LE
ROI D’YS
D’ÉDOUARD
LALO,
LIVRET
D’ÉDOUARD BLAU
Opéra
de Marseille, 13 mai
L’Opéra
de Marseille, sous la férule de Maurice Xiberras, mène une judicieuse politique
à la fois d’œuvres du répertoire, que le public ancien aime retrouver mais que
le public nouveau doit découvrir, une redécouverte d’opéras oubliés à
revisiter, avec aussi, on l’a vu une politique de création sans quoi le
répertoire lyrique resterait à l’état de muséographie. Avec le Roi d’Ys, d’Édouard Lalo, créé en 1888, longtemps au
répertoire mais, aujourd’hui largement disparu des affiches (à Marseille, il y
a vingt ans qu’on ne l’a plus
joué), le public, sensiblement ancien, était invité des retrouvailles les 10, 13,
15 et 18 mai, dans une production conjointe de l’Opéra-Théâtre de Saint-Étienne
et de l’Opéra Royal de Wallonie.
L’œuvre
Après
bien des vicissitudes et des déceptions depuis 1875, après le refus de l’Opéra
de Paris et ses grandes pompes (souvent pompier et pompantes) en cinq actes,
Lalo se mit en quatre, mit son opéra en trois et put le faire accepter à
l’Opéra comique en 1888. Ce fut un triomphe, non démenti jusqu’à l’orée des
années 60 où seuls quelques opéras de province le mirent à l’affiche.
En trois
actes et cinq tableaux Le Roi d'Ys d’Édouard Lalo (1823-1892), sur un livret d'Édouard Blau (1836-1906) repose sur la légende bretonne
de la mythique ville d'Ys, capitale du royaume de Cornouaille, engloutie vers
le VIe siècle de notre ère, au large de Douarnenez, une d’Atlantide
du nord en somme. Les tempêtes terribles qui se sont abattues cet hiver sur les
côtes atlantiques, qui ont dû exister aussi autrefois, disent assez la
possibilité tragique de tel événements grossis par l’imaginaire populaire et sa
terreur de tels cataclysmes.
L'action
de déroule dans un Moyen-Âge mythifié ou mystifié, poétisé, en tous cas, dans
la ville d'Ys située sur les côtes de Bretagne, protégées des fureurs
envahissantes de l’océan par une digue. Mais il n’y a pas d’opéra sans histoire
d’amour, d’amour contrarié, naturellement. Et contrarié par qui ? On a pu
dire en plaisantant qu’un opéra, du moins un opéra romantique, c’est les amours
d’un soprano et d’un ténor contrariées par un baryton ou une mezzo soprano jaloux
des héros aux voix les plus hautes. Si, aux XVIIe et XVIIIe
siècles les voix graves sont celles qui caractérisent les personnages nobles
par leur caractère et leur état, dans un opéra du XIXe siècle, les
rôles sont typés, aux méchants et vieillards les voix graves,
aux héros, les voix aiguës et claires.
Ici, cela ne manque pas puisque le roi d’Ys, très secondaire dans
l’action, a deux filles, la douce Rozenn, soprano et Margared, voix féminine
grave qui se découvrent amoureuses du même ami d’enfance, le preux chevalier
Mylio, ténor, passant pour mort dans un naufrage. Mais, afin de sceller
l'amitié de deux peuples ennemis, pour des raisons politiques, Margared est
promise au prince de Karnac, un baryton : en somme, accord musical des
voix graves, mais désaccord du cœur. Tout s’apprête pour leur mariage. Mais
voici que Mylio, sauvé, revient, et avoue son amour, non à Margared, mais à
Rozenn. Margared, apprenant le retour de Mylio qu’elle aime, refuse de se
marier à Karnac. Et la guerre est relancée entre le Prince Karnac ulcéré et
Ys, mais gagnée par Mylio le sauvé sauveur. Voilà liguées les deux voix sombres
par le désir de vengeance, Karnac contre la ville d’Ys et Margared qui préfère
celui qu’elle aime mort plutôt qu’époux de sa sœur et offre au prince vaincu le
moyen d’inonder la ville en ouvrant le déluge des écluses.
Réalisation
et interprétation
La
grande difficulté pour monter aujourd’hui cette œuvre tient sans doute au
schématisme archétypal des situations et des personnages, qui n’ont sans doute
pas résisté à l’avènement de la télé dans les années 50 qui virent son éclipse,
qui exige, avec l’habitude des gros plans de cinéma, des sentiments complexes
prêtant à l’identification, visibles et lisibles, pratiquement inexistants
ici : la bonne, les bons, la méchante, le méchant est le répertoire limité
des caractères. Tout sauf des personnes, les personnages ont la linéarité
hiératique de figures de vitrail sans épaisseur et n’ont pas plus de
consistance que la statue de Saint Corentin descendu de son socle ou sorti de
sa châsse. Seule Margared a une évolution relative, passant de l’amour à la
haine, dont elle avait elle-même annoncé d’avance la couleur :
« L’amour que rien ne lasse [fera place] / À la haine que rien
n’éteint. » Ses remords, son sacrifice, lui redonnent une trouble humanité qui manque à son
entourage figé soit dans l’auréole ou la gélatine douceâtre de la bonté, soit
dans l’armure de la seule haine de Karnac. D’autant que les costumes, dans
l’académisme modernisant inauguré dans les années 70 par Ponnelle et Chéreau, à
trop