L’Opéra au Village
Nuits romantiques de Pourrières
Couvent des Minimes
Nuits romantiques de Pourrières
Couvent des Minimes
Au temps de Nohant
Belle manifestation animée par des bénévole mais servie par des artistes professionnels triés sur le volet, voilà six ans déjà de Festival et, en trois : les turqueries au début du XIX e siècle en 2006, les chinoiseries en musique en 2007 et, de cet Orient proche ou extrême, nous passons ici à ces Nuits romantiques pour l'atmosphère et l'époque, invités à Une soirée musicale chez George Sand, suivie de Cendrillon, opéra de salon de Pauline García Viardot. Encore une œuvre rare recréée par un modeste mais ambitieux festival.
Après un convivial repas à thème adéquat, menu berrichon, sous les sages marronniers en ligne sous le mur rempart du couvent, dans le cloître intime du couvent des Minimes (XVI e s.) de Pourrières, où un arbre joue le S baroque en tendant vers le ciel son nuage de feuillage, nous avons le privilège de voir exhumée cette œuvre délicate.
Une soirée musicale chez George Sand
Mais d’abord, une première partie, théâtrale et musicale chez la « Bonne dame de Nohant », chez George Sand (1804-1876), la romancière, journaliste et première femme moderne, anti-conformiste, scandaleuse et républicaine, qui réussissait l’exploit d’attirer chez elle, dans ce lointain Berry, tout ce qui comptait dans la France romantique de son temps, résumé, dans ce spectacle joliment introductif et instructif, autour de Pauline García Viardot, l'inspiratrice de Consuelo, à Clara Schumann, Eugène Delacroix, Rossini l’ami de la famille García, Yvan Tourgueniev, l’adorateur fidèle, sans oublier les enfants de la diva.
L’atmosphère musicale est donnée par le violoncelle gémissant de Virginie Sauveur, dont la plaintive voix sur « J’ai perdu mon Eurydice » suggère déjà la sûreté du goût musical de Pauline qui, en plein XIX e siècle fit exhumer par Berlioz et sauva l’Orphée de Gluck.
Quelques portraits sur les murs redoublent les présents et rappellent les absents, dont Chopin, Lizst et le père grandiose et terrible de Pauline, Manuel García, en Otello de Rossini. Jolie trouvaille, la galerie du cloître,s es trois arcades fermées de portes vitrées, ornée d’une allée de petits buis taillés, bleutée de rêve nocturne ou ensoleillée de joie, donne de la profondeur à la scène, une simple table, des chaises et le piano, puis lethéâtre de marionnettes célèbre de Maurice, le fils de Sand, où Tourgueniev (Paul Crémazy) et Delacroix (Pierre Espiaut) se livrent, en fausset à une hilarante parodie de la scène des bijoux de la Marguerite du Faust de Gounod, dont Pauline (Anne Tsirone) a donné une dramatique et sensible version de Marguerite au rouet de Schubert, accompagnée au piano par Clara Schumann (Isabelle Terjan qui le tiendra remarquablement toute la soirée), qui avait musicalement rendu présent Liszt grâce à sa Méphisto valse.
Par la grâce de la voix off de Christelle Neuillet, qui avait déjà présenté Pauline Viardot dans une conférence et signe ce texte avec Bernard Grimonet qui assure aussi la mise en scène simple et efficace, inventive, avec de simples signes et moyens, ce salon devient une évocation, bien nourrie en documentation et iconographie visible, d’une soirée musicale à Nohant : George Sand avec ses amis qui ont marqué la culture universelle, époque heureuse sans télévision dont le trop d’images tue l’imaginaire, où des artistes savants savaient imaginer et jouer entre eux comme des enfants et avec des enfants. Le narratif, en général, tue le théâtre mais, là, nous avons juste un tableau, en musique aussi, qui déjoue la chronologie biographique, qui se joue des dates (Guerre de 70, Stravinsky…), qui situe et rend justice, finalement, à ces deux grandes dames, Sand et Viardot, dans un environnement et une atmosphère qui suscitaient et expliquaient, sans le souligner, cette Cendrillon, un divertissement qui trouvait là, ensuite, son contexte, sa justification intime et son exacte adéquation d’une forme à un contenu : modeste et pudique « petite forme » d’un grand esprit, exactement adaptée aux dimensions et limites humaines du salon, aux élèves, aux amis, sans grossissement ni développement, sans prétention ni grandiloquence, en toute simplicité mais avec le raffinement aimable et gentiment naturel que de cette réalisation a su trouver pour lui rendre sa dimension.
Pauline García Viardot (1821-1910)
Pauline était la fille cadette de l'irascible et irrésistible Manuel García, chanteur célébrissime, créateur du rôle d'Almaviva du Barbier de Séville de Rossini (auquel il semble aussi avoir collaboré à en juger par tous les rythmes hispaniques de l'œuvre), professeur de chant, compositeur, père de Manuel, le futur inventeur du laryngoscope et professeur de chant aussi, de María, la Malibran. Sans avoir la beauté de cette dernière, Pauline en eut cependant le talent vocal, le charisme. Sa culture musicale en fait un maillon essentiel de la musique du XIX e siècle au XX e. Sa longue vie et sa longue vue de l'histoire de la musique, passionnée de celle du passé mais aussi de celle de son temps et de l'avenir, lui ont fait jouer un rôle considérable de mécène et d'égérie, de relais capital, que l'on redécouvre aujourd'hui.
