vendredi, avril 03, 2009

CADMUS ET HERMIONE

CADMUS ET HERMIONE
Opéra en cinq actes de Lully, livret de Quinault
Grand Théâtre de Provence
10 mars 2009

L’œuvre

La France vient tard au théâtre chanté qu’on appellera tardivement « opéra ». Les Florentins, croyant recréer la tragédie antique, avaient créé le genre à la fin du XVI e siècle : Monteverdi lui donnera ses lettres de noblesse en 1607 avec l’Orfeo. L’Espagne, vers 1620, avait connu le premier, La Selva sin amor, musique perdue, livret de Lope de Vega et vite s’en donnera une modalité propre : les passages en récité-chanté, recitar cantando, seront abandonnés au profit de passages parlés précédant les airs, comme dans les futurs singspiele allemands et l’opéra comique-français.
Cette œuvre n’est pas le premier opéra français comme on le raconte : deux ans avant, Cambert avait donné sa Pomone (1671) dont le succès considérable résonnait encore. C’est cependant le Florentin Lull(y)i qui, avec son coup l’éclat de Cadmus et Hermione (1673), sur un livret de Quinault, invente le premier opéra dit « à la française ». Si spécifiquement français, avec ses intermèdes dansés hérités du ballet de cour et son récitatif calqué sur la déclamation de la Champmeslé, actrice et maîtresse de Racine, plus attentif à la parole qu’aux rares airs, que, s’il perdure jusqu’à Rameau, ce type d’opéra ne s’exportera jamais hors de France, même si certaines formules musicales, notamment le type d’ouverture, en sont utilisées par Purcell et même Hændel. Quant à l’importance des machines pour créer des « effets spéciaux », la vogue en était déjà ancienne, et avait connu son apogée avec le fameux Ercole amante de Cavalli (1662) pour le mariage de Louis XIV et de l’infante d’Espagne, agrémenté d’une machinerie spectaculaire, suivi de la débauche de fêtes des Plaisirs de l’Ile enchantée durant une semaine (1664) en l’honneur de sa maîtresse Louise de la Vallière.
Le livret mêle la fable mythologique païenne, ses héros, au merveilleux chrétien hérité de l’Arioste (dragons, chevaliers géants, etc). Il conte la conquête d’Hermione, fille de Mars et de Vénus, donc sœur de Cupidon, par le prince Cadmus (frère d’Europe enlevée par Jupiter métamorphosé en taureau) après nombre d’aventures et mésaventures et interventions rivales de dieux. Le long prologue, avec paysans et satyres, est une allégorie du Roi-Soleil sous le déguisement d’Apollon sur son char volant terrassant le serpent Python, combat de l’ombre et de la lumière, célébration courtisane au modèle obligé, de l’aube d’un règne qui se veut solairement triomphant. Et qui rêve de devenir maître de cette Europe recherchée par le vainqueur Cadmus…

La réalisation
La nouveauté de cette production est son retour à l’ancien, tant pour les instruments et leur diapason (tailles et basses de violon, violes de gambe, théorbes, cornemuses, clavecins, etc) qu’à la tentative ambitieuse de reconstitution totale, des somptueux costumes d’époque à grand renfort de canons, plumets, panaches (Alain Blanchot) aux maquillages (Mathilde Benmoussa) à la scénographie reconstituée (Adeline Caron), aux peintures des toiles et cartons de décor (Antoine Fontaine) et à ces lumières naturelles de "décors plantés" (chandelles de la rampe que le jeu vaut largement). D’emblée, nous sommes par magie transportés en un autre lieu, un autre temps, même si ce refus de la technique moderne noie les visages dans une pénombre certes charmeuse mais peu propre à l’identification émotionnelle avec des héros perdus dans une brume visuelle. Les « effets spéciaux » jouent humoristiquement de ceux du temps : char volant d’Apollon, serpent télescopique digne de celui du Tamino de la Flûte enchantée, grotte devenant gueule enflammée de monstre digne des jardins de Bomarzo, floconneux nuages mobiles, etc.
Évidemment, si le public d’aujourd’hui a désormais les oreilles faites à la musique baroque, et Le Poème Harmonique de Vincent Dumestre, ses solistes, danseurs et chœur, en sont un des fleurons, si l’on connaît aujourd’hui la belle dance, la « gestique » et la prononciation baroques, jamais on n’avait tenté la gageure d’harmoniser le tout dans un même spectacle -le coup d’essai et coup de maître du Bourgeois gentilhomme n’offrait pas toutes les contraintes de cet opéra, déjà art total. C’est cela la première réussite de la mise en scène Benjamin Lazar. À la fluidité et au naturel de ces attitudes les moins naturelles qui soient, à la continuité harmonieuse entre danse (chorégraphie Gudrun Skamletz) et mouvements dansants des chœurs et chanteurs, on a du mal à imaginer le travail qu’il a dû imposer à cette vaste troupe de jeunes et admirables interprètes, tellement engagés dans cette aventure un peu folle.
On ne chipotera donc pas à Lazar ni à son maître l’ami Eugène Green sur les sources de toute cette prononciation dite « baroque » (certains textes de l’époque ironisent sur les r roulés des Espagnols, preuve peut-être qu’on ne les roulait pas partout…) ; on n’ira pas confronter cette « gestique » à l’action des rhétoriques, beaucoup plus élaborées, le jeu des mains étant considérablement plus complexe dans le code maniaque de Bulwer (1648) : avoir obtenu ce résultat des chanteurs et danseurs tient déjà du prodige. Un spectacle se juge à sa cohérence et à son effet, totalement convaincant ici : tout est harmonieux, de la musique à l'équilibre des voix, des danses aux gestes dansants et des couleurs. Ce n'est pas une simple reconstitution archéologique, ce sont des retrouvailles avec un vague souvenir estompé recoloré de la brume poétique de la mémoire.
Hermione (Claire Lefilliâtre) enguirlande sa voix fruitée de vocalises et enguirlande la frivolité de sa suivante (Angélique Noldus) , déjà Dorabella de Cosí. Cadmus a la belle noblesse du baryton héroïque (André Morsch) mais l’on regrette un peu que l’excès d’effet des affects coupe excessivement la belle ligne expressive de sa complainte « Belle Hermione, hélas, hélas !… » , qui en est diluée par trop de retenue dans la déclamation lyrique. Dans la tradition de l’opéra vénitien, calquée sur la comedia espagnole, le mélange des genres, qui se perdra malheureusement après dans la rigidification du modèle français de l’opéra, le couple de valets comiques (soldat poltron -on pense aussi à Papageno- et vieille nourrice érotomane jouée par un homme) est des plus réussis, comme ce spectacle.
Bref, avec ses décors de cartons découpés, décroissants dans une illusion de perspective, sa grotte/monstre, son serpent articulé, son char volant, ce spectacle, si savant mais bon enfant, fleure la magie naïve, littéralement, des livres d’enfants. Il fait nébuleusement émerger le rêve à partir de l’enfance d’un art qui, pour sophistiqué qu’il soit, nous ramène bienheureusement au charme émerveillé, justement, de l’enfance.



Photo : 1. Élizabeth Carecchio; 2 et 3 : Michel Chassat.



Direction musicale : Vincent Dumestre; orchestre, chœur et danseurs : Le Poème Harmonique ; chorégraphie : Gudrun Skamletz ; collaboration à la mise en scène : Louise Moaty ; chef de chœur : Daniel Bargier ; scénographie : Adeline Caron ; costumes : Alain Blanchot ; lumières Christophe Naillet.
Distribution : Cadmus : André Morsch ; Hermione : Claire Lefilliâtre ; Arbas / Pan : Arnaud Marzorati ; La Nourrice / dieu champêtre : Jean-François Lombard ; Charite / Melisse : Angélique Noldus ; Draco / Mars : Arnaud Richard.

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