CRISTINA BRANCO
Musiques du monde-fado
Grand théâtre de Provence
2 avril 2009
Musiques du monde-fado
Grand théâtre de Provence
2 avril 2009
Le fado
Le fado en portugais, hado en castillan, c’est le fatum latin, la fatalité, le destin. Le même mot se dérive dans la fée du français, hada en espagnol, fata en italien ; en ancien français, cela donne fada (touché par les fées), adopté en Provence. Au Portugal, fado désigne un chant auquel Amalia Rodrigues donna ses lettres de noblesse internationales et que des chanteuses comme Mísia et Cristina Branco renouvellent à leur manière, confiant à de grands auteurs ou poètes des textes nouveaux sur les airs anciens et en élargissant la palette sonore.
C’est une chanson urbaine essentiellement, portuaire (comme le tango), des bas quartiers, chantant le monde marginal des tavernes, des bordels, les marins en partance sans retour. D’où son fatalisme amer, nostalgique, brumeux. Mais le mode de vie fadiste, voyou, canaille bohème donne lieu à des fados plus joyeux ou satiriques.
L'apparition de la radio dans les années 1930, le fado scénique des revues, l'ordre moral et le nationalisme salazariste popularisent le fado dans tout le pays en inventant des variétés soi disant folkloriques et ancestrales, sainement paysannes, loin des miasmes citadins, une pseudo forme artistique spontanée de tout le peuple. Mais les recherches musicologiques sérieuses à partir des années 8O et 90, passé le moment de rejet à cause de la confusion du fado avec le régime fascisant de Salazar, ont remis certains mythes à leur place.
Il y a des polémiques sur ses origines et certains en exagèrent l’ancienneté, rêvant même d'un fado aristocratique, tentatives bien-pensantes pour gommer les origines louches gênantes de ces chansons nées dans les bas-fonds de Lisbonne. Mais les premiers témoignages ne remontent guère qu’à la deuxième partie du XIX e siècle : la musique est bien de cette époque pour les plus ancien fados connus, divisés simplement en fados en mode majeur et en mode mineur, ne sortant jamais de la moderne tonique/dominante, sans archaïsme ni particularisme musical très marqué comme le flamenco, certains étant simplement des slows, des fox-trot et autres danses contemporaines. C’est plus une thématique qu'une forme musicale précise et certains fados le précisent :
Amour, jalousie,
Cendres et feu,
Douleur et péché,
Tout cela existe,
Tout cela est triste,
Tout cela, c'est le fado. (Todo isto é fado, je traduis )
C’est la façon traditionnelle de le chanter, son style mélismatique qui lui donne une saveur faussement immémoriale et la grande Amalia, chantant n’importe quel refrain international en faisait, par son art vocal, le plus vrai des fados alors que Cristina Branco, par une certaine coquetterie interprétative moderniste, affadit parfois le fado, gommant les mélismes, et en fait une rengaine cosmopolite à défaut de portugaise.
Cristina Branco
Mais il est vrai qu’elle annonce la couleur : « Musiques du monde », le fado qu’elle inclut dans son programme n’étant qu’une parmi d’autre pour cette interprète amoureuse des grandes dames du jazz qu’elle rêvait de rejoindre. Elle voyage donc dans un vaste éventail musical sans lieu ni temps précis, qu’elle sert d’une voix large mais légère, lumineuse, nuancée, captivante, mais revient toujours à des amarres fadistes très sobres en mélismes, avec une belle diction, rare chez les interprètes de fados. Loin des rauques amertumes passées, son fado à elle s’est adouci de sourire, de grâce aérienne : il gagne en charme simple ce qu’il perd en dramatisme. Amalia était la tragédie antique, Cristina, sans renier hier, est d’aujourd’hui, élargit sa palette ancienne en jazzy, pop. Elle est accompagnée somptueusement par de magnifiques partenaires, Bernardo Couto à la guitare portugaise, Fernando Maia à la guitare basse, accompagnement traditionnel du fado mais élargi ici à la guitare acoustique d’Alexandre Silva et au piano de Ricardo Dias.
Les lumières (éclairagiste malheureusement inconnu), à peine quelques couleurs et images, sur fond noir en général, croisées, vaporeuses, en halo, l’auréolent, la drapent, tissent des voiles de brume, font des voiles de navire et nous prenons le large avec elle en impalpable poésie. Pour finir, pour bien montrer qu’elle en est capable, a cappella, elle se lance dans un long mélisme frémissant dans la pure tradition. Qu’on regrette un peu, il faut bien l’avouer.
Photo : Universal music