FOLLES CHANTANTES
IL PIRATA
Opéra de Vincenzo Bellini (1827),
Livret de Felice Romani,
d’après le mélodrame éponyme de Nodier et Taylor,
Opéra de Marseille, le 20 février 2009
IL PIRATA
Opéra de Vincenzo Bellini (1827),
Livret de Felice Romani,
d’après le mélodrame éponyme de Nodier et Taylor,
Opéra de Marseille, le 20 février 2009
L’ouvrage
Il y a 150 ans que ce Pirate a déserté nos côtes et n’écume guère les scène d’opéra, même si la piraterie a un regain sinistre sur certaines mers. Et pour cause : un rôle féminin écrasant de présence pratiquement constante, culminant sur une grande scène finale de folie que Callas avait exhumé, Caballé illustré, mais que rares sont les divas à affronter sur scène. Par ailleurs, la grande scène de folie, la première féminine de l’opéra, a été éclipsée par celles de grandes folles successives, notamment Lucia de Lammermoor de Donizetti. C’est que la folie des femmes occupe beaucoup les esprits et les opéras à partir de ce coup d’éclat de Bellini dans ce XIX e siècle misogyne.
Jusque-là, comme je le signalais dans la série d’émissions de Gérard Grommer La folie dans l’opéra (France-Culture), la folie est masculine dans l’opéra baroque : les Don Quichotte et les innombrables Orlando ou Roland hantent les scènes, héritiers de la tradition chevaleresque et courtoise de La Folie Tristan, sans oublier Serse (le Grand Xerxès) qui chante son amour pour un platane (« Ombra mai fu… », le fameux « largo » de Hændel). Ce sont des héros momentanément égarés, en général par l’amour, qui retrouvent la raison et la valeur des armes à l’issue de cette parenthèse qui a au moins permis au compositeur des scènes d’effets vocaux qui brisent le moule rigide de l’aria da capo pour un arioso expressif.
Avec la fin des grands castrats, les divas s’arrogent ces longues scènes effectistes, d’autant que, dès la fin du XVIII e siècle, la science s’intéresse au somnambulisme féminin, assimilé à la folie, les recherches culminant dans le premier tiers du XIX e avant de se poursuivre, dans le dernier, par celles sur l’hystérie de Charcot puis Freud. Du même Bellini, La Sonnambula (1831), ancre l’engouement pour les folles chantantes et vite la Malibran puis Jenny Lind succèdent à Giuditta Pasta, la créatrice du rôle, tandis d’autres prime donne fameuses voudront leur opéra à la folie. Ainsi, la Grisi créera I puritani du même compositeur (1834) avec sa scène de folie. Donizetti s’en fera une spécialité : il dramatise ou agrémente Ana Bolena (1830) d’un air de désespoir fou puis sa Maria Stuarda (1834) d’une scène de délire, remords ou folie, ces dames anglaises perdant la tête avant qu’on la leur coupe, précédant son écossaise Lucia de 1835. La criminelle Lady Macbeth de Verdi (1847) est somnambule et l’Ophélie d’Hamlet (1868) d’Ambroise Thomas est naturellement folle.
Bref, a voir ces héroïnes perdues dans leurs brumes, il semble que le nord frappe la raison de ces belles nordiques, qui le perdent facilement. Seule l’Imogène du Pirate est une fille du sud, une Sicilienne : elle perd la tête en perdant son mari tyrannique et son amant brutal qui a voulu tuer son fils, sur fond de guerres civiles.
Le drame lyrique de Bellini, inspiré d'un sombre drame britannique repris en France, est pour l’Italie ce que Der Freischütz (1821) de Weber fut pour l’Allemagne, le premier opéra romantique, mais avec la prédilection italienne pour la vocalité, au détriment d’un orchestre peu nourri, simple soutient des airs.
L’ouverture est longue, une tempête en mer qui est celle des cœurs, suivie d’un naufrage, des espoirs, des ambitions, qui sera aussi celui de l’esprit de l’héroïne : quoiqu’on en dise, on est encore dans l’esthétique baroque des affects, où la nature est miroir des âmes, même si le romantisme se pique « d’orages désirés ». La présence affolée des chœurs commentant le sinistre ne sera pas oubliée par le Verdi d’Otello.
La réalisation
Le rideau de scène figurait mer tempétueuse et rochers. Le rideau transparent, après un bel effet d’aquarium, s’ouvre sur une foule en cirés et farandole nocturne de parapluies contemporains et un canot pneumatique à moteur : on l’a compris, le metteur en scène Stephen Medcalf s’inscrit, dans cette accablante « modernisation » répétitive qui est la routine des scènes depuis un demi-siècle, l’académisme d’aujourd’hui. Non que cela gêne en quoi que ce soit l’action, située au XIII e siècle sicilien, époque des fameuses Vêpres siciliennes, qui n’a pas d’incidence notoire sur un drame réduit à de simples, et mêmes simplistes, conflits individuels, mais ce qui accable, c’est cette sempiternelle répétition d’un metteur en scène à l’autre, sans originalité, copie de copie, avec une nette complaisance pour les années 30 des fascismes européens, ici, mussolinien.
Ceci dit, le décor (Jamie Vartan), glacial palais prison à grilles métalliques, est beau ; les costumes de Katia Duflot, comme toujours, sont superbes (hormis un pantalon malséant pour l’héroïne) ; leur austérité noire, dans une sorte de frise, met en valeur visages et bustes clairs des femmes sculptés par les lumières magnifiquement expressives de Simon Corder. Un enterrement, un cercueil ouvert, d’où roule le corps, le cadavre du pirate pendu par les pieds, la tonalité sombre générale, connotent sans doute l’ambiance « gothique » de la pièce originelle anglaise mais soulèvent quelques rires.
Interprétation
Côté direction d’acteurs, les chanteurs masculins semblent abandonnés à leur nature : raideur guère expressive de Giuseppe Gipali, belle voix de ténor flexible mais sans grande nuance, trouvant quelques accents passionnés in extremis, mais pas assez pour sauver le personnage du héros Gualtiero. Son rival Ernesto, baryton naturellement, sommairement incarné par Fabio Maria Capitanucci, a cependant la faconde histrionique et trompettante de Mussolini, mais blessé d'amour. Seul Bruno Comparetti, ténor, met quelque subtilité dans Itulbo ainsi que le trop bref Ugo Guagliardo au beau timbre de basse.
Il reste donc les femmes : Murielle Oger-Tomao, au timbre chaud et large qui, dans le rôle secondaire de la suivante, arrive à faire montre de tempérament dramatique. Quant à Ángeles Blancas Gulín en Imogène, femme écrasée entre deux forces brutes masculines, victime révoltée ou consentante, vraie coupable ou culpabilisée par son masochisme, malgré quelques sonorités dures d’entrée, elle mérite à elle seule la résurrection de cette œuvre : grande voix égale, très large, ductile dans le déploiement du grand arc vocal dont elle brode les fioritures sans effort : c’est une tragédienne qui fait passer l’angoisse, la fièvre, la frénésie, et rend crédible cette folie finale esthétisée et stylisée par la beauté mélancolique du chant bellinien, éploré par le chœur et cœur compassionnels des femmes.
Les chœurs, effectivement nombreux, sont bien conduits par Pierre Iodice et le chef Fabrizio Maria Carminati, avec passion, joue le jeu de cet orchestre parfois mince pour sublimer en maître la conduite sublime du chant.
Photos : Christian Dresse
1. Tempête et naufrage;
2. Imogène et son tyrannique époux ;
3. Le tribun mussolinien;
4. Imogène et son terrible amant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire