Enregistrement 6/9/19 passage, semaine
RADIO
DIALOGUE RCF
(Marseille :
89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
N° 325
(condensé de deux émissions, "Coup de cœur" et "Marque-page")
La Bicoque, roman
de Sara Vidal, éditions Riveneuve
Un
« coup de cœur » est la prédilection, l’estime soudaine, l’affection
que l’on ressent pour un objet ou une personne et que l’on souhaite faire partager aux autres. Et ici, sur les ondes de RCF, c’est
un livre sur les ondes duquel j’aimerais conduire, émotionnellement mais rationnellement, les auditeurs devenus
lecteurs.
Il
s’agit de La Bicoque, roman de Sara
Vidal, éditions Riveneuve,. Mais un « coup de cœur » peut être
« un coup de tête », un « coup de sang » dans lequel la
raison, que le cœur ne connaît pas, peut en être la dupe, car l’émotion n’est
pas toujours bonne conseillère en matière de culture et le sentiment, encore
moins en matière littéraire.
Évidemment,
côté sentiment, on ne peut qu’éprouver de la sympathie pour Sara Vidal, femme
simple, chaleureuse et très généreuse côté cœur : avec sa vocation
bienveillante de bénévole, agrégée de lettres classiques, mais descendue de sa
hauteur universitaire, elle a animé une humble mais urgente association de
lutte contre l’illettrisme, en plus d’être fondatrice des rencontres
littéraires Lectures du Monde avec des écrivains et créateurs francophones
venus des pays du Sud.
Donc,
Sara Vidal, professeure de Lettres classiques, prenant une retraite anticipée,
avec trois enfants à charge, avec ces autres activités, critique littéraire et
théâtrale pour une radio, chargée des relations publiques de Générik
Vapeur, théâtre de rue, a mené une carrière dans les lettres comme
écrivain, elle a douze romans à son actif.
Mais
la sympathie que l’on peut éprouver pour cette personne, si pleine d’empathie
pour les autres, les modestes, les petits, ne brouille pas de sa sentimentalité
la raison du critique et l’admiration pour la personnalité littéraire évidente
dans ce roman, La Bicoque. Un
personnage sans nom, fuit une ville innominée sans laisser d’adresse, se retire dans une crique au bord de mer, dans
ce qu’on appellerait un cabanon.
La
fuite de la ville est un thème littéraire très ancien depuis le poète latin
Horace et religieux si l’on se
souvent des mouvements érémitiques, des ermites fuyant les hommes dans les
déserts pour rester en tête à tête avec Dieu. Cela aura un grand succès en littérature : des courtisans se
rêvant bergers de pastorale, des princes vaincus de la Fronde courant au désert
du janséniste Port-Royal, des soixante-huitards écologistes allant élever des
moutons au Larzac, etc. Ce roman le renouvelle le thème avec originalité.
Cependant, le héros n'est pas un atrabilaire Alceste misanthrope de Molière voulant fuir le monde, le grand monde, la cour en fait, pour s'enterrer dans un "désert", qu'il faut entendre comme un confortable Port-Royal, où tant de faillits et aigris de la Fronde allaient trouver refuge pour cultiver leur individualisme et leurs échecs. Le hasard d'un gain à la loterie l'incite à acheter cette demeure isolée sur un bord de mer. Sa lassitude d'une ville chaotique, encombrée, le pousse sans doute au pari quelque peu ingénu de se trouver ou retrouver dans la solitude mais aussi de n'être pas retrouvé par
la mort :
« la
mort aurait du temps pour le trouver, elle n’avait plus son adresse. »
Mais, il y a également, dans la complexité de ce héros sans héroïsme, un doute existentiel : sur lui-même, une perte de confiance en soi confinant à ce qu'il estime une transparence de plus en plus grande, une perte de "visibilité" dirait-on aujourd'hui. À n'être pas vu des autres, autant les fuir et, sans sombrer dans son propre regard narcissique, n'être plus exposé à celui, indifférent, d'autrui.
Bien que le personnage soit un laïque, il semble avoir une culture assez vaste
(son ancien bureau en désordre, interdit de ménage
même à sa femme ou compagne en est un signe subtil), notamment, sinon exactement
religieuse, en tous cas, historique. Son expérience est rapportée, avec
humour, au grand mouvement érémitique des débuts du christianisme, ces
ermites, ces anachorètes cherchant une ascèse extrême, certains perchés sur un
"style", une colonne. Mais, seule discrète référence géographique permettant de situer le roman, l'obsession pour les hommes préhistoriques de ce que nous identifions comme la grotte Cosquer grâce à l'allusion au pingouin rupestre, introduit une dimension, ou, plutôt, une filiation entre notre passé le plus archaïque, des tribus d'homme errant sans cesse pour leur survie, et, soudain, l'apparition d'un groupe de migrants d'aujourd'hui qui en semble une moderne incarnation.
Et l'ermite volontaire fuyant les hommes est retrouvé par eux. Fuyant le monde et ses histoires, il se retrouve involontairement au cœur de l'Histoire humaine : la plus reculée dans le temps et la pointe de notre actualité. Il y
a tout un suspense physique et psychologique, très délicatement conduit, non du
choc, mais de la rencontre entre le solitaire
et les solidaires de la fuite. Son attitude est très complexe, ambiguë, autre réussite de ce roman d'une moraliste au sens noble du terme, sans simplisme moralisateur.
Sans
rien d’appuyé, sous l’esthétique individuelle de la
solitude, de la singularité,
émerge tout doucement l’éthique humaine de la
pluralité, du groupe. Prêcher dans le désert est forcément stérile. Ce héros n’a finalement pas rompu tout lien. Il n’est pas dans
le superbe et égoïste isolement d’une tour d’ivoire : le monde, sa
périphérie, sa marge, ses marginalités vont le rattraper. C’est d’abord la
mémoire archaïque qui émerge avec ces "préhistoriques" amenant la découverte, avec les errants des temps nouveaux, la découverte que tout homme porte depuis toujours le désir irrépressible de
l’ailleurs et celui, tout aussi puissant, de fixer une empreinte artistique de son passage : laisser une trace. Cela nous vaut de belles pages poétiques, graphiques, sur les dessins
rupestres.
Le
style est limpide, rythmé, souvent chantant de phrases au rythme ternaire d’une douceur souvent poétique. Sans descriptions réalistes, Sara Vidal a l’art
de suggérer, en peu de mots, une ville, ses rues les moins attractives, saleté,
ordures, bar tabac jonché de tickets de PMU, loterie, débris de consommation.
On croit deviner le Cours Belsunce, le Boulevard National, une Marseille bien
sensible bien que jamais nommée. L’évocation émue des dessins rupestres et
du destin des hommes préhistoriques, les éternels migrants d’autrefois, nos
ancêtres, font de ce roman un livre tout proche et
lointain : universel.
La Bicoque, roman
de Sara Vidal, éditions Riveneuve.
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