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Beethoven,
concertos n°4 et n°5
Reed Tetzloff, pianiste,
Orchestre philharmonique de Prague, direction
Pawel Kapula,
Label Aparté
Arrivé en 1790 à Vienne, un an avant la mort de Mozart, Beethoven s’y s’impose comme pianiste virtuose, recherché aussi comme professeur de piano par l’aristocratie locale. Preuve de cette vocation pianistique première, sur ses sept premiers concertos, cinq sont destinés au piano.
Ils s’inscrivent dans la tradition viennoise de Mozart et de Haydn, caractérisée par une mise en valeur du pianiste, héros du concert, affronté à l’orchestre dans un duel plus qu’un duo, qu’il surmonte par sa virtuosité. Interprétant lui-même en public ses quatre premiers concertos, Beethoven se rêve donc pianiste compositeur, mais, rattrapé par la maladie, la surdité, redoutant les erreurs, il est forcé d’abandonner l’interprétation au profit de la composition, destinée, forcément, à d’autres interprètes. Son dernier, le pourtant si célèbre 5e concerto, dit l’Empereur, il est contraint d’en confier la création publique à son élève Carl Czerny, tout en surveillant sourcilleusement de près l’exécution, lui interdisant même les cadences traditionnellement libres de l’interprète, notant pointilleusement les siennes.
Les trois premiers concertos pour piano, sont sensiblement tributaires d’une esthétique du XVIIIe siècle, avec ce rôle principal dévolu au pianiste, forcément l’interprète-compositeur qui se met lui-même au premier plan de la fête musicale. Mais le troisième concerto est une charnière, l’amorce d’un très grand changement, un tournant radical, ne serait-ce que par sa tonalité, le seul écrit en mineur, précisément l’ut mineur, tonalité, sombre et tourmentée, chère au compositeur, déployée dans la Sonate pathétique (1799), dans Coriolan (1807) et la Cinquième Symphonie (1808).
De cette évolution, le quatrième, sera l’accomplissement, et le cinquième, le plus célèbre, l’épanouissement absolu mais que Beethoven eut la douleur de ne pouvoir l’interpréter lui-même. Ce sera le dernier, puisque, le 6e qu’il envisageait pour le piano, transcription de son seul concerto pour violon, restera inachevé, comme un signe de sa détresse de pianiste virtuose forcé au renoncement de le jouer lui-même.
Dans ce nouveau disque qui marque le coup d'envoi d’une intégrale des concertos beethovéniens, le pianiste américain Reed Tetzloff, magnifié par l'Orchestre philharmonique de Prague sous la baguette de Pawel Kapula, offre une passionnante mise en miroir, ou plutôt, mise en écho des concertos n°4 et n°5 , soulignant les deux versants expressifs, l’introspectif, méditatif, du quatrième concerto, et l’épique, extroverti du cinquième.
Le livret de Jan Swafford par sa richesse historique et musicologique, éclaire la cohérence, l’intelligence et la subtilité de cette interprétation, de cette démarche bien pensée.
Évidemment, baignant dans une époque bousculée par la Révolution française et l’épopée napoléonienne, qu’il salue d’abord passionnément, Beethoven passe pour le compositeur révolutionnaire qui rompt aussi avec le passé, mais sans en faire table rase. C’est ce qu’expliquent Reed Tetzloff et son préfacier qui s’emploie ici à mettre en lumière la démarche avant tout “évolutionnaire” du compositeur, l’inscrit dans le respect d’abord des modèles canoniques hérités. Certes, une Révolution n’est pas une génération spontanée, elle rumine lentement, elle germine pousse, gonfle, avant d’exploser soudain, paraissant, après coup, imprévisible.
Ainsi, le Concerto N° 4 opus 58, Beethoven le travaille entre 1805 et 1806 avant de le créer encore lui-même en 1807. C’est le piano, royalement, qui débute, entre en scène dans la tonalité de sol majeur, mais l’orchestre lui répond, ou refuse la réponse, dans une autre tonalité, si majeur avant de livrer sa masse orchestrale à la volonté tonale, magistrale du piano. Écoutons un extrait du premier mouvement, allegro moderato :
1) PLAGE 1
Reed Tetzloff ne surjoue pas le texte d’un compositeur déjà révolutionnaire ni ne joue au pianiste échevelé au service du génie déjà indomptable. Non, il nous offre, une calme approche, une élégante sérénité méditative, même d’un héros déjà romantique, mais affrontant, dignement, noblement la masse tempétueuse du monde.
Dans le second mouvement, l’on sent d’entrée la menace planante, les sursauts de l’orchestre, qui pourraient être des sauts explosifs, mais domptés sans violence par le chef qui les fait entrer dans l’ordre et enveloppe le piano, sans l’étouffer, comme dans la douceur, la brume du rêveur :
2) PLAGE 2
Le rondo vivace du troisième
et dernier mouvement, un peu hirsute soudain :
3) PLAGE 3
Le Cinquième concerto pour piano de Beethoven opus 73, en mi bémol majeur, reçut le titre l’« Empereur » après la mort du compositeur qui le considérait comme le « Grand Concerto ». Il l’avait dédié à son élève Rudolph, Archiduc d’Autriche, frère de l’Empereur. Il date de 1809 alors que les armées de Napoléon entrent dans Vienne. Le compositeur se désole, déplore :
« Quelle vie destructrice et folle autour de moi, rien que tambours, canons et misères de toutes sortes ! »
Dans ses ébauches de la partition, on a pu lire des termes relatifs à la guerre, « victoire », « combat », « attaque »… Peut-être comme un désir de résistance à l’agression militaire d’un Napoléon qu’il avait admiré quand il exportait les idées de la Révolution et abolissait les monarchies, auquel il avait dédié la Symphonie Héroïque de 1803-1804, se repentant quand celui-ci s’était couronné Empereur.
Créé en 1811, le concerto est dans la même tonalité de mi bémol majeur que la Symphonie Héroïque.
Nous quittons ce disque réussi à tous niveaux sur le vertigineux, 3e mouvement du 5e concerto, le rondo allegro, un piano ivre mais d’une précision diabolique, flottant sur un orchestre qui plane comme un nuage musical ou qui lui déroule la douceur révérencieuse d’un tapis complice.
4) PLAGE 6
Émission N°778 7/11/24 de Benito Pelegrín
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