MARS EN BAROQUE 2009
Avril se découvre à peine d’un fil que « Mars en Baroque » a filé avec la fugacité dont se filent les rêves : six concerts, trois conférences d’introduction, du 17 au 25 mars dans l’écrin de la Chapelle Saint-Catherine, sauf un, excentré à Aix dans celle du Saint-Esprit : quelque vingt-cinq interprètes du plus haut niveau artistique et émotionnel pour un public conquis. Mais, hélas pour le chroniqueur, un grand vide entre les parenthèses du premier au dernier concert : Mars en baroque a été aussi riche en musique que prodigue en pollens pervers.
Cette cuvée printanière a couvé amoureusement deux compositeurs autour desquels s’est centré le festival, couplant la naissance de l’un, 1659 et la mort de l’autre cent après dans un même lieu, la Grande-Bretagne: Henry Purcell et Georg Friedrich Hændel, naissance et mort pour une même musique bien vivante dans une belle courbe évolutive d’un siècle de Baroque.
Concerto al Palazzo Ruspoli
À quelque chose malheur est bon, ou moins mauvais : faute de Céline Scheen (accident), soprano qu’on eût aimé découvrir, on dépêcha en urgence de Vienne María Cristina Kiehr qui n’est plus une découverte ici où le public l’a adoptée; faute de Mara Galassi et sa harpe merveilleuse, empêchée, nous découvrîmes Elena Spoti et la sienne, magique. Mais nous avions cependant, pour ce beau fruit musical, le noyau dur de Concerto Soave en la personne de ses fondateurs, María Cristina Kiehr et Jean-Marc Aymes, claveciniste, organiste, et Directeur artistique de Mars en Baroque, avec, à leurs deux ailes, Elena Spotti donc, et Gaetano Nasillo au violoncelle, deux brillantissimes représentants voyageurs de ce Baroque européen.
Ils eurent, en dehors des ensembles et du continuo, l’occasion de le prouver, le premier avec une belle sonate pour violoncelle d’Antonio Caldara dont il fit, d’un son large, généreux, admirer les couleurs, la chaleur et la nostalgie ; la seconde, avec une Suite en ré de Hændel pour la harpe, allemande arachnéenne, sarabande (folies d’Espagne) obsédante, courante primesautière et ces variations d’entrée variées sur « Lascia ch’io pianga », enfilait délicatement les perles d’une rosée de notes. À son tour, Jean-Marc Aymes, abandonnant direction et continuo, auréolé d’abord de la brume solaire d’un impalpable et libre prélude d’Alessandro Scarlatti, faisait mousser, ruisseler, vives ou alanguies, les notes d’une suite de pièces pour clavecin de Hændel.
Pour le chant, la cantate romaine était à l’honneur, d’abord Alessandro Scarlatti qui, en six cents pièces, en fixa le modèle, alternance de récitatifs et d’arie avec da capo, ici une introduction mélancolique en arabesques du clavecin auquel se joint la plainte tendre du violoncelle, annonçant celle de l’amante blessée du départ de l’aimé : voix pleine, médium corsé, timbre d’ombre et de lumière qui sait s’alléger de soupirs, ornements discrets et diction parfaite, tout l’art de María Cristina Kierh dans cette œuvre et la dernière du programme, sur le même inusable thème des adieux.
Entre les deux, la fameuse cantate Lucrezia de Hændel, cette forte femme, matrone romaine à la vertu exaltée à l’époque baroque tant par catholiques que protestants qui, refusant le culte des saints, leur préfèrent les figures exemplaires d’une Antiquité moralisante. Violée par Tarquin le Superbe, faute de pouvoir se venger, Lucrèce venge son honneur et celui de son époux sur soi-même, par le suicide : exemple offert aux femmes en une époque qui oublie que Saint Augustin lui-même trouvait excusables les femmes qui avaient pu trouver, malgré elles, du plaisir dans le viol subi lors du sac de Rome par Alaric… La cantatrice entre avec mesure dans la démesure vocale de la cantate, déchirée de sauts et de variations de dynamique piano, forte, pour exprimer le déchirement, l’indignation, la révolte, le désespoir et la froide résolution finale. Cependant, elle donne sa mesure interprétative dans une retenue dramatique de la dignité blessée qui ménage la montée en puissance de l’impuissance de ses imprécations, serrant les trilles comme les dents de rage, tenant sa ligne hérissée de vocalises menaçantes, transformée en superbe et vengeresse Némésis ou future Tosca donnant rendez-vous au lâche agresseur dans les enfers.
Belle soirée marseillaise pour une serata romaine chez le Prince Ruspoli.
Photos :
1. Jean-Marc Aymes, par Ève Brouet ;
2. María Cristina Kiehr.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire