LA DIVA DU FADO
Mísia à l’Opéra de Marseille
Saudades symphoniques
31 mai 2008
Mísia à l’Opéra de Marseille
Saudades symphoniques
31 mai 2008
Fado
Le nom du fado a pour origine le fatum latin, 'fatalité', 'destin' qui donne en portugais « fado », en espagnol « hado », d’où dérivent aussi les « fées », divinités du destin et même le « fada », existant en ancien français, celui qui est touché par la fée, « hada » en espagnol ou « fata » en italien.
Il y a des polémiques sur les origines du fado. Certains lui cherchent des lettres de noblesse en antiquité, en nationalisme, inventant le mythe d'un fado aristocratique, tentatives bien-pensantes pour en gommer les origines louches gênantes. Les premiers témoignages de fados remontent à deuxième partie du XIX e siècle pour les plus anciens connus, musique bien de cette époque, fondée sur l’alternance tonique/dominante sans archaïsme ni particularisme musical très marqué comme le flamenco. Né apparemment à Lisbonne, c’est au départ une chanson urbaine essentiellement, portuaire (comme le tango), des bas quartiers, du monde marginal des tavernes, des marins, des bordels, des tristes filles de joie, expression fataliste, amère, nostalgique du destin. Le mode de vie « fadista », c’est celui des bohèmes, des voyous, des quartiers populaires.
L'apparition de la radio dans les années 30, le fado scénique des revues, l’ordre moral et le nationalisme de la dictature salazariste le popularisent dans tout le pays en créant des variétés soi-disant folkloriques et ancestrales, sainement paysannes, inventant le mythe d’un fado qui serait une forme artistique spontanée de tout le peuple, loin des miasmes citadins. Mais les recherches musicologiques sérieuses des années 8O et 90 ont fait litière de cette vertuiste mystification. L’écrasante figure d’Amàlia Rodrigues, qui lui donna la dignité universelle du classicisme, fut d’abord réfrigérante pour les jeunes générations mais, passé le moment de rejet à cause de la confusion du fado avec le régime fascisant de Salazar qui l’avait récupéré, des artistes ont trouvé une voix et des voix nouvelles pour dire, avec des mots et moyens d’aujourd’hui, un fado d’autrefois qui se veut de toujours. Ainsi, le groupe Madredeus, la jeune Cristina Branco, ou l'intimiste expression de Guida Bastos, auteur-compositrice s'accompagnant elle-même.
Mísia
Mísia s’est créée une place à part, partout reconnue aujourd’hui. Sans rien renier du fado façon Amàlia, elle l’a d’abord élargi par la recherche, sur des timbres, des « standards » anciens, de textes nouveaux, plus ambitieux, sollicités de grands écrivains pas forcément poètes au départ, Agostina Bessa Luis, José Saramago, Prix Nobel de littérature, n’hésitant pas à enrichir son répertoire (comme le faisait aussi Amàlia), de chansons dans d’autres langues, français, anglais et, naturellement en espagnol, comme cette tendre et douce Nana de la cebolla, qu’elle nous fait déguster dans son amertume terrible comme une ‘Berceuse à l’oignon’ tragique et douce, texte de Miguel Hernández, le poète paysan mort dans les geôles franquistes, mis en musique par le catalan Joan Manuel Serrat de cette Barcelone où naquit la mère de Mísia et où elle vécut. Elle se lance aussi dans un tango turc, une Habanera japonaise, mais, surtout, elle agrandit le champ (et chant musical) du fado en le confiant d’abord à un quintette (Camerata de Bourgogne) et, ici à un grand orchestre, élargi à des pages symphoniques sur la « saudade », le ‘blues’, la ‘nostalgie’ typiquement portugaise.
Belle, allure de reine, souriante, Mísa est un mélange rare de sophistication et de simplicité, sobre en gestes efficaces, caressant sa joue d’une main, elle commente directement les œuvres qu’elle interprète, mettant en valeur les poètes, les musiciens, ses deux complices de Lisbonne, Bernardo Couto à la guitare portugaise, Daniel Pinto à la viola de fado, qui donnent la couleur « fadiste ». Cependant, sa voix, qu’elle garde prudemment dans sa tessiture moyenne si ronde et veloutée, souvent confidentielle, malgré le micro, semble parfois noyée dans le déploiement orchestral et paraît prisonnière de la rythmique qui bride sa liberté et c’est dans les cadences a cappella, quand elle se lance dans des ornements, que je retrouve une vraie émotion du fado.
À la tête de l’orchestre, Bruno Fontaine, rompu en la matière, signe aussi les arrangements des chansons interprétées par Mísia, délicats, respectueux, convaincants. Trois morceaux symphoniques, le tango éclaté de Piazzola, une pièce d’un autre Argentin, Horacio Salgan, aux modulations proches de subtiles dissonances, hérissé de syncopes, et une large ballade de Coimbra du Portugais José Eliseu complètent cette soirée où le populaire s’ennoblit de classique et le classique s’enrichit de populaire, pour le bonheur du public ravi.
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