L’HEURE DU THÉ
Bel canto
L’expression bel canto, ou buon canto, le beau, le bon chant, qui remonte au XVII e siècle, employée souvent à tort pour toute l’expression lyrique, ne désigne, à proprement parler, que la technique vocale baroque où primait la beauté du son, la souplesse, le phrasé et toutes les ressources de la virtuosité portées au sommet par l’art extraordinaire des castrats. Rossini, tourné vers ce style, l’illustre encore au début du XIX e siècle et l’on peut encore parler d’un « bel canto » romantique avec Bellini et Donizetti et la plupart des « Verdi ». Cependant, le grossissement des salles, des effectifs orchestraux, le wagnérisme et le vérisme, entraînèrent la décadence de ce type chant, la disparition presque complète de ce répertoire, dont seuls quelques rares pans subsistèrent, transposés abusivement à l’aigu pour les divas, l’exemple le plus caricatural étant le Barbier de Séville, dénaturé de sa couleur originelle pour l’héroïne, au prétexte que les voix légères et hautes ont plus de facilité à vocaliser alors que la connaissance de l’époque baroque prouve que l’on vocalisait sur toutes les tessitures vocales, le sévère Benedetto Marcello reprochant même aux basses de « ténoriser » leurs ornements et aux ténors d’orner leur chant à la basse. La distinction entre « grandes voix », incapables de vocaliser et petites vocalisantes, qui ne passeraient pas la rampe orchestrale autre que légère étant démentie aussi par l’histoire : les castrats avaient des voix puissantes, les Malibran, Pasta, Nourrit, Viardot ne passaient pas pour de petites et, à notre époque, un Alfredo Kraus, dont la voix paraissait modeste, emplissait toutes les salles et une Sutherland ou surtout Caballé ont chanté avec bonheur tous les répertoires où Callas laissa sa fragile et ingrate voix, faute de technique suffisante comme elle le confessait elle-même, malgré sa professeur belcantiste Elvira de Hidalgo. Question de style et de technique, le vrai bel canto étant la santé de la voix, comme le disait aussi Gwyneth Jones.
Stagiaires belcantistes
Ceci pour dire que les quatre jeunes stagiaires du CNIPAL présentés, sans avoir une voix wagnérienne, avaient une voix parfaitement adaptée au répertoire qu’ils défendirent avec bonheur en première partie.
Ainsi, Manuel Núñez Camelino, qui n’est plus un inconnu, dont le grave s’étoffe et gardant l’éclat de ses suraigus, aussi bon acteur du grave au comique que souple dans son allure et dans sa voix, se coule avec aisance et légèreté dans les emplois de ténor di grazia, rossiniens (encore que Manuel García, le créateur d’Almaviva chantait aussi le Don Giovanni de Mozart), toujours convaincant dans diverses facettes.
Eduarda Melo entre avec une grâce souriante dans la Morgana de l’Alcina de Hændel comme dans une robe faite exprès pour elle, dans les délicates dentelles et broderies jubilantes des vocalises avant d’être una Despina cynique ou désabusée jouant malicieusement du chant et du texte, tout aussi crédible en Oscar de Verdi qu’en Sophie de Massenet ou Lætitia de Menotti, avec une égale fraîcheur et joliesse du timbre.
Douée d’un organe chaud, puissant, à la ligne bien conduite, Lea Sarfati a un tempérament qui s’impose irrésistiblement dans son catalogue de donjuane d’Offenbach, dans un extrait coloré et virtuose de zarzuela hispanique mais dans le tango-habanera Yukali de Kurt Weill, un excès de rubato et de lenteur, le désir de faire un sort à chaque mot, gomme les arêtes déchirantes de cette utopie désespérée, tragique par l’implacable rythmique qui nous entraîne de sa fatalité.
Élégante et racée, timbre assorti quand l’extrême aigu s’épanouira encore un peu, Marie Kalinine a une évidente forte personnalité qui tire les rôles à elle. Exacte vocalement et dans ses vocalises, timbre au clair satin, on a du mal cependant à imaginer cette jeune femme déterminée, autoritaire, en Rosine (même coquine picaresque) soumise à la tyrannie d’un barbon qui a de quoi trembler face à elle, allure de perverse maîtresse plus que de servante maîtresse. À la noblesse populaire de Carmen elle apporte une distinction et une distance ironique, un sourire froidement prédateur qu’un metteur en scène intelligent pourrait mettre à profit pour renouveler le personnage.
Prenant ses marques d'accompagnateur pour la première fois, Julien Le Hérisssier entrait brillamment dans les pas de ses prédécesseurs.
On hâte de réentendre ces talentueux jeunes chanteurs.
Vendredi 22 février 2008
Photos M@rceau :
1. Manuel Núñez Camelino ;
2. Eduarda Melo ;
3. Lea Sarfati ;
4. Marie Kalinine ;
5. Trio de Carmen.
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