UN BAL MASQUÉ
Livret d’Antonio Somma, musique de Giuseppe Verdi
Opéra de Marseille
Livret d’Antonio Somma, musique de Giuseppe Verdi
Opéra de Marseille
L’œuvre
Le masque sied à l’amour et à la mort. Du moins au théâtre et à l’opéra mais, quand l’Histoire s’en mêle et s’emmêle comme lors du bal masqué où Gustave III de Suède fut assassiné en 1792, cela fait la plus belle des histoires pour la scène romanesque et romantique du XIX e siècle théâtral et lyrique. La pièce historique de Scribe avait déjà séduit Auber qui en fit un opéra fameux en 1833, suivi par deux autres compositeurs italiens qui transposèrent le sujet en des époques différents pour déjouer la censure : on peut assassiner, décapiter à la hache ou à la guillotine des rois, l’Histoire le montre, mais on ne peut le monter ni montrer à la scène. Verdi, en 1857, l’apprendra à ses dépens avec les avanies et avatars de son livret, refusé à Naples et Rome par la censure, trafiqué et défiguré, finalement accepté en 1859 par une transposition de l’action un siècle plus tôt dans la puritaine Nouvelle-Angleterre (guère adepte des légèretés des bals masqués galants), faisant du roi un comte courant plus politiquement tuable qu’un roi.
Un roi révolutionnaire
Scribe agrémentait le complot politique d’une histoire d’amour adultère entre le roi et la femme de son meilleur ami et ministre, fidèle jusque-là, qui deviendra le régicide. On ne saura malheureusement rien des raisons du complot de la noblesse contre ce monarque franc-maçon nourri en France des idées philosophiques des Lumières, qui, anticipant la Révolution française, avait depuis longtemps aboli la torture, réduit considérablement les droits de la noblesse, redistribué la terre et, en 1789, comme en France avec la Nuit du 4 août, accordé à tous les Suédois l'égalité des droits et l'accès aux fonctions publiques, préparant la modernité progressiste suédoise. Un vrai roi révolutionnaire dont on comprend alors, à la lumière de la vérité historique ici occultée, l’exécution programmée par la noblesse. Artiste aussi, il avait imposé en Suède le style gustavien, d’une sévérité de lignes néo-classique, toute luthérienne, caractérisée par une couleur grise typique.
Réalisation
Sans rien dans le texte pour se raccrocher à cela, Jean-Claude Auvray qui resitue l’action en Suède, joue subtilement sur l’effective solitude du mélancolique monarque singulier, symbolisée par un fauteuil de dos, souvent vide, tourné d’abord vers une bibliothèque imposante et austère, le monde du savoir et des rêves, derrière laquelle surgira, en transparence, la masse onirique menaçante des courtisans comploteurs, moutonnement de perruques blanches nébuleuses sur sombres costumes (Louis Désiré) souligné de lignes rouges sur les rabats, cols et boutonnages, dans un efficace décor gris (Alain Chambon), géométrique scénographie praticable, dessinant divers espaces intérieurs et extérieurs dans une sobriété bien gustavienne. Les chœurs sont superbement traités et, dans des lumières froides ou sombres (Philippe Grosperrin), leurs mouvements de foule, de houle, de rameurs de navires vêtus de noir, avec l’ondulation de la ligne des raides cols blancs, prennent des couleurs rigoristes de tableaux hollandais ou espagnols. Seules couleurs vives pour le bal masqué mais aux masques inquiétants de la mort déguisée sur le blanc gribouillis des figures : troupeau courtisan de moutons masqués de loups ou loups de cour déguisés du mouton de la perruque.
Interprétation
À la tête de l’orchestre de l’Opéra au mieux, Nader Abassi exalte les couleurs du drame, nappe d’ombres la trame, fait gronder sourdement les basses menaçantes, tonner la menace et gémir le violoncelle comme une âme en peine, menant, sous la légèreté du menuet, l’implacable rythmique du bal funèbre et, dans cet opéra de chœurs, Pierre Iodice leur donne une présence obsédante et inquiétante, du murmure grondant, de l’ironie à l’effroi. Sur la présence notables des voix graves bien en place (Jean Teitgen, Patrick Bolleire, Olivier Heyte), tranchent les voix claires (Julien Dran) et la lumineuse Laura Hynes Smith, timbre fruité et flûté pour le futé travesti du page Oscar, gazouillante de vocalises rieuses et périlleuses, juste dans son jeu d’instrument joyeux et inconscient du destin. Voix intermédiaires, en sorcière Ulrica, Eugénie Grüneval va du sombre grave de sa voix à l’extrême aigu de ses déchirements prophétiques avec une égale somptuosité du tissu vocal et Marco di Felice, Renato peu confidentiel dans son conseil au roi d’abord, laisse ensuite éclater toute la fureur de son désir de vengeance avec une arrogante égalité de volume superbe. Le roi, seul face à ses masses menaçantes, a le timbre limpide, égal, incisif ou introverti de Giuseppe Gipali, émouvant dans la tenue grise de Gustave III. L’héroïne amoureuse sans trahir son mari, Amelia, est Micaela Carosi, certainement belle et grande voix capable encore de demi-teintes. Mais, victime de sa générosité vocale, elle « donne » trop vocalement sans se protéger elle-même et ses aigus sentent un peu la fatigue en cette dernière. Elle semble tellement chanter pour emplir la salle qu’elle paraît se vider d’intériorité, remplissant les oreilles sans combler toujours le cœur : un son qui va trop à l’auditeur fait barrière et l’empêche d’aller le chercher lui-même pour en goûter la musique et l’âme.
21 mars 2008
Photos Christian Dresse, légendes B. P. :
1. Amelia et Ulrica ;
2. Amelia et le roi ;
3. Amelia et son époux ;
4. Loups déguiséss en moutons : la cour;
5. Mort du roi entre les bras d'Oscar .
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