Roméo Cornélius, chant, Jean-Paul Serra, clavecin
Théâtre Gyptis
On n’a pas oublié le jeune stagiaire du CNIPAL, le jeune héros passionné d’Orlando de Hændel, triomphalement monté au Gyptis par Françoise Chatôt en 2003 et promené avec succès aux festivals d’Antibes et de Chartres, on a encore l’oreille émerveillée par le Concert des trois contre-ténors donné par Mars en baroque en mars dernier à Marseille. Roméo Cornélius, plus que contre-ténor, alto naturel depuis son enfance roumaine, allie à la puissance, au volume, rares dans cette tessiture, à une superbe technique vocale et à l’art raffiné de l’ornementation, une beauté physique de jeune héros à la mine enfantine d’enfant boudeur. Il revenait presque chez lui au Gyptis, devant un auditoire déjà conquis d’avance.
Est-ce ce public trop facile pour lui ou la fatigue, la voix étant un instrument divin mais humainement fragile, dans sa première partie, dévolue à la musique religieuse, des extraits du Stabat mater de Vivaldi et du Messie de Hændel, était-ce le bruit perturbateur pour lui et le claveciniste Jean-Paul Serra d’une décibelesque kermesse extérieure à grand renfort d’amplis excessifs, le fait est que notre jeune chanteur manifesta ou révéla une certaine indolence, voire une absence ou, du moins, une intériorité religieuse si intime que rien ne parut en transpirer émotionnellement à l’extérieur. Certes, la tenue époustouflante du souffle, le legato, la profondeur de ses graves rarissimes chez un contre-ténor, étaient là et, surtout, cette rondeur boisée d’un timbre exceptionnel dans le médium, en harmonie de couleur et douceur avec l’orgue en bois dont le nimbait délicatement Serra. Cependant, quelques ornements dans l’aigu, naguère si follement vertigineux, montrèrent quelque incertitude et, prudemment, il parut les éviter par la suite.
Plus heureux dans des airs tirés d’opéras de Vivaldi et de Hændel, cette bête de scène, superbe acteur de surcroît, parut se retrouver dans des airs échevelés vocalement, écrits pour des castrats, de héros guerriers et amoureux comme il convient, virtuoses, agiles, volubiles, passant de l’émotion des arie di portamento (tenue de souffle), aux airs hérissés de fureur qu’il fait résonner des creux profonds de noires couleurs de poitrine. Il nous fit apprécier le plus rare Leonardo Vinci (1696-1730), autre représentant de cet opéra napolitain international, dans deux airs de L’Artaserse, dont une aria di paragone, fondée sur une rituelle comparaison rhétorique, sur la rivière qui aspire au retour vers la mer, sorte d’air pastoral que Serra faisait ruisseler des ondes claires du clavier.
On aurait aimé davantage entendre ce dernier qui, généreusement, accompagnant efficacement Roméo, ne se réserva que deux parties instrumentales pures. Il nous offrit la Suite en ré mineur de Hændel avec un charme sensible et une grâce franche, sans maniérisme, dans les mouvements vifs, avec une noblesse sans raideur dans la sarabande sur le thème célèbre des Folies d’Espagne aux virtuoses variations dont la richesse préfigure celles d’Antonio Salieri pour orchestre et les jeux de clavier plus tardifs de Liszt. Dans un écho harmonique sinon tonal, l’artiste servit ensuite avec brio et bravoure la Sonate en la mineur de Carl Philipp Emanuel Bach, digne fils héritier de son père mais dont une certaine fièvre annonce le Sturm und Drang, efflorescence ornementale, milieu moelleux, vigueur et nonchalance élégante.
Deux belles soirées par de beaux artistes qui honorent le Gyptis.
Photos :
2. Jean-Paul Serra.
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