Jardins de Paradis :
Waed Bouhassoun, les Balkanes
Abbaye de Silvacane
La Roque d’Anthéron
25 octobre
L’association ÉCUME, Échanges Culturels en Méditerranée, née à Marseille, se voue depuis 1983 à faire dialoguer les cultures sur tous ses bords par l’échange artistique et humain. Elle a de la sorte tissé un large réseau d’enseignement artistique unissant Conservatoires, Instituts, Académies, Universités et Écoles de Musique, d’Arts Visuels et de Théâtre, officialisé par des accords engageant chaque entité à poursuivre des objectifs communs. Dans cet ensemble, la musique est un facteur commun qui, malgré des différences de détail, des virages de l’Histoire, dessine un seul visage de ces rivages baignés par une seule mer.
C’est encore une fois ce que l’on sentit dans ces rives et dérives musicales qu’a généreusement ouvertes le XVIIIe Festival des Chants Sacrés en Méditerranée du 3 au 25 octobre 2009 en région PACA, avant de voguer vers les rivages de Corse les 6 et 7 et se clore les 27 et 28 novembre sur les côtes d’Albanie.
Jardins de paradis
C’était le thème du dernier concert en région. Jardins clos de l’âme et jardins ouverts à l’amour, de l’Ami ou de Dieu, les deux se fondant, se confondant dans des noces charnelles ou spirituelles où l’esprit se fait corps et le corps se spiritualise dans l’union, l’extase unitive : jardin d’Éden, Paradis sur terre ou anticipation de celui à venir. Pour une fois, le cloître, jardin ecclésial, ne jouxtait pas mais battait, habitait, dans le cœur même de la petite abbaye cistercienne de Silvacane, carré, rectangle, triangle de pierre, pure épure ce Cîteaux. Ses vénérables voûtes, servirent d’écrin résonnant, à Waed Bouhassan d’abord, puis aux Balkanes. Sous ces voûtes médiévales, qui n’ont pas oublié les longues phrases ondulantes du grégorien, l’ondoyante musique arabe, proche parente de celle des troubadours provençaux, qui lui doit tant, semblait chez elle et la musique bulgaro-byzantine, étrange peut-être, mais guère étrangère : archaïques, ancestrales modulations, modes, ramenant à la musique modale précédant la tonalité moderne. Mais anticipant une modernité qui y fait retour.
Waed Bouhassan, chanteuse syrienne, s’est fait un nom sur les deux rives de la Méditerranée, mettant en musique de grands poètes mystiques, tels Jalaleddine Roumi, le classique Ibn Arabi et Rabi’a Al Adawiya. Mais son répertoire embrasse aussi des poètes de l’amour amour profane comme Wallada ou Ibn Zaydoun du XIII e siècle andalou des fastueux royaumes des taifas. La Maison des Cultures du Monde et l’Institut du Monde Arabe, l’Auditorium de l’Opéra Bastille à Paris, l’ont applaudie, mais aussi Grenade, Spolète, etc.
Frêle silhouette dans sa robe mauve, yeux fermés, elle prélude avec son oud, son la ud, son luth, et ses doigts distillent des constellations de petites notes qui semblent scintiller, l’auréoler. Puis elle murmure, chantonne comme une confidence: voix tendre, nostalgique, implorante, sons parfois assourdis bouche fermée, comme pour elle-même, mais non, c’est pour l’Autre, le Bien-aimé, l’Ami, c’est pour lui qu’elle implore l’aube, dans une véritable aubade arabe dont les troubadours furent héritiers. Puis la voix invoque, convoque pour la lumière, les sons des tambours, évoque le palais de rêve de Medinat al Zahara, s’élève, puissante, chaude, déroule son long ruban brodé de mélismes, semble épouser de sa rondeur les voûtes, puis diminue, sertie par les ornements du luth, s’affine, se finit comme à l’infini de diminuendi prolongés de la résonance des voûtes.
Puis une étrange mélopée de voix fleurit en file du fond de la nef, comme venue de l’ombre et du temps : quatre jeunes femmes défilent pour rejoindre l’estrade, longs cheveux dénoués, vêtues de costumes colorés, chamarrés, d’un folklore qui paraît hors du temps. Selon les mouvements du chant, leurs poses, plastiques, varient, vraies tableaux vivants, ensoleillant le gris accueillant de la pierre attendrie Du très grave à l’aigu, les voix se fondent sans se confondre : voix profonde d’alto de velours noir qu’on dirait pendant féminin des grandes basses bulgares, continuée par un mezzo soyeux, beau tissu grave qui s’éclaire en montant d’un soprano satiné et d’un autre qui couronne le tout de dentelures joliment criardes de voix slave populaire.
Les chants, polyphonies a cappella, dans la vocalité pure, montent sous les voûtes, mêlant leurs courbes, leurs croisées presque d’ogive sur le bourdon de la voix basse, s’étalent parfois comme une longue ligne d’horizon de steppe, ou se hérissent des crêtes montagnardes de la voix la plus haute. L’harmonie est complexe, les dissonances subtiles, les intervalles délicats de micro-tons ou de modalités grecques anciennes. Mais la cohésion est remarquable, les attaques impeccables et les sons se finissent avec un fondu sans aspérité. Parfois, à la langue près, on croit entendre des polyphonies corses ou sardes. Les ornements sont sobres, quelques mélismes, un petit gruppetto en fin de phrase comme un mouchoir que l’on agite pour un salut au bout du chemin, une même note répétée rapidement, sans aller jusqu’au trille, comme dans le flamenco.
On sent la mélancolie, la tristesse, la déploration ou la joie dans ces chants dont les textes fleurent les senteurs de jardins fleuris de jeunes filles en fleurs à l’ombre ou au soleil, jardins secrets, des délices, du supplice de l’exil d’un Éden rêvé, éphémère face au jardin éternel. Tirés de recueils d’ethnomusicologues, à partir d’une musique traditionnelle à mi-chemin de Byzance et de la Byzance du nord, Moscou, enracinés originellement et originalement dans les Balkans, ces chants arrangés ou recrées par les quatre Balkanes, sont en perpétuelle évolution : vraie mouvement de la tradition vivante.
Oui, on aime ces quatre M, Mina, Martine, Marie, Milena. En bis, sur le bourdon des quatre voix, Waed fera une improvisation somptueuse qui subjugue le public enthousiaste : deux rives diverses d’une seule Méditerranée. Sous ces voûtes séculaires, cette musique semblait immémoriale, intemporelle, venue d’ailleurs apparemment, mais comme éveillée en nous du fond de la mémoire.
Waed Bouhassoun, chants sacrés syriens.
Les Balkanes (Martine Sarazin, soprano, Miléna Roudeva, contralto, Miléna Jeliazkova, soprano, Marie Scaglia, mezzo), chants bulgares.
Digne-les-Bains, 17 octobre ; Lançon-de-Provence, 18 octobre ; La Garde, 21 octobre ; Marseille, 24 octobre ; Abbaye de Silvacane, 25 octobre.
Photos :
1 et 2 : Waed Bouhassoun ;
3 et 4 : les Balkanes.
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