jeudi, mai 29, 2014
mercredi, mai 28, 2014
MARSEILLE-CONCERTS
MARSEILLE-C0NCERTS
MUSICATREIZE
Vendredi 30 mai, Église des Réformés
PROGRAMME
Antonio CHAGAS ROSA (1960) : A Wilde Mass, création 2014
Leos JANACEK (1854-1928) : Messe inachevée en Mib
A Wilde MassConçue pour voix solistes et orgue, A Wilde Mass – variation libre sur l’idée d’une messe profane – utilise des fragments de prose extraits de l’œuvre majeure d’Oscar Wilde De Profundis. Ce texte en forme d’une longue lettre a été écrit en secret lorsque que Wilde était en captivité entre 1895 et 1897. Le sujet principal de De Profundis est une réflexion du Christ comme porteur d’une mission esthétique, et comme personnification dernière de l’Artiste qui réunit dans le même geste l’amour, la rédemption et la création. A Wilde Mass suit la structure de la messe traditionnelle, en présentant six visions (ou exaltations) du Christ comme le plus grand poète de tous les temps.
Voici la suite de structure de l’œuvre : La premiére exaltation (Introitus) place le Christ au milieu des poètes; la deuxième (Kyrie) renforce cette vision de Wilde, en présentant la vie de Jésus comme le plus beau des poèmes ; la troisième exaltacion (Graduale) plonge dans l’abîme de la pauvreté des riches et des souffrances du monde ; la quatriéme (Offertorium) introduit la vision de la Cité Céleste entourée par des murs faits de musique ; la cinquième exaltation (Sanctus) décrit le Christ comme un voyageur en quête de l‘âme des hommes; la sixiéme (Agnus Dei) nous présente le corps d’un enfant comme l’image du corps de Dieu ; finalement, la septiéme partie ( le Requiescat), est une chanson funèbre qui porte le poème : « Tread lightly, she is near… », un lamento sur la mort d’une jeune fille. Cette œuvre ne prétend pas s’associer à une liturgie. Elle est en elle-même un produit poétique et libre issu du voyage intérieur de Wilde durant ses années d’emprisonnement, pendant lesquels il a réfléchit sur la figure du Christ.
Photos Guy Vivien
MUSICATREIZE
Enregistrement 3/3/2014, passage, semaine du
24/3/2014
RADIO DIALOGUE
(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE
BENITO » N° 122
Lundi : 10h45 et 17h45 ; samedi : 12h45
(P.S. : naturellement, je ne garde que pour indication les musiques diffusées)
L’ENSEMBLE MUSICATREIZE
Depuis le début de
cette année, naviguant entre les programmations musicales, la chronique de
disques, je me suis attaché à tenter de rendre justice à des ensembles musicaux
de la région, de Marseille en particulier, dignes de considération. Vous avez
pu juger que les ensembles baroques sont ici nombreux. Voici aujourd’hui un
ensemble qui, même s’il a collaboré avec Mars en baroque, s’il interprète aussi
cette musique magistralement, s'est fondamentalement voué à défendre et à
promouvoir la création contemporaine de la musique. En effet, se contenter de
faire vivre la musique du passé serait en rester à la muséographie passéiste si
l’on ne tentait aussi de créer, procréer la musique de notre temps pour les
temps à venir.
Parlons donc de
l’ensemble vocal et instrumental Musicatreize (53, Rue Grignan, siège et salle de répétitions et
de concerts), qui, de Marseille, rayonne et résonne dans le monde entier. Son
infatigable animateur, son âme, son fondateur est Roland Hayrabédian. À des études de chef d'orchestre, à une formation
éclectique, riche et variée, s’ajoute et s’affirme vite chez lui un goût
profond, méditerranéen, pour la voix. Mais non la voix enfermée dans les canons
ou carcans classiques mais une voix libérée, délibérée dans des expressions et
des formes ouvertes aux quatre coins des cultures les plus larges et les plus
différentes de la vocalité contemporaine. Il enseigne aujourd’hui dans notre
Conservatoire de Marseille à vocation régionale mais, dès 1978, il fondait le Chœur Contemporain d'Aix-en-Provence et, en 1987, à Marseille, l’ensemble
Musicatreize, vocal mais aussi instrumental formé de solistes très solides.
Très vite, Musicatreize
se fait connaître par la qualité musicale rigoureuse de ses interprétation et
une couleur vite reconnaissable et reconnue, a cappella, sans accompagnement,
ou avec orchestre, créant de nombreuses œuvres de grands compositeurs contemporains :
ses interprétations des oeuvres de Maurice Ohana, compositeur français d'origine espagnole né en 1913
à Casablanca, et mort le 13 novembre 1992 à Paris, sont remarquées. Ses enregistrements d’Ohana font
date et obtiennent de nombreux prix discographiques, notamment, le
fameux Syllabaire pour Phèdre,
qui va courir le monde. Les Victoires de la Musique Classique en 2007 le
couronnent comme meilleur Ensemble de l’Année.
Hayrabédian, s’il ne
dédaigne pas la musique lyrique baroque ancienne, comme Didon et Enée de Purcell qu’il dirige, le théâtre musical et la danse, puisque de sa
collaboration avec le chorégraphe Angelin Preljocaj naîtra une nouvelle version scénique des Noces de Stravinsky représentée dans le monde entier, à ces rares exceptions près ne met au
répertoire de Musicatreize, fait exceptionnel dans la programmation musicale,
pratiquement que des compositeurs vivants, ainsi, Betsy Jolas, Félix Ibarrondo,
Édith Canat de Chizy, Burgan, Kopelent, Hurel, Feron, Gagneux etc, et nos
concitoyens, Georges Bœuf, Lucien Guerinel, etc. De ce dernier, né en
1930, longtemps marseillais,
désormais habitant la Bourgogne, nous écouterons, tiré du disque Lyrinx (un label marseillais), un extrait de ses Fragments
d’Archiloque, le grand poète
élégiaque grec du 7e siècle avant notre ère, ici, son septième
fragment sur la houle du désir d’amour.
Le disque contient
aussi, quatre poèmes du poète italien Eugenio Montale (1896-1981), et des poèmes en allemand du IX e
siècle, éclectisme poétique de Guérinel, lui-même poète.
Malgré tout,
Hayrabédian ne se contente pas de servir des musiciens connus et beaucoup
reconnus, il suscite, par des commandes, des créations à d’autres qui, grâce à
cela, se feront connaître. De la sorte, Musicatreize est à
l’origine d’une soixantaine d’œuvres nouvelles, classées selon diverses
thématiques, dont les Cris
(Jannequin, Berio, Campo, Marti…), des cycles, les Sept contes, série ouverte en 2006 avec Les Sorcières d’António Chagas Rosa, et close en 2010 avec El
regreso d’Oscar Strasnoy, livret
d’Alberto Manguel, créé au Festival d’Aix-en-Provence. (Voir dans ce blog,
mercredi, décembre 24, 2008, L’Enterrement de Mozart). Ces pièces, signées par un auteur, un compositeur,
un metteur en scène, ont fait l’objet d’un enregistrement et d’un livre
illustré, aux éditions Actes Sud ; L’Autre rive, etc.
Écoutons un extrait
d’un disque d’œuvres vocales du compositeur basque Félix Ibarrondo, label MFA.
Puis écoutez le palmarès
national et international de notre Marseillais : chef invité de
l'Orchestre du célèbre festival de Spoleto en Italie, de la Cappella de
Saint-Petersbourg, des Chœurs de Radio France, de l'Orchestre Philharmonique
des Pays de Loire, de l'Orchestre Philharmonique de Lorraine, il collabore
aussi avec des ensembles comme les Percussions de Strasbourg, Musique Vivante,
Musique Oblique ou l'ensemble baroque Elseneur, tout comme avec notre Mars en
Baroque. En 2002, il est nommé directeur musical de l'Orchestre des Jeunes de
la Méditerranée, désormais intégré au Festival Lyrique d'Aix-en-Provence.
Et cette Méditerranée
lui va très bien : malgré les quatre horizons et continents qui le
réclament, Musicatreize, musique à 13 solistes d’abord, mais musique dans le
13, chez nous, et qui rime avec MP13, son port d’attache, son ancrage, est bien
Marseille, la Méditerranée. Ses programmes le proclament : il y a, entre
deux tournées, les séjours « à quai » ou « au large », « en haute mer ». Et
l’on n’aura pas oublié, l’an dernier, 2013, Marseille Capitale européenne de la
Culture, et le grandiose projet Odyssée dans l’espace, mêlant dans son titre Homère, la mer, et l’espace, et, sur la scène de l’Opéra, amateurs
et professionnels, chœurs et orchestres, issus de notre région. C’était comme
une apothéose, à grande échelle, de la dimension scénique et spatiale que donne
Musicatreize à ses concerts qui sont autant à voir qu’à entendre. Et comment
dire mieux cet amour de Marseille puisque c’est ici, dans cette salle de la rue
Grignan que s’élaborent les projets, que s’affinent les productions, qu’elles
se répètent en public, en toute simplicité et complicité. D’autres animations,
des ateliers d’écriture, des rencontres, créent et consolident ce sentiment
local d’appartenance marseillaise qui n’enlèvent rien à l’universalité
généreuse du propos.
Nous quittons ce
superbe ensemble marseillais avec l’ouverture de Gilles de Rais, œuvre vocale et théâtrale d’Édith Canat de Chizy,
disque MFA sur le terrible compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, alchimiste,
sorcier, et sorte d’ogre assassin de centaines d’enfants selon la
légende.
www.musicatreize.org/ (tous les disques sur le site)
WebRep
currentVote
noRating
noWeight
OPÉRETTE
Les mousquetaires au couvent (ou presque…)
Musique de Louis Varnay,
Livret (presque) de J. Prével et P. Ferrier
par la Troupe lyrique méditerranéenne
Théâtre du Lacydon
18 mai 2014
Oublions Alexandre Dumas, et ses trois, pardon, ses quatre
mousquetaires, oublions Richelieu, la Touraine de l’opérette originale de 1880
et retenons, d’aujourd’hui, les fredaines, tonton tontaine, de ces joyeux
lurons et de ces filles délurées, de cette paire de paras pendards pendus aux
basques des filles de taverne, parachutés d’un Orient en flammes pour déclarer
la leur au cœur et corps (presque) pur de jolies filles recluses dans un
maternel couvent, pardon, une maternité conventuelle, par la volonté de leur
paternel, où les nonnes sont bien bonnes aussi.
Bref, par la veine et la verve
piquante de Mikhael Piccone, avec
la complicité de Marion Gregori,
et de Gwennaelle Seiferer qui
signe une inventive scénographie, le vieux livret nous est délivré dans une
savoureuse version coquine et cocasse dans un spectacle sans un temps mort,
succulent, truculent, pétillant, pétulant, pétaradant.
