Non, Isabelle Bonnadier n’est pas qu’une souriante et gentille mésange, dotée par les anges d’une ingénue et musicale voix et qui chante et nous enchante, posée sur une branche éthérée sur un fond de ciel bleu sans nuage. Isabelle est une artiste complète, inquiète, en quête : passant avec bonheur de Monteverdi, perverse Drusilla face à Poppée, à Hændel avec un champêtre détour par les champs et Chants d’Auvergne, sans camper sur des terrains fertiles mais faciles, elle bouge, s’interroge, cherche.
Cette fois-ci, sous l’égide de « L’Oiseau qui chemine », pour notre nostalgique bonheur, elle nous conduit de la main, guide orphique et lumineux, dans l’ombreuse complicité confidentielle d’un Cabaret des chimères, dont la chimère est sans doute, à notre vulgaire époque, de ressusciter cet art perdu au détour du siècle, celui porté au sommet, au début de l’autre, par rien moins que Schönberg, Weill, à Vienne, à Berlin, à Paris : les cabarets littéraire, poétiques et musicaux qui ont donné des chef-d’œuvres : Le Pierrot lunaire, classique fondateur désormais du sprachgesang, est issu de ces expériences menée par poètes, acteurs, compositeurs et, souvent, peintres (Schönberg l’était aussi).
Baissant son joli soprano comme pour nous chuchoter à l’oreille, Isabelle nous introduit d’abord a capella, en italien, dans la mezza notte propice à ces murmures, à ces confidences, parfois coquines, où elle se livre à l’ivresse des mots et des notes. Les mots : des poèmes d’Éluard, de Louise de Vilmorin, de Marcel Achard, de Prévert, de Desnos, de Queneau, Schiller… Les notes : des musiques de Satie, Auric, Merula, Sauguet, Van Parys, Weill, Piazzola… Et des paroles et des musiques aussi d’Isabelle, qui sert amoureusement la trop méconnue Viviane Montagnon, Vilmorin, Desnos, Dimey et elle-même, auteur et compositeur de textes qui n’ont rien à envier à ceux des autres qu’elle a choisis. En effet, il y a une belle harmonie entre ces paroles de poètes, souvent fondées sur le jeu primordial du verbe, toujours au début, le jeu de sons qui fait sens, et les siens, ainsi son bouleversant Odessa, qui jouant sur la dérivation sonore « Oh dis-moi, Odessa », traduit le désarroi, la détresse d’exilés de la vie. Car, sans discours, c’est l’inquiétude du monde, c’est la quête utopique et désespérée (Youkali), un aveu de compassion humaine mais aussi un cri déchirant d’impuissance et un désir d’agir à sa façon que nous délivre Isabelle Bonnadier avec la complicité d’un pianiste arrangeur inspiré, Laurent Desmurs, qui, d’un synthé fait vivre un piano de concert qui n’injurie pas Schubert et d’Alain Territo, scandant les chaudes palpitations de la contrebasse et dont la ligne tenue et continue du bandonéon est comme un vaste et lointain horizon chimérique de pampa ou d’univers déchirant.
Oui, un beau moment. Mais autre chimère : on rêverait d’une vraie mise en scène ou d’une mise en espace au moins pour sublimer ce spectacle et lui permettre d’avoir l’audience qu’il mérite très largement.
19 janvier 2007
On retrouve avec bonheur Isabelle, Desmurs, Territo plus Gilles Raymond dans un disque précieux avec presque toutes ces chansons, Isabelle Bonnadier… à la folie, « Fêlures, vertiges et autres fredaines ». Disques Velen.
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