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D’Anne Teresa de Keersmaeker
D’Anne Teresa de Keersmaeker
Sur le plateau, au fond, côté jardin, un piano noir de concert dont le creux accueillant d’épaule est animé de scintillante lumière rasante comme l’aile moirée d’un corbeau prêt à l’envol. Une douche frontale de froids néons, puis latéraux, éclaire, sans donner de chaleur, une vaste scène nue, meublée de quelques chaises et d’un fauteuil aux côtés moins parés que désemparés par des panneaux qu’on croirait de tableaux, mais à l’envers : envers d’un décor qui se refuse à l’être. Minimalisme affiché. La lumière latérale sculpte et creuse les visages et, dans le noir, un pinceau sur le piano exalte sévèrement le magnifique pianiste Franco.
Les costumes, on les oublierait dès qu’on les a vus, n’était-ce, sous ce hangar chauffé à blanc le jour par la canicule, brûlant encore de la chaleur de la nuit et de celle de ces danseurs, la pénible angoisse de les voir ruisselants de sueur, en robe longue, en veste et pantalons certains, en pull un autre.
La musique alternera des parties de piano, Bach et trois pièces de clavier de Schönberg et des morceaux enregistrés de ce dernier et surtout, en gros, du premier Webern : d’un Baroque géométrique à un néo-romantisme expressionniste effusif qui semble approfondir, explorer la nuit avec des explosions stellaires trouées d’espace, des éclats, des scintillements ; et les notes éparses de Schönberg distillées magistralement au piano par Franco s’enfilent tout naturellement dans le fil du collier déroulé de Bach.
La dizaine de danseurs, alterne une suite de numéros solistes compétitifs et quelques ensembles, improvise apparemment, se coule, se glisse dans la musique, tout leur corps, de la tête aux pieds semblant devenir notes capricieuses, capricantes, émancipées de la mélodie, de la logique de groupe, jouant solo, jouant, vivant, dans de vives accélérations, des ciseaux, des bonds, des pirouettes, des frémissements, des tressautements, les traits, les trilles, les mordants, las appoggiatures, tous les ornements de la musique baroque, baignant comme en apesanteur et sans mouvement dans le flot de la musique sérielle.
Malgré tous ces fils ironiquement déroulés (du temps, de la narration ?) on a la sensation d’une danse en pointillé, contenue, continue dans le discontinu des singularités mais qui s’agrège rarement en collectif, en pelote, suite d’aphorismes comme ceux d’un certain Webern, qui ne s’érige jamais en facilité narrative ni émotive : la danse se regarde danser, dans sa pureté mais aussi sa limite.
Car, bannie l’émotion si ce n’est celle, secourable de la musique, c’est une démonstration de savoir-faire qui sait se faire savoir et valoir, un cours qui ne s’érige jamais en discours mais le problème est qu’on a beau avoir miraculeusement ou monstrueusement repoussé les limites physiques des corps, le répertoire, le vocabulaire chorégraphiques, en demeurent tout de même humainement limités et, sur cette trop longue durée de temps, les improvisations les plus inventives tombent inévitablement dans ce qui paraît, peut-être injustement, des répétitions, la trop grande subtilité, la tension, se diluant dans les contraintes d’une réception où l’attention du spectateur, dans un hangar surchauffé, ne peut rester à vif près de deux heures durant. Bref, les danseurs ont beau, à la fin, effilocher le long tapis central, dérouler de temps en temps des fils, la danse abstraite le reste et, sans le fil narratif, la bobine globale de Zeitung paraît un peut longuette.
Photos : Herman Sorgeloos.
Zeitung, Festival de Marseille, 29 juin 2008
Concept : Anne Teresa De Keersmaeker et Alain Franco
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker
Piano : Alain Franco
Musique : J.-S. Bach, Schönberg, A. Webern
Vocabulaire de danse en collaboration avec David Hernandez
Décors et éclairages : Jan Joris Lamers
Costumes : Anna-Catherine Kunz
Dansé par et créé avec
Bostjan Antoncic, Tale Dolven, Fumiyo Ikeda, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Moya Michael, Elizaveta Penkóva, Igor Shyshko, Sandy Williams.
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