Quelques tables de bistrot, deux clients (Jérémy Favret, Jimmy Aquilo), un bouquet de bouquetières, jolie floraison de voix (Alexia
M’Masse, Émilie Bernou, Marie
Pons, Zoé Massicote), une tenancière
belle plante, guillerette et aguicheuse, Madelon en uniforme aux formes
dévoilées (Pauline Triquet), qui
pousse aussi joliment la note que celle de l’addition de ce bar de l’Hôtel
des Militaires gris, gris des souris
souriantes et de la griserie grivoise du vin et de l’amour. Et voilà Gontran,
campé avec séduction par le ténor Guilhem Chalbos, parfait jeune premier, et Brissac, joyeusement joué
par Mikhael Piccone,
baryton : revenus malicieusement du Mali, nos deux compères, guère
pépères, débardeur et pantalons treillis, solides gaillards regaillardis à
l’idée d’un commando, commandé par l’ardeur moins militaire que maritale du
premier, amoureux pour le meilleur d’une (enfant de) Marie, qu’il veut arracher
du couvent pour convoler en justes noces, secondé par son ami.
Pour entrer dans la bergerie et y dénicher la bergère, le subterfuge sera le déguisement, pardon, le travesti : déguisés en loufoques sages-femmes, nos jeunes hommes foufous découvrent une insolite nursery, une école bien particulière où pouponnent une cohorte d’accortes jeunes filles, futures filles-mères, sous l’œil vigilant de sœurs, la Mère Supérieure (austère Zoé Massicotte) et l’importune sœur Opportune (Annabelle Sodi-Thibaut). « Quel tableau de famille ! » pourrait (presque) dire la Belle Hélène, puisqu’il n’y manque ni le Père, le confesseur à la sombre voix (Guillaume Barallis), ni le père des œuvres, Gontran, puisque Marie en est enceinte, escorté de son ami frère, Brissac, emperruqués et fardés, montés sur talons aiguilles et voix de fausset, faussaires de l’identité. Ah, on n’oubliera pas le vrai père beau parleur sinon chanteur, portant beau, Nicolas Thibault, régisseur général de la troupe sinon Général de cette armée de pouponnantes poupées et pépées, Président et géniteur des deux oiselles demoiselles, la piquante Louise (Alice Buro), très futée, et la Marie guère vierge mais fruitée de facile voix de Fabienne Hua, à se damner, même dans un couvent. Personne ne manque à l’appel ? Il ne manquait plus qu’oublier Valérie Florac, à la direction musicale ! qui mène à un tempo d’enfer les trios entraînants, les ensembles, les valses, les airs (dont l’inénarrable du spéculum) qui se succèdent dans un rythme étourdissant.
Pour entrer dans la bergerie et y dénicher la bergère, le subterfuge sera le déguisement, pardon, le travesti : déguisés en loufoques sages-femmes, nos jeunes hommes foufous découvrent une insolite nursery, une école bien particulière où pouponnent une cohorte d’accortes jeunes filles, futures filles-mères, sous l’œil vigilant de sœurs, la Mère Supérieure (austère Zoé Massicotte) et l’importune sœur Opportune (Annabelle Sodi-Thibaut). « Quel tableau de famille ! » pourrait (presque) dire la Belle Hélène, puisqu’il n’y manque ni le Père, le confesseur à la sombre voix (Guillaume Barallis), ni le père des œuvres, Gontran, puisque Marie en est enceinte, escorté de son ami frère, Brissac, emperruqués et fardés, montés sur talons aiguilles et voix de fausset, faussaires de l’identité. Ah, on n’oubliera pas le vrai père beau parleur sinon chanteur, portant beau, Nicolas Thibault, régisseur général de la troupe sinon Général de cette armée de pouponnantes poupées et pépées, Président et géniteur des deux oiselles demoiselles, la piquante Louise (Alice Buro), très futée, et la Marie guère vierge mais fruitée de facile voix de Fabienne Hua, à se damner, même dans un couvent. Personne ne manque à l’appel ? Il ne manquait plus qu’oublier Valérie Florac, à la direction musicale ! qui mène à un tempo d’enfer les trios entraînants, les ensembles, les valses, les airs (dont l’inénarrable du spéculum) qui se succèdent dans un rythme étourdissant.
Les
costumes sont aussi joyeusement taillés par un véritable escadrons de
couturières (Mireille Fraysses, Agnès
Pasqualini, Marion Redoutey, Evelyne Thibault) et, maître d’œuvre sinon maître tailleur, on
découvre en Mikhael Piccone,
au-delà du baryton bien sonnant, irrésistible dans son air de la griserie digne
de la Périchole (éméché, il manque de vendre la mèche), un véritable metteur en
scène fourmillant de loufoques idées et un tempérament d’acteur comique d’un
naturel dont l’art farde artistiquement la difficulté.
Une réussite de cette belle troupe : tous jeunes, tous beaux,
tous bons chanteurs et bons acteurs. Que demander de plus ? Que l’on aide
généreusement cette talentueuse Troupe lyrique méditerranéenne qui, de riens de
bric et de broc font quelque chose qui fonctionne pour notre plaisir.
Spectacle dédié avec gratitude et émotion au maître et ami,
professeur au Conservatoire, Jean-Marie Sevolker, qui a dû être fier de ses disciples.
Théâtre du Lacydon
18 mai 2014
Les mousquetaires au
couvent (ou presque…)
(Presque) de Louis Varnay
Direction musicale :
Valérie Florac
Distribution :
Marie : Fabienne
Hua ; Louise : Alice Buro ; Simone : Pauline Triquet ; Sœur
Opportune : Annabelle Sodi-Thibaut ; Marchande/La Mère supérieure : Zoé
Massicotte ; Marchande/ Isabelle : Alexia M’Basse ;
Marchande/Blanche : Émilie Bernou ; Marchande/Agathe : Marie
Pons ; Brissac : Mikhael Piccone ; Gontran : Guilhem Chalbos ; Abbé Bridaine :
Guillaume Barallis ; Rigobert : Jérémy Favret ; Langlois :
Jimmy Aquilo ; le Président : Nicolas Thibault.
Vendredi 6 Juin 2014, 20h30,
Gréoux-les-Bains, Centre Congrès
L'Etoile, Salle Frédéric MISTRAL, 04 92 78 01 08
www.troupe-lyrique.com/
Photos JB Lev :
1. Étrange couvent ;
2. Sur le banc (de touche) : Pauline Triquet, Mikhael Piccone, Guillaume Barallis .
3. Salut final.
jeudi, mai 22, 2014
VÉRISME : Cavalleria/Pagliacci
LE VÉRISME : VÉRITÉ DE THÉÂTRE
CAVALLERIA RUSTICANA
Livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci, Musique de Pietro Mascagni
I PAGLIACCI,
Livret et musique de Ruggero Leoncavallo
Avignon, 20 mai 2014
Les œuvres : le vérisme
On
ne peut que répéter, à ce propos, que ce qu’on en a dit ici même.
La tradition a justement lié ces deux opéras
courts, le premier, Cavalleria rusticana (‘Chevalerie paysanne’) de Mascagni, un acte, sonnant en
1890 l’entrée fracassante du naturalisme dans l’opéra, le « vérisme » ; le
second, deux actes, 1892, Pagliacci (‘Paillasse’) confirmant le succès de cette veine et
offrant, avec le personnage emblématique du Prologue, l’esthétique du courant
vériste : « personnages de chair et de sang, vraies larmes », pétition de réalisme,
de vérité. Démentie, naturellement, par l’impossible vérisme de l’opéra avec
des personnages qui chantent (et en vers !), aucun art d’ailleurs ne
pouvant être réaliste, naturaliste ou vériste dans une vérité autre qu’une
stylisation artistique du réel : donc, une esthétique de convention. Par ailleurs, ce fameux Prologue
théâtralise tellement la vérité qu’il fait du vérisme ce qu’il est
vraiment : du théâtre.
Le vérisme semble mieux défini par un choix de
sujets qu’on dirait quotidiens si le fait divers, le crime passionnel n’étaient
heureusement pas journaliers. Mais exprimés, surtout, dans une vocalité qui
rompt avec la tradition belcantiste romantique du chant orné, au profit d’une
expression plus brute et passionnelle, dans des tessitures plus centrales et un
orchestre nourri qui a retenu les leçons de Wagner.
Inspirée d’une nouvelle puis d’une pièce de
l’écrivain, dandy sicilien, Giovanni Verga, cette « Chevalerie paysanne »,
finit par le duel d’honneur, lourd héritage espagnol de la Sicile, qui oppose
un époux bafoué, Alfio, à Turiddu, jeune séducteur de sa femme, Lola, lequel a
déjà séduit et abandonné Santuzza, qui, désespérée de son rejet, en informe
l’époux : larmes et sang, mais aussi toute la pesanteur d’une société ligotée
par les préjugés de classe et religieux : la mort a lieu lors de la fête de
Pâques, de la Résurrection. L’opéra gomme la dimension sociale de la nouvelle
de Verga : Turiddu, pauvre, revenant de l’armée, trouve sa fiancée Lola mariée
à un riche : il refera sa conquête pour se venger du possédant et séduira aussi
Santuzza , la plus riche héritière du village. Cette dernière, excommuniée pour
cet amour hors mariage, se sent maudite et maudit aussi son amant (« A te
la mala Pasqua ! » ‘Mauvaise Pâque à toi !’), malédiction qui ne
tarde pas à se réaliser le même jour qui verra la mort de l’infidèle au
crépuscule. Tragédie vériste, économe en moyens, qui répond à l’exigence
dramatique classique :
« Qu’en
un jour, qu’en un lieu, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »
L’action progresse par l’intensification des
sentiments de Santa : demande de secours à la mère de l’infidèle, vaine
demande d’amour à ce dernier, reproches à l’épouse adultère, et enfin terrible
aveu au terrifiant époux bafoué.
Tout en décalquant ce modèle, mélangeant scènes
de genre, chorales, et affrontement d’abord potentiel puis réel des
personnages, dans un mélange de la vie et de la scène, l’une débordant l’autre,
le plus musicalement subtil Pagliacci, présente
une pauvre troupe de comédiens ambulants de la Commedia dell’arte, dont le chef, qui joue le Paillasse,
le clown, le comique souffre-douleur traditionnel, est avisé de son infortune
par Tonio, bossu dépité du rejet de ses avances par la jolie et légère épouse
du premier : c’est Quasimodo dont l’amour se tournerait en haine contre
l’objet interdit de ses désirs, ici, c’est Paillasse contre sa frivole
Colombine.
Dans le second acte, miroir apparemment festif
du premier, pendant la représentation, voyant répétée par le jeu théâtral sa
situation de cocu, gagné par la réalité, de la situation fictive, alors qu'il
prétendait auparavant que « le théâtre et la vie ne sont pas la même
chose », le clown lassé de faire rire à ses dépens conjugaux, poignarde sa
femme en pleine scène et l’amant accouru à son secours. Le Prologue annonçait
le début du jeu, Paillasse conclut le meurtre par : « La comédie est finie ! »
C’est pendant la fête de l’Assomption : encore la religion d’amour qui finit
dans le sang.
Cavalleria rusticana
Vérisme, néo-réalisme et vérité historique
En effet, passée la guerre et ses ruines où le
drame collectif subsume l’individuel, avec la reconstruction se reconstruisent
apparemment les valeurs traditionnelles ébranlées de la famille, avec le père,
le mari, le frère, l’homme au centre, retrouvant une autorité que commencent à
lui contester la femme, la fille, la sœur, rêvant d’émancipation. La virginité
est encore la garantie du passage intact de la femme-marchandise du père au
mari avant que les « demi-vierges » des flirts poussés du début des
années 60 ne rompent les digues avec 68. Un ordre social et familial précaire
dans ces contrées méridionales conservatrices où la brutalité machiste conserve
encore en apparence, par la force, ses prérogatives. À cette relative modernité du drame, ajoutons
le substrat de tragédie méditerranéenne à puissant héritage grec antique et
tout aussi tragiquement hispanique dans ses mœurs : la religion de l’honneur y contredit la religion du pardon des offenses, l’amour à mort du code social s’oppose à l’évangile d’amour.
De la grandeur d’Orange à la scène étroite d’Avignon, le drame,
s’il perd de sa dimension grandiose de tragédie antique à l’air libre, située
dans la Sicile, la Grande Grèce, gagne en intensité par la proximité.
À cour
et à jardin, les deux simples et monumentales portes l’une noire, de la Mamma,
l’autre de la Mère Église, ont disparu dans l’espace réduit. Mais, finalement, l’église inflexible, inexorable, invisible,
n’en semble que plus forte dans son exclusion, l’excommunication, fermée pour
Santa (‘Sainte’, de son nom), la pauvre Santuzza, pour le simple péché de
chair, qui se sent damnée et condamnée à rester à la porte même de chez Lucia,
la mère de son amant oublieux : religion de la Mère, redevenue image de la
Vierge, revirginisée par la maternité, qui donne sa bénédiction au fils, qui
multiplie les signes de croix, même sur le pain eucharistique avant de le
couper. Au sol, un Christ colossal sur le dos, symbolise, loin de tout vérisme,
ce poids de la religion qui enchaîne de ses tabous mortifères les héros de
cette tragédie. Scénographie belle et impressionnante (Bernard Arnould) dans des lumières crues, cruelles, bleu nuit d'acier de
Laurent Castaingt. Le poids de
l’Église, c’est l’immense église cathédrale qui coiffe, chapeaute le village,
et sa chape de plomb, la châsse de la procession : poids de l’amour, de la
jalousie, pesanteurs sociales et morales, individuelles.
Les costumes (Rosalie
Varda), sont presque
monochromes : noirs et gris pour les femmes, chemises blanches, gilet, avec des
différences sociales marquées par les tailleurs, les sacs, les chapeaux, les
cravates, mode années 50 du cinéma néo-réaliste. Infraction à la sombre
austérité générale, Lola, l’épouse légère est dans le rose du bonheur de vivre
sans scrupules, de mordre la vie (« baiser la terre »). Elle semble croire
en un Dieu d'amour qui pardonne autant que Santa, sa sombre et masochiste
rivale, ne semble croire qu’en un Dieu punisseur « qui voit tout ». Cette société rigide du paraître et du
qu’en-dira-t-on, hommes et femmes séparés, est judicieusement montrée dans la
fuite des regards, les esquives, la chemise bien blanche et la veste tendrement
déposées sur une chaise par la mère pour le fils et que, relais maternel,
l’amante abandonnée passe amoureusement à son amant parjure : le mâle
impeccable, sans peur même s’il n’est pas sans reproche.
Tout sonne juste et vrai. Pourtant, on s’étonne
encore, comme d’une incongruité, de la scène où Lola et Turiddu, les adultères
de l’ombre, flirtent, se bécotent devant tout le monde, et pratiquement au nez
et à la barbe du terrible époux qui survient.
À la tête de Orchestre Régional
Avignon-Provence et du Chœur de l’Opéra Grand Avignon (direction Aurore Marchand) et de la Maîtrise (Florence
Goyon-Pogemberg), Luciano
Acocella, en parfait
Italien, tout en conservant à cette musique sa force émotive directe, en
dignifie certaines facilités expressives par le soin qu’il en prend, évitant le
pathos sans gommer le pathétisme, en lui donnant vraiment cette
« chevalerie », « même « rustique », paysanne, mais
pleine d’une noblesse populaire. Certes, il remue par ce flot torrentiel de la
vengeance mais ou prélude et interlude sont étrangement sereins comme des rêves
d’amour, de paix.
Svetlana Lifar, belle voix sombre et ronde, est una
Mamma Lucia juste dans le jeu. En Lola,
jolie et enjouée, aguicheuse, roucoulante, inconsciente épouse, Virginie
Verrez déploie
une flexible voix comme sa silhouette, soprano fruité, beau fruit à déguster.
Le mari, riche charretier brutal, bénéficie de la voix sonore, et brute ici, de
Seng-Hyoun Ko si
apprécié à Orange, terrible incarnation, presque capo mafioso, entouré de ses hommes.
Jean-Pierre Furlan, en Turiddu, n’est pas physiquement le
jeune coq du village, mains dans les poches, qui joue avec le feu et s’y
brûlera, mais il a une arrogance dans la franchise de sa voix dans son air du
vin, une puissance dans les aigus et un en engagement de toute beauté :
brutal et excédé avec Santuzza, dans ses adieux à la Mamma, ce Sicilien, il
nous remue d’une émotion et émotion sinon vériste, vraie.
Santuzza,
porte tout le drame dans quatre duos, le premier avec Mamma Lucia pour tenter
de le prévenir, l’autre avec l’amant volage pour essayer de le retenir, un bref
dialogue avec la rivale Lola, et enfin, celui, final, fatal, avec le mari
trompé auquel elle révèle son infortune, se repentant aussitôt, consciente de
la tragédie qu’elle déclenche. C’est un rôle extrêmement lourd, avec une
tessiture hésitant entre le mezzo et le soprano dramatique, exigeant des graves
profonds, un médium solide et des aigus puissants. Jeune, fragile, belle, Nino Surguladze, géorgienne, habituée des grandes scènes
internationales, débutait à Avignon et dans le rôle. Voix large, corsée dans le
médium, colorée dans le grave, aisée dans les aigus, elle dépasse vite une
certaine raideur scénique au début pour atteindre à la grandeur dramatique et
tragique. On espère le bonheur de la réentendre
Pagliacci
Passage du néo-réalisme blanc et noir à la comédie italienne (qui serait en technicolor)? Par un contraste joyeux avec Cavalleria, les costumes, sont d’une fraîche gaîté, mais cette mode toujours des années 50, rend quelque peu anachronique et invraisemblable, en logique vériste, le délire d’une foule pour un spectacle de Commedia dell’Arte, depuis longtemps remplacé à l’époque, justement, par le cinéma, dans une monde de la reconstruction symbolisé par la grue et ce bâtiment de cité des rêves de sortie de la guerre.
Descendues des cintres, des lettres immenses de
guingois, PAGLIACCI, mal coloriées, semblent souligner la
ruine d’un monde dépassé, peut-être celui du personnage principal, pauvre
vedette de ces petits spectacles de village, dont l’univers et le prestige
s’écroulent en découvrant que, moqué dans le jeu qui lui assurait le succès, il
était bafoué dans la vie par sa femme aimée : farce qui tourne en tragédie. Une
camionnette surmontée par un tambour pour la parade des comédiens ambulants,
une voiturette rouge, quelques coffres en osier, et les éléments d’un théâtre
de tréteaux monté à vue, ou plutôt cirque qui sera, celui, ancien, du
sacrifice. Le défilé d’une noce traditionnelle, la mariée en longue traîne
blanche, entraîne dans son sillage le naufrage, par contraste du mariage,
valeur sociale et religieuse apparemment intangible, celui du clown bafoué par
l’adultère de sa Colombine d’épouse.
En Prologue chargé d’annoncer le spectacle et son intention, puis Tonio, bossu maléfique par qui la délation de l’adultère et le malheur arrivent, nous retrouvons Seng-Hyoun Ko. Il plie la puissance éruptive de sa voix aux nuances du texte, épousant tous les contours du manifeste du vérisme, et arrive à émouvoir. Alliance du jeu, des moyens vocaux, des couleurs changeantes, en amoureux transi et vindicatif, il est pitoyable et terrifiant, insinuant, vénéneux face au mari, tirant la voix sans la faire vibrer, il fait frissonner de vérité malsaine et malfaisante ; aussi effrayant ici qu’il l’était à l’échelle d’Orange. À l’opposé, Leonardo Cortelazzi se tire bien de la sérénade d’Arlequin, ligne ferme, belle projection, mais peut-être un manque de poésie. Armando Noguera, superbe voix ronde et sombre de baryton, est un Silvio crédible par le jeu et le chant, plein de séduction juvénile, il campe l’amant crédible de Nedda-Colombine, à laquelle Brigitta Kele donne une fraîcheur tragique d’un soprano léger mais solide, cependant avec un petit problème dans l’extrême aigu, sans doute passager : coquette et cruelle avec Tonio, elle caquette et cocotte, trille avec les oiseaux dans sa poétique rêverie voix traversée des ombres du pressentiment dramatique, exaltée par l’amour. Puis elle est vraiment Colombine dans ses atours XVIIIe siècle, dansante, virevoltante dans son menu menuet, peut-être un peu lent, gracieuse et légère dans les gestes stéréotypés de la Commedia dell’Arte, saisie par l’angoisse et acceptant, comme Carmen, sans se soumettre, le défi et la mort par le mari trompé.
Pagliaccio, c’est encore Jean-Pierre Furlan et l’on redoute que la luminosité
lyrique qu’il émettait dans Turiddu, n’émiette la tessiture plus centrale de
Canio, le médium plus sombre. Mais ce grand artiste, sans forcer son volume ni
se couleur, réussit, sans tricher, à garder à sa voix l’homogénéité du grave à
l’aigu et bouleverse dans son grand air.
Luciano Acocella passe avec la même aisance de l’ombre
de Cavalleria aux
lumières pimpantes, ironiques, parodiques de Pagliacci pour ensuite plonger la fosse et la
salle dans la sombre noirceur du drame passionnel. Une réussite.
Opéra Grand
Avignon, 18 et 20 mai 2014
Orchestre Régional Avignon-Provence
Chœur et Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Direction
musicale : Luciano Acocella
Direction
des chœurs : Aurore Marchand
Mise en
scène : Jean-Claude Auvray. Décors : Bernard Arnould. Costumes : Rosalie Varda. Lumières : Laurent Castaingt.
CAVALLERIA
RUSTICANA
Santuzza : Nino
Surguladze ; Lola : Virginie Verrez ; Mamma Lucia : Svetlana Lifar ; Turridu : Jean-Pierre
Furlan ; Alfio : Seng Youn Ko.
PAGLIACCI
Nedda : Brigitta
Kele ; Canio : Jean-Pierre
Furlan ; Tonio : Seng Youn Ko ; Silvio : Armando Noguera ; Beppe : Leonardo Cortelazzi ; Spectateurs :
Jean-François Baron, Patrice Laulan.
PHOTOS :ACM-STUDIO
DELESTRADE
I Cavalleria
1. Le poids de
l’Église ;
2. Le poids de
l’amour ;
3. Le poids de la
jalousie ;
4. Le poids de la délation ;
5. Le poids de la société aux aguets.
II I Pagliacci
1.Le spectacle est aussi dans la rue : la parade ;
2. La mariage institution sacrée et consacrée ;
3. Les amants adultères (Noguera, Kele);
4.La Commedia vire au drame.
1.Le spectacle est aussi dans la rue : la parade ;
2. La mariage institution sacrée et consacrée ;
3. Les amants adultères (Noguera, Kele);
4.La Commedia vire au drame.
mercredi, mai 21, 2014
dimanche, mai 18, 2014
ROI D'YS
LE
ROI D’YS
D’ÉDOUARD
LALO,
LIVRET
D’ÉDOUARD BLAU
Opéra
de Marseille, 13 mai
L’Opéra
de Marseille, sous la férule de Maurice Xiberras, mène une judicieuse politique
à la fois d’œuvres du répertoire, que le public ancien aime retrouver mais que
le public nouveau doit découvrir, une redécouverte d’opéras oubliés à
revisiter, avec aussi, on l’a vu une politique de création sans quoi le
répertoire lyrique resterait à l’état de muséographie. Avec le Roi d’Ys, d’Édouard Lalo, créé en 1888, longtemps au
répertoire mais, aujourd’hui largement disparu des affiches (à Marseille, il y
a vingt ans qu’on ne l’a plus
joué), le public, sensiblement ancien, était invité des retrouvailles les 10, 13,
15 et 18 mai, dans une production conjointe de l’Opéra-Théâtre de Saint-Étienne
et de l’Opéra Royal de Wallonie.
L’œuvre
Après
bien des vicissitudes et des déceptions depuis 1875, après le refus de l’Opéra
de Paris et ses grandes pompes (souvent pompier et pompantes) en cinq actes,
Lalo se mit en quatre, mit son opéra en trois et put le faire accepter à
l’Opéra comique en 1888. Ce fut un triomphe, non démenti jusqu’à l’orée des
années 60 où seuls quelques opéras de province le mirent à l’affiche.
En trois
actes et cinq tableaux Le Roi d'Ys d’Édouard Lalo (1823-1892), sur un livret d'Édouard Blau (1836-1906) repose sur la légende bretonne
de la mythique ville d'Ys, capitale du royaume de Cornouaille, engloutie vers
le VIe siècle de notre ère, au large de Douarnenez, une d’Atlantide
du nord en somme. Les tempêtes terribles qui se sont abattues cet hiver sur les
côtes atlantiques, qui ont dû exister aussi autrefois, disent assez la
possibilité tragique de tel événements grossis par l’imaginaire populaire et sa
terreur de tels cataclysmes.
L'action
de déroule dans un Moyen-Âge mythifié ou mystifié, poétisé, en tous cas, dans
la ville d'Ys située sur les côtes de Bretagne, protégées des fureurs
envahissantes de l’océan par une digue. Mais il n’y a pas d’opéra sans histoire
d’amour, d’amour contrarié, naturellement. Et contrarié par qui ? On a pu
dire en plaisantant qu’un opéra, du moins un opéra romantique, c’est les amours
d’un soprano et d’un ténor contrariées par un baryton ou une mezzo soprano jaloux
des héros aux voix les plus hautes. Si, aux XVIIe et XVIIIe
siècles les voix graves sont celles qui caractérisent les personnages nobles
par leur caractère et leur état, dans un opéra du XIXe siècle, les
rôles sont typés, aux méchants et vieillards les voix graves,
aux héros, les voix aiguës et claires.
Ici, cela ne manque pas puisque le roi d’Ys, très secondaire dans
l’action, a deux filles, la douce Rozenn, soprano et Margared, voix féminine
grave qui se découvrent amoureuses du même ami d’enfance, le preux chevalier
Mylio, ténor, passant pour mort dans un naufrage. Mais, afin de sceller
l'amitié de deux peuples ennemis, pour des raisons politiques, Margared est
promise au prince de Karnac, un baryton : en somme, accord musical des
voix graves, mais désaccord du cœur. Tout s’apprête pour leur mariage. Mais
voici que Mylio, sauvé, revient, et avoue son amour, non à Margared, mais à
Rozenn. Margared, apprenant le retour de Mylio qu’elle aime, refuse de se
marier à Karnac. Et la guerre est relancée entre le Prince Karnac ulcéré et
Ys, mais gagnée par Mylio le sauvé sauveur. Voilà liguées les deux voix sombres
par le désir de vengeance, Karnac contre la ville d’Ys et Margared qui préfère
celui qu’elle aime mort plutôt qu’époux de sa sœur et offre au prince vaincu le
moyen d’inonder la ville en ouvrant le déluge des écluses.
Réalisation
et interprétation
La
grande difficulté pour monter aujourd’hui cette œuvre tient sans doute au
schématisme archétypal des situations et des personnages, qui n’ont sans doute
pas résisté à l’avènement de la télé dans les années 50 qui virent son éclipse,
qui exige, avec l’habitude des gros plans de cinéma, des sentiments complexes
prêtant à l’identification, visibles et lisibles, pratiquement inexistants
ici : la bonne, les bons, la méchante, le méchant est le répertoire limité
des caractères. Tout sauf des personnes, les personnages ont la linéarité
hiératique de figures de vitrail sans épaisseur et n’ont pas plus de
consistance que la statue de Saint Corentin descendu de son socle ou sorti de
sa châsse. Seule Margared a une évolution relative, passant de l’amour à la
haine, dont elle avait elle-même annoncé d’avance la couleur :
« L’amour que rien ne lasse [fera place] / À la haine que rien
n’éteint. » Ses remords, son sacrifice, lui redonnent une trouble humanité qui manque à son
entourage figé soit dans l’auréole ou la gélatine douceâtre de la bonté, soit
dans l’armure de la seule haine de Karnac. D’autant que les costumes, dans
l’académisme modernisant inauguré dans les années 70 par Ponnelle et Chéreau, à
trop vouloir rapprocher dans le temps les personnages, éloigne dans
l’invraisemblance historique ce qu’on aurait sans doute mieux accepté dans un
nébuleux passé lointain de légende indéfinie.
Il reste
que, même gratuitement hors contexte, ces costumes de Frédéric Pineau sont beaux, dernier tiers du XIXe
siècle, longs manteaux raglans de brune mousse, chapeaux haut de forme pour les hommes, d’amazone pour les femmes ;
les deux sœurs ont des robes vert sombre à tournure, à falbalas dorés, la blonde
Rozenn cheveux sagement noués et déchaînés pour la passionnée et brune
Margared. Dans ce chromatisme d'ombre mousseuse baigné des lumières humides ou brumeuses
de Michel Theuil, l’apparition soudaine des soldats du
soudard Karnac, en uniforme de légionnaires romains rouge vermillon, étonne et
détonne comme une inclusion humoristique de bande dessinée dans un sombre drame
moyenâgeux qui a oublié la mode troubadour, médiévale, du temps.
Les décors d’Alexandre Heyraud, avec deux falaises grises de granit latérales, barrées
horizontalement d’un fond d’écluse, et une verticale façade ogivale, église et
palais, descendant des cintres, est simple mais efficace et, à défaut de
traitement psychologique de personnages vides, cela permet au metteur en scène Jean-Louis
Pichon une superbe mise en
images, de très beaux effet de la masse onduleuse de ces manteaux dans la brume
sur ces dalles inégales du sol, et le tableau saisissant de la victoire
émergeant de la fumée ou du brouillard avec, sur la grisaille, les trois drapeaux
rouge vif arrachés à l’ennemi (mais l'on ne pense pas à la Commune malgré ces costumes contemporains…).
Lalo,
cherchant l’inspiration dans des légendes celtiques, voulait rivaliser avec,
celles, nordiques et germaniques, de Wagner. Mais, cependant, Wagner peint des
dieux humains, trop humains comme dirait Nietzsche et Lalo offre des humains
déshumanisés par le simplisme des sentiments.
Fort
heureusement, cette humanité absente des personnages, nous la retrouvons dans
la beauté sensible des voix des chanteurs, d’un plateau d’uniformément belle
qualité. De Marc Scoffoni
en Jahel au Saint Corentin de Patrick Delcour, en passant par les chœurs, tout le monde
est à louer. Philippe Rouillon
prête sa grande et sonore voix de baryton, sa stature, à Karnak. Il suffit à Nicolas
Courjal, basse, de quelques phrases, nuancées, comme venues
des profondeurs de l’humain, pour mériter le titre de l’opéra que lui dénie
cependant l’action où il est presque inexistant, même au mariage de sa fille. On
goûte le charme élégiaque de Florent Laconi, son art des demi-teintes en voix de tête
du ténor français de cette tradition après l’avoir vu camper un chevalier vaillant, héroïque, aux aigus puissants
puis plein de délicatesse dans la fameuse aubade à la fiancée, tel non un
troubadour du sud, mais un trouvère du nord chantant tendrement l’amour à sa
dame. Et quelle dame ! ici Inva Mula, toute délicate et fragile, beauté de chant nuancé pour donner
vie à la trop simple image de Rozenn, rondeur et douceur de miel opposée à
l’amertume anguleuse des sombres déchirements de la Margared de Béatrice
Uria-Monzon, sautant du
grave à l’aigu dans un déchaînement passionnel de fauve blessé qu’elle traduit
avec son tempérament de tragédienne, dans la seule vraie grande scène
dramatique de l’ouvrage qu’elle porte sur ses épaules, et qui mériterait le nom
de Margared et non de Roi
d’Ys.
Les
scènes d’amour tendre ou celles inspirées du folklore breton, pèchent sans
doute d’un texte kitsch dans le goût du temps et certainement des spectateurs
de cet Opéra comique qui avait été suffoqué par les audaces de Carmen.
Inégal,
l’ouvrage possède cependant des pages musicales remarquables, dont la longue
ouverture, vrai poème symphonique qui cite Tannhäuser, explicite clin d’œil et défi, mais ne
démérite en rien du maître de Bayreuth, la scène au motif obsédant de houle de
Margared, la gentille mais un peu mièvre aubade, et le tableau impressionnant
du déchaînement des flots, d’un cataclysmique effet déjà de cinéma. À la tête
de l’Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille au mieux, Lawrence Foster dirige, déroule et déplie magistralement et
minutieusement cette partition aux superbes couleurs, où l’on sent déjà le
colorisme orchestral de compositeurs postérieurs, tel Dukas et même, en plus
délicat, Ravel.
Opéra
de Marseille, les 10, 13, 15 et 18 mai
Production
Opéra de Saint-Étienne / Opéra Royal de Wallonie, Le Roi d’Ys d’Édouard Lalo.
Orchestre
et Chœur de l’Opéra de Marseille.
Direction
musicale : Lawrence Foster.
Mise
en scène : Jean-Louis Pichon.
Décors : Alexandre Heyraud. Costumes : Frédéric
Pineau.
Lumières : Michel Theuil.
Distribution ;
Rozenn :
Inva Mula ;
Margared : Béatrice Uria-Monzon ; Mylio : Florian
Laconi ;
Karnak : Philippe Rouillon ;
Le Roi : Nicolas
Courjal ;
Saint Corentin : Patrick Delcour
; Jahel : Marc
Scoffoni.
Photos :
Christian Dresse
1. L'eau et le feu : la blonde Rozenn et la brune Margared (Mula, Uria-Monzón) ;
2. Celui par qui le scandale arrive : Mylio ( Laconi) ;
3. Le roi et la fille peinés (Courjal, Mula) ;
4. Le prétendant malheureux à la tête de ses mirmydons technicolor (Rouillon) :
5. Victoire de l'eau sur le feu.