L'univers en fuite
d’André Baurepaire
d’André Baurepaire
L’œil était dans le cadre et regardait… Que regarde cet œil immense qui, dès l’entrée, vous saisit comme un objet de son titanesque objectif ? Regard hagard de masque, mascaron, théâtraux, décliné en agrandissement de zoom retenu par la rigueur d’un cadre qui contient de son arête vive la vivacité aiguë d’une, de deux de ces dévoratrices prunelles, d’or, de cuivre, d’acier, d’un bleu saphir venu d’ailleurs. Regard du peintre qui happe le réel pour le faire, défaire, le refaire en teintes vives, irréelles, citron sur azur, feu sur brasier et nettes structures de lignes obliques, diagonales acérées voulant trouer le cadre dans leur fuite perspective, leur expansion visant l’infini à partir du noyau invisible de l’explosion d’un monde à la rigidité architecturale estompée de roux, de rouille, de brun, de brumes, de flammes, d’oriflammes fantômes, de fumées, de fumerolles, de nues, de nuées, de nuages jaunes, jaunâtres, d’évanescentes vapeurs : géométrie cubiste démentie par tout ce qui contredit la ligne, rogne l’arête, l’équerre, molles nuées cotonneuses, célestes divans profonds à de vagues personnages échappés de la rondeur aérienne d’un plafond baroque, posés dans la langueur indécise de la volupté dans de moelleux bouillonnements nuageux.
Ailleurs, empâtées de pastel, de lointaines foules nues, nourries, serrées, dans la grille et la rouille d’une incertaine pluie, ou dans le gris, grisâtre délavé, pâle, palette impressionniste, impression d’oppression estompée de brouillard sinon de nuit. Les tableautins de bateaux, épurés, aux lignes décidées et aux vives couleurs : toujours des lignes diagonales, de fuite, qui font un monde tempétueux par beau temps du coloris, univers instable mal assis sur la charpente oblique qui aspira encore à un ailleurs infini, au-delà du cadre, par-delà l’horizon.
Les deux fenêtres ouvertes, rouge, bleue, tout aussi inclinées, semblent projeter violemment un dehors du dedans dans une implosion ou explosion qui brouille les repères d’extérieur et d’intérieur. On croise Dali, on entrecroise des lignes du futurisme, du cubisme, mais, dans tout cet environnement pictural, il y a l’évidente patte et la pâte originale d’une sorte d’expressionnisme baroque original.
André Beaurepaire, né en 1925, déniché par Cocteau, collaborateur de Massine des Ballets russes, au passé prestigieux, a un beau présent marseillais : non seulement ses tableaux inspirent le décor de L’Enterrement de Mozart, livret d’Hubert Nyssen, musique de Bruno Mantovani, interprété par Musicatreize sous la direction musicale de Roland Hayrabédian, mise en scène de Jeanne Roth, donné le 9 octobre au Gymnase et, de plus, projection d’avenir, le peintre illustre poétiquement le beau livre/disque de cette œuvre aux Éditions Actes Sud. Par ailleurs, on peut admirer une sélection de ses toiles au Studio Musicatreize, 53, Rue Grignan, jusqu’au 17 octobre.
Photo : André Repaire, Fenêtre rouge
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