Orphée et Eurydice
de Christoph Willibald Gluck
Opéra de Toulon
L’oeuvre
Malheurs d’Orphée, l’antique demi-dieu de la musique : sa lyre et son chant attendrissaient bêtes et pierres. Il perd son Eurydice, piquée par un serpent, descend l’arracher aux Enfers. Charmant les dieux de la mort, il la ramène au jour : l’amour triomphe de la mort ; mais se tournant pour la regarder malgré l’interdit de Pluton, il la reperd à jamais : il a vaincu les forces de la nature et de la mort sans se vaincre lui-même. Sa faiblesse humaine est plus forte que son pouvoir presque divin.
L’Orfeo (1607) de Monteverdi inventait un genre, Orphée devenait l’emblème de l’opéra baroque, de sa vertigineuse vocalité virtuose. En plein Néo-classicisme, à Vienne, Gluck, impose sa version du mythe : Orfeo ed Euridice (1762). Son librettiste, Calzabigi, avec Métastase, établi aussi à Vienne, y réformaient l’opéra, cherchant une vérité humaine plus grande. Gluck en réussit la réforme musicale en le dépouillant de sa pyrotechnie vocale, même si cette version, est encore très ornée, confiée à un castrat. Appelé à Paris par Marie-Antoinette, dont il avait été maître de musique, protégé par elle contre le baroque Piccini, défendu par la du Barry, ex favorite de Louis XV, Gluck y triomphe avec sa tragédie néo-classique et sa version française de 1774, confiée, cette fois-ci, à un ténor.
Sa tragédie lyrique se caractérise par une ouverture plus dramatique, déjà intégrée à l’action qu’elle préfigure, abondance de chœurs et des ballets pour complaire au goût français. À la différence de l’opéra baroque encore triomphant à cette époque, ici plus de récitatifs secs (accompagnés au clavecin) mais des récits obligés (soutenus par l’orchestre) dans une unité musicale continue plus grande. Mais il n’y a pas abandon absolu de l’ornementation virtuose, au moins un grand air d’Orphée répond à la technique baroque.
La réalisation
C’est la version française que présentait l’Opéra de Toulon, dirigée avec une précise chaleur et un sens délicat des détails par Giuliano Carella, mise en scène par Numa Sadoul et Luc Londiveau, qui en signait aussi décors et costumes. De la salle, en habit d’époque à la sombre et sobre dorure, un personnage androgyne frappe les trois coups, escorté par deux acolytes et les loges étaient garnies, or et ombre, par un public en perruque de cour : peuple des chœurs, admirable de tenue vestimentaire et vocale. À la fin, un immense tableau al tondo, rond, figurera en fond de scène le plafond nébuleux d’allégories tourbillonnantes néo-classiques du ciel de l’Opéra, seule concession au faste aristocratique de l’époque, cadre luxueux aux longs ballets de la tradition française qu’Erick Margouet règle dans une claire chorégraphie classique avec des réminiscence baroques.
Entre ce lever de rideau pompeux et ce final joyeux d’une époque qui exige de la tragédie un lieto fine, un « happy end », toute la pureté, l’épure néo-classique, sans froideur : fond d’écran clair sur vague mer, la rigueur géométrique des tombes sous la dentelle en deuil des pins en contre-jour, une sorte d’usine inquiétante pour les enfers et des costumes à l’antique stylisés.
Interprétation
Silhouette mince, juvénile, sinon éphèbe grec plausible berger blond de la mythique Arcadie, Maxim Mironov est l’amoureux Orphée, avec une grâce enfantine touchante. Déplorant dès le lever de rideau une épouse déjà morte, cette lamentation, soutenue par les chœurs est si déchirante, il pleure si bien que les enfers auraient bien tort de le priver d’une souffrance qui suscite un chant si beau. La voix est délicate, fragile, le timbre raffiné, la technique, virtuose, la diction parfaite et le jeu, tendre et bouleversant. Henrike Jacob est sa blonde et belle, sa lumineuse, Eurydice, passionnée dans « sa scène de ménage » : deux enfants qui se disputent au bord du gouffre. Joanna Malewski est un Amour rayonnant. Mais on ne saurait oublier, sous la baguette de Carella, la poésie de cette enchanterese flûte des Champs Élysées, ces bruissements de ruisseaux, ces frôlements d’oiseaux, violons ailés, ces cordes pincées comme des crêtes argentines de vaguelettes, toute la poésie transparente où la voix de Mironov se coule et s’écoule douloureusement : plus que demi-dieu, dieu de la musique. Une réussite à tous niveaux.
Photos Opéra de Toulon :
1. Orphée retrouve Eurydice ;
2. Maxim Mironov.
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