La stricte éducation musicale donnée par son père, avec une technique vocale extraordinaire héritée de celle des virtuoses castrats du XVIII e s., se doublait de connaissances littéraires, de la maîtrise des langues (espagnol, français, italien allemand, anglais, puis russe et grec!), de la pratique du dessin et même de la couture pour les robes de scène, sans oublier équitation et patinage. Élève de Liszt, amie de Chopin dont elle transcrivit avec lui des mazurkas pour voix, elle hésite entre le piano et le chant où elle reprend, à l'instigation de sa mère, cantatrice également, l'héritage de sa sœur infortunée, María Malibran, chantant autant les contraltos que les sopranos aigus. Égérie musicale des grands compositeurs de son temps (de Berlioz à Gounod en passant par Saint-Saëns et Massenet…) elle ne fut pas que la grande cantatrice qui, en plein XIX e siècle ressuscite Gluck et garde la flamme belcantiste des castrats, de Mozart et de Rossini, elle a laissé, comme sa sœur d'ailleurs et son père Manuel García, nombre de compositions, notamment des mélodies, que l'on recommence à découvrir (Voir, ci-dessus ma critique d’un récital du Festival Côté cour).
Ainsi, en 1904, cette féerie en trois tableaux, sur un texte d'elle-même, composée pour ses élèves.
Cendrillon
Agréablement intégré à la soirée de Nohant comme une récréation donnée par les enfants de Pauline à l’occasion de la venue à Nohant de leur père, Louis Viardot, le spectacle lyrique réunit logiquement les mêmes acteurs, devenus tous chanteurs par la grâce, apparemment, d’une baguette de fée. Bonne fée dans la vie de Pauline, Sand devient ici la fée marraine de Cendrillon et a le soprano léger cristallin, poétique et acrobatique, de Monique Borrelli dont le premier air de Reine de la Nuit bénéfique scintille d’étoiles au piano que fait miroiter délicatement toujours Isabelle Terjan. Avec la même cohérence Pauline devient Cendrillon, interprétée avec un charme nostalgique par la même Anne Tsirone, peut-être pas contralto mais soprano à couleur dramatique et aisance dans l’aigu qui rend crédible et attachant le personnage : sa cantilène du début, aux modalismes médiévaux, est un clin d’œil à la chanson de la Cenerentola, la Cendrillon de Rossini, « Una volta c’era un re… », preuve de la maîtrise des styles de Pauline dont des harmonies sont parfois avant-gardistes. Les deux sœurs chipies sont campée avec humour par une nouvelle et une ancienne du CNIPAL Bénédicte Roussenq, mezzo, et Karine Verdu, soprano, déjà accorte Gouvernante berrichonne dans le salon.
Côté hommes, déjà coquin Rossini, Pierre-Villa Loumagne est un cocasse et vocalisant père bouffe, voix grave pour personnage qui l’est peu. Allure et voix, Paul Crémazy, Tourgueniev charmeur, devient un Prince des plus charmants, ténor ancien du CNIPAL auquel son ex-condisciple Pierre Espiaut, espiègle Delacroix, devient ici spécial valet travesti en Prince, avec toujours la même veine et verve vocale et théâtrale. Duos, trio, sextuor sont d’une belle facture, toujours concis, avec des souvenirs d’Offenbach et, naturellement, comme chez celui-ci, des rythmes espagnols de Pauline Viardot qui noubliera jamais qu’elle était García. Tout ce beau monde est dirigé de façon pimpante et fraîche par Luc Coadou dans un respect délicat de l’œuvre.
Autre trouvaille de la fluide mise en scène de Grimonet, les changements (minimes) de décor se font à vue, les tableaux du salon retournés deviennent miroirs du palais, les buis de la galerie, sont portés sur scène, par une magnifique chorale qui chante a cappella des airs du Berry notés par Sand, Chopin, et surtout Pauline Viardot lors des séjours à Nohant, et même une comptine. Les costumes, somptueux et de bon goût sont faits par un atelier de bénévoles, tout comme le joli décor.
Bref, ces soirées, couronnées de succès sont une preuve éclatante que si l’état déserte honteusement le champ culturel (sauf les grandes manifestations qui n’en ont pas tellement besoin), de simples citoyens manifestent la nécessité collective de la culture.
Cendrillon, opéra de Salon de Pauline Viardot,
Pourrières, 17, 19, 21, 22, 24 juillet 2008
Luc Coadou, direction musicale ;
Bernard Grimonet, mise en scène et scénographie ;
Monique Borrelli (George Sand, la fée) ;
Paul Crémazy ( Tourgueniev, le Prince) ;
Pierre Espiaut (Delacroix, Barigoule) ;
Bénédicte Roussenq (Armelinde)
Karine Verdu ( Françoise, Maguelonne) ;
Anne Tsitrone (Pauline Viardot, Cendrillon) ;
Pierre Villa-Loumagne (Rossini, Baron de Pictordu) ;
Virginie Sauveur, viloncelle ;
Isabelle Terjan (Clara Schumann, piano) ;
Chœur : A. et É. Monray, L. Recchia, Ph. Brochec, Éd. Caillol, C. Costanzo.
Décor sous la direction de Jean de Gaspary : Méliani/Pichet/ Sirot/ Noguet ;
Costumes : M. Caillol, C. Dilberger, É. Grimonet, D. Hercelin, M. Musset, J. Boresi.
Photos du Festival :
1. Cendrillon (Anne Tsirone) ;
2. Princes sinon consorts, contorsionnées (Crémazy, Espiaut) ;
3. Arrivée à la cour ;
4. réception à la cour.
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