant l’équilibre et télescopant un miroir, le brisant en mille morceaux. Quand on sait, comme je l’ai étudié, le prix exorbitant, inimaginable aujourd’hui, d’un miroir à l'époque, j’imagine l’émoi guère musical de la maîtresse des lieux!
En France, le compositeur Claude-Bénigne Balbastre conçut
aussi un
piano-forte organisé. Il s’agissait d’un orgue coffre sur lequel était posé un piano-forte carré,
avec des tuyaux horizontaux dessous.
**Una corda : indication agogique de la musique pour piano ; indique qu'il faut utiliser la pédale dite « douce », qui décale les marteaux pour que la frappe, au niveau des doubles ou triples cordes, ne percute qu'une seule corde, en atténuant ainsi la résonance des harmoniques. Une autre technique, sur les pianos droits, est de raccourcir la lancée du marteau afin d'atténuer la force de la percussion.
Émission N°784 De Benito Pelegrin 04/12/ 2024
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