Enregistrement
29/11/18, Culture en Provence
RADIO
DIALOGUE RCF
(Marseille :
89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
N° 349,
semaine 48
Voici un bien beau disque du
label Encelade : Clément Geoffroy,
clavecin, nous fait découvrir Johann
Adam Reincken (c.1635-40 – 1722), à travers un choix de Toccatas,
Partitas & Suites.
Un CD beau par le contenant et
le contenu. Le contenant, une élégante pochette reproduisant un tableau de Pieter Gerritsz van Roestraten, peintre
néerlandais, hollandais dit-on pour simplifier, mort en 1700, qui a laissé des
scènes de genre et célèbre pour de baroques natures mortes. Ici, une Nature morte au service de thé : une théière en pierre
rousse, sans doute un sucrier somptueux magnifiquement orné, incrusté de
pierres, une cuillère dorée, quatre tasses de porcelaine, trois pleines
reflétées, illusion du double, sur le miroir du plateau, et deux autre, renversées, l’une de dos,
l’autre de face, vide : c’est la vacuité, la vanité du temps qui a passé entre
le vide et le plein, et deux sortes de gros cristaux à gauche, sûrement le sucre de
l’époque qui a dû adoucir l’amertume du breuvage d’une trop brève vie mais qui
fondra fatalement, douceur qui passera, inéluctablement. Cela fait vaut méditation
baroque et leçon : un peintre célèbre, qui est
donc resté dans la mémoire par des œuvres disant le passage éphémère du temps…
Et ce beau contenant renferme
une brève mais belle anthologie d’un musicien, Johann Adam Reincken, dont le
peu que nous savons de lui, date et lieu de naissance incertains, célébrité
attestée et oubli avéré, invite aussi à méditer sur la vanité des gloires
passagères du monde. Peut-être né aux Pays-Bas entre 1630 et 1640, mais fixé
par sa mort à Hambourg en 1722, la légende lui prêtant même une mort centenaire.
Il reçoit sa première
formation musicale à Deventer aux Pays-Bas. À partir de 1654, il se
perfectionne à l'orgue et dans la composition à Hambourg auprès de Heinrich Scheidemann, un élève du fameux Jan Pieterszoon Sweelinck. Après être retourné quelque
temps en Hollande, il revient définitivement à Hambourg en 1656, ville très
prospère après la terrible Guerre de Trente ans qui a ravagé le centre de
l’Europe, et y devient titulaire, succédant à Scheidemann, de l’orgue de l'église Sainte Catherine de Hambourg. Il en restera titulaire
jusqu'à sa mort en 1722, célèbre dans toute l’Europe du nord et fort riche.
Ce n’était pas le cas de son
admirateur, un certain et obscur Johann-Sebastian Bach, qui vient d’abord l’entendre à Hambourg en 1705 puis pour
candidater en 1720 pour un poste d’organiste et passe un examen devant le
maître, en improvisant brillamment sur l’une de ses œuvres, s’attirant des
compliments du célèbre musicien. Le futur grand Bach n’aura pas le poste de
cette ville prestigieuse, et finira Cantor à Leipzig pour nourrir sa nombreuse
famille. Ainsi va la gloire : Bach, largement méconnu de son temps, plus
tard, éclipsera Reincken qui brillait alors de toute sa renommée. Il
créera même, en 1678, l'opéra de Hambourg, le premier d’Allemagne, dont il
restera directeur jusqu'en 1685.
Mais,
malgré son importance, et son influence sur la vie musicale de Hambourg, sur
toute l’Allemagne du nord, sa seule œuvre imprimée, datée de 1687, est un recueil de six
sonates pour deux violons, viole de gambe et basse continue intitulée Hortus Musicus, ‘Jardin musical’.
Pour assoir une telle
réputation, il y eut sûrement bien d’autres pièces, mais seule une poignée est
parvenue jusqu’à nous, certaines transcrites par la main de Bach en personne,
preuve de son admiration, la Sonate I en la mineur (BWV 965), pour
clavecin solo, la fugue de la Sonate II en si bémol majeur (BWV 954), et la Sonate
III en do majeur (BWV 966).
Cet hommage de Bach est significatif de la qualité de
la production de Reincken et l'on se félicite de celui que Clément Geoffroy, claveciniste réputé, lauréat en 2011
du Premier prix au concours de clavecin Paola Bernardi de Bologne, rend à ce musicien qu'il contribue à tirer de l'oubli. Très sollicité par des
ensembles baroques, Geoffroy est membre fondateur de L’Escadron Volant de la Reine, également récompensé. Auteur de la
présentation du disque, très documentée et bien écrite, il avoue honnêtement
qu’il n’est même pas sûr que toutes les pièces dont il a fait choix pour le
disque soient de Reincken. Mais qu’importe la paternité d’un morceau : c’est
sa beauté qui parle. Elle séduit suffisamment pour qu'on regrette l'ingratitude du temps envers ce musicien. En tous les cas, choix des morceaux, beauté de l'exécution et aussi de la prise de son, ce disque si bien préparé et présenté a de quoi séduire.
En tout, huit pièces, une heure et quart
de musique, Ballet, Suite en la mineur, Toccata en sol mineur, Fugue
en sol mineur, Suite en do majeur, Holländische Nachtigall et Die
Meierin donnent une
brillante idée de ce musicien retrouvé. Pour nous en convaincre, un bref
extrait de la Toccata en la majeur, qui illustre le Stylus
Fantasticus, d’un baroque fantaisiste, fantasque, dit fantastique de l’Allemagne du nord.
PLAGE 1
1 CD [L’Encelade, Clément Geoffroy,
clavecin, Toccatas,
Partitas & Suites, de Johann Adam Reincken (c.1635-40 – 1722),
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