HEURE DU THÉ
Solistes du CNIPAL
Solistes du CNIPAL
Une structure unique
C’est toujours un bonheur de retrouver, dans le Foyer de l’Opéra, le rituel rendez-vous proposé par le CNIPAL, le Centre National d’Insertion Professionnelle d’Artistes Lyriques, le seul en France, que Marseille a la privilège d’abriter : capitale culturelle lyrique, oui, par cet enseignement capital. Le Centre reçoit des jeunes chanteurs solistes du monde entier, rigoureusement sélectionnés, qui y viennent perfectionner leur métier, musicalement, vocalement, dramatiquement, grâce à l’enseignement qui leur est dispensé par d’excellents professionnels, pianistes, maîtres de chant et prestigieux chanteurs qui y donnent des « master classes », des metteurs en scènes, des professeurs de langues, sous l’égide d’une trop petite équipe qui compense son nombre réduit par un zèle, un dynamisme et un dévouement dont, chaque mois, ils nous manifestent la preuve et l’efficacité dans ces récitals où les jeunes débutants viennent se présenter devant un parterre nourri de fidèles enthousiastes. Des auditions devant des agents, des directeurs d’opéra, leur offrent aussi un éventail de possibilités de faire valoir leur talent en vue d’engagements professionnels. Notre Opéra, dont la Directrice, Renée Auphan et son adjoint Maurice Xiberras, tous deux anciens chanteurs, sont impliqués et dans la structure et dans les sélections, offre non seulement le foyer pour ses deux concerts mensuels, mais la salle et l’orchestre pour les spectacles de fin d’année (décembre et juin) et certains de ces jeunes, engagés, passent souvent, de l’estrade du récital à la scène de la salle.
Non négligeable action culturelle et pédagogique, de plus, envers un public parfois un peu trop traditionnel dans ses goûts : la programmation des récitals est éclectique, classique, mais aussi ouverte sur des musiques plus rares, dont celle des pays d’origine de ces parfois lointains jeunes chanteurs. À la faveur et dans la ferveur de ces sympathiques récitals, on découvre ainsi les nouveaux stagiaires, retrouve les anciens qui y restent un temps encore avant de partir pour une carrière qu’on leur souhaite belle et heureuse, comme tant de leurs prédécesseurs dont le journal d'information du CNIPAL, Nouvelles Lyriques, fournit, justement, des nouvelles.
Première Heure du thé de la saison
Sur les 17 pensionnaires de cette année, la « Promotion Pavarotti » en hommage au chanteur récemment disparu, 7 Français. Mais ceux qui ouvraient non la danse, mais le chant, un trio masculin, venaient, l’un de Georgie, l’autre de Bulgarie, le dernier, de Chine.
Le premier, Nika Guliashvili semble un parfait exemplaire de ces grandes basses slaves : voix puissante, égalité de volume et de couleur du grave à l’aigu éclatant de rondeur. Il donna toute sa mesure vocale, sinon dramatique, dans l’air de fureur d’Osmin de l’Enlèvement au sérail de Mozart. Cependant, l’air de la calomnie du Barbier de Séville de Rossini, n’a pas la « subtilité insensible », ni la « légèreté » de « zéphyr », ni le « murmure » qu’expriment texte et musique, même s’il est impressionnant dans le « coup de canon » ; l’air de Fiesco de Simon Boccanegra de Verdi manque aussi de la variété d’affects, douleur, révolte, déchirement, prière, qui en font la grandeur dramatique et, du même compositeur si théâtral, le monologue angoissé du Banco de Macbeth, guetté par des assassins, la nuit dans la forêt, soufflant discrètement la fuite à son fils, n’est pas dramatiquement sentie dans ses nuances. On peut imaginer que le stage au CNIPAL raffinera ce magnifique matériau vocal un peu brut et corrigera le danger des voix tonnantes qui risquent d’être détonantes par un excès de vibrato, car on sentit ce jeune chanteur plus à l’aise dans la superbe mélodie de Rachmaninov, Le Pauvre mendiant, dont Nino Pavlenichvili fit ruisseler les larmes pianistiques.
Belle matière vocale encore, celle du baryton Alec Avedissian : voix homogène sur toute sa tessiture, large, aisée, de superbes couleurs de poitrine, un velouté, un sens des nuances musicales et textuelles prometteurs, tant dans la mélancolique mélodie bulgare de Marin Goleminov, que dans les extraits divers d’opéra. Si son charme est encore un peu trop juvénile et ingénu pour le charmeur cynisme de Don Giovanni de Mozart, il sait être aérien, chaleureux, convaincant, dans le Malatesta de Don Pascuale de Donizetti puis sympathique bellâtre dans le Belcore de l’Elisir d’amore, déployant de faciles vocalises et un beau legato. Il fut aussi un Zurga à la belle diction française dans le duo simple et généreux des Pêcheur de perles de Bizet avec l’expressif ténor Xin Wang.
Ce dernier, allure fragile, d’emblée s’imposa dans l’air si difficile du Don Ottavio de Don Giovanni de Mozart, superbe tenue de souffle, impeccable phrasé, égalité des vocalises mais aussi une caractérisation crédible du personnage, tendre dans l’amour mais héroïque dans le désir de vengeance. Mêmes qualités de justesse dramatique et musicale dans le touchant et naïf Némorino de l’Elixir d’amour, dans ses deux airs, puis celui, bouleversant, de Frédéric de la trop rare Arlésienne de Cilea : personnages divers mais tous servis avec un art de la voix mixte qui lui permet de subtiles demi-teintes et une variation de couleurs nécessaires dans le théâtre chanté qu’est l’opéra. Il nous gratifia d’une poétique mélodie chinoise où sa voix plana avec un charme irréel.
Servante fidèle du piano, dans tous les registres requis par l’accompagnement, toute attentive aux jeunes chanteurs, Nino Pavlenichvili fit sentir tout l’orchestre dans son seul clavier en interprétant l’ouverture du mélodrame de Rossini, La gazza ladra, opposant, dans des jeux de contrastes, sa puissance naturelle et la grâce malicieuse, la légèreté primesautière et la gravité dramatique, menant et montant de façon énergique le crescendo comme une vague vitale, irrésistible et crépitante, vers la jouissance de l’explosion.
22 novembre
Photos M@rceau :
1. Nika Guliashvili ;
2. Alec Avedissian ;
3. Xin Wang ;
4. Nino Pavlenichvili.
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