samedi, avril 04, 2009

LA CLEMENZA DI TITO

LA CLEMENZA DI TITO
Livret de Mazzolà d’après Métastase, musique de Mozart
Opéra d'Avignon, 31 mars 2009

L’œuvre : despotes éclairés
Une calèche, sur les routes entre Vienne et Prague, poussière, cahots : on doit imaginer Mozart écrivant dans ces conditions, traçant à la hâte des notes, des airs et son élève Süssmayer des récitatifs pour l’opéra qu’on lui a commandé pour célébrer, le 6 septembre 1791, le couronnement comme Roi de Bohème de Léopold II, Empereur d’Autriche depuis 1790. Cette Clémence de Titus, opera seria dont il a abandonné le genre usé depuis longtemps, la légende veut qu’on l’ait imposé à un Mozart appauvri, trois mois avant sa mort, qui met entre parenthèses son dernier chef-d’œuvre, La Flûte enchantée, dont la première aura lieu le 30 septembre. Cependant, s’il paraît certain qu’il l’ait en gros bouclé en trois semaines, on ignore souvent qu’il semble y avoir songé bien avant, non seulement parce que l’air fameux de Vitellia, « Non piu di fiori… » avait été créé en récital dès avril par son amie Josepha Dusêk mais parce qu’il avait expressément demandé à Mazzolà, depuis longtemps, un remaniement du livret de Métastase de 1734, et déjà mis en musique par au moins 43 compositeurs dont Hasse et Gluck. D’autant que ce texte, qui sous déguisement antique transparent vante les vertus d’un despote éclairé, avait tout pour complaire à un Mozart porté par les idéaux de la maçonnerie, qui en transporte de sensibles signes symboliques dans cette œuvre aussi finale que la Flûte, même s’ils sont moins visibles: tonalités à trois bémols ou dièses, abondance de tierces, rythmes, répétitions ternaires, instruments ritualisés en « colonnes d’harmonie ».
Par ailleurs, Léopold II avait tout pour incarner le monarque éclairé, le roi philosophe rêvé depuis Platon et exhumé par le Siècle des Lumières : Grand-Duc de Toscane, il s’était signalé par ses réformes généreuses et libérales, décrétant, après l’abolition de la torture, celle de la peine de mort dans ses états, premier homme d’état de l’histoire à l’abolir, geste extraordinaire commémoré depuis 2000 par une centaine de villes « pour la vie » ans le monde entier. Malgré son tardif « Appel de Spilnitz » contre la Révolution française, il avait su résister aux pressions bellicistes immédiates des émigrés de la France révolutionnaire alors même que sa sœur Marie-Antoinette était en danger, partisan de monarchies constitutionnelles que sa mort précoce ne lui permit sans doute pas d’instaurer.
Ainsi, pouvait-on aisément identifier l’Empereur d’Autriche à Titus, « délices de l’univers » selon Suétone (on oublie qu’il a réduit dans le sang Jérusalem et rasé le temple de Salomon en 70, causant la diaspora des Juifs), qui renonce d’abord à l’amour de Bérénice pour ne pas déroger à la tradition romaine, qui renonce encore ici à la main de Servilia et qui pardonne à son ami Sextus d’avoir tenté de l’assassiner à l’instigation de la jalouse et ambitieuse Vitellia (fille de l’Empereur Vitellius) et d’avoir commis le sacrilège incendie du Capitole. Il peut, comme l’Auguste de Cinna dont s’inspire Métastase, déclarer aux conjurés :
« Auguste a tout appris et veut tout oublier. »
Phrase que Napoléon considérait comme de la plus haute politique.

La réalisation
Nouvelle production pour nouveaux interprètes, tous prenant le rôle pour la première fois. Le décor (Denis Fruchaud), jouant la simplicité rigide de lignes géométriques néo-classiques de l’époque, est d’autant mieux venu ici que la mode du néo-classicisme, rompant avec le crépuscule baroque du mousseux et rose rococo aux lignes galbées, était né des récentes découvertes de Pompéi et d’Herculanum, ensevelies par le Vésuve justement sous le règne de Titus qui accueillit avec bienveillance les rescapés. Quelques portants latéraux d’un blanc à la transparence irréelle de marbre, figurant de sortes de colonnes, encadrent des degrés blancs ascendant vers un fauteuil (Louis XIV…) doré, au velours de pourpre impériale, qui sera déplacé en fonction des situations, personnalisation simple mais forte du trône, ambitionné par l’intrigante Vitellia, mais vide, solitude irrémédiable du pouvoir. Des panneaux verticaux isoleront les méditations déchirantes des héros solitaires à l’avant-scène.
Les lumières (Marc Delamézière) habilleront de teintes dramatiques variées ce sobre lieu. Bien que beaux, dans des teintes de gris, de bleus sombres (sauf pour la pure et claire Servilia) et lie de vin, les costumes (Claude Masson), sont dans la banalité académique qui afflige les scènes depuis quarante ans : pantalons et vestes modernes pour les hommes, malgré les effets drapés de toge, et la cape rouge de l’Empereur sur une veste dans un style turc d’Europe centrale. Les robes des femmes pourraient bien être romaines, la mode ayant tant varié à Rome, sauf ces gants jusqu’au coude style Gilda. Le catogan de Sesto renvoie au XVIII e siècle, bref, mélanges chronologiques vus partout.
La mise en scène d'Alain Garichot est sobre à cette image, avec de beaux affrontements entre Vitellia et Sesto reculant sous son regard en montant à l’envers les marches, au risque de la chute dans les périlleuses vocalises. Les signes sont simples, trop dans ces dos trop souvent tournés et l’immobilité soudaine de certains personnages, mais on ne sent pas une forte direction d’acteurs, les personnages étant tous convenus dans cet opéra conventionnel, à part Sesto et, surtout, Vitellia, personnage terrible de femme avide de pouvoir, jalouse et cruelle, sadique même et manipulatrice, transformée ici en coquette légère auprès d’un amant naïf qu’elle pousse pourtant au complot et au crime.

L’interprétation
On admire l’homogénéité et la qualité vocale de tous. David Bizic, seule voix grave de l’œuvre, est un Publio au timbre noble et chaud. Dans le rôle travesti d’Annio, Marie Lenormand donne crédibilité et passion à un personnage falot et, avec une Servilia assortie (Caroline Mutel), toute en charme vocal, fait superbe couple et joli duo rappelant la naïveté délicieuse de celui de Pamina et Papageno, plein d’illusions simples sur l’amour. Titus a des airs terribles par la difficulté technique et, à part le récit de sa réflexion finale, par leur fadeur moralisante: le grand Gilles Ragon évite ce dernier piège en entrant en plein dans cette générosité multiple à toute épreuve avec un certain humour distancié, mais il n’évite pas toujours celui d’une tessiture mortelle en la nasalisant ,de façon certes expressive mais excessive, et de vocalises finales malaisées.
Avec son timbre moelleux et ductile, Ermonela Jaho gazouille d’abord ses récitatifs, minaudante à l’excès avec Sesto, mais dramatique et sombre lorsqu’elle est seule, déchirée de culpabilité dans son grand air en rondeau, terrible d’amplitude: elle n’en a pas les graves mais comme elle parvient de façon éblouissante à pratiquement murmurer l’aigu de ses folles guirlandes de vocalises, ses notes basses passent aussi comme des murmures. Sesto, Sextus, autre rôle travesti est le plus riche musicalement et le plus complexe : soumis de façon doloriste à cette terrible femme, plus maîtresse au sens sadique qu’au sens courtois du terme, acceptant pour elle d’aller tuer son ami et protecteur, il est déchiré par ses contradictions, trouvant dans l’aveu contrit une autre source de gratification masochiste : Karine Desayes, beau timbre de mezzo, s’en tire par un jeu juste, touchant, et triomphe vocalement non seulement de son grand air avec clarinette obligée et vocalises virtuoses (avec marches et aigus gravis de dos !) mais du grand récitatif obligé, merveilleusement expressif dramatiquement.
À la tête de l’Orchestre lyrique de Région Avignon-Provence dont il est directeur artistique, Jonathan Schiffman livre une partition limpide de cet opéra, sans doute moins complexe que d’autres de Mozart, mais la scène magnifique de l’incendie du Capitole où le duo se fait trio puis quatuor, avec chœurs en coulisses, haletante, dans un tempo angoissant, est d’une saisissante beauté. Une réussite.

Photos : ACM Studio Delestrade.
1. Jaho et Deshaies ;
2. Bizic, Jaho ;
3. Scène finale.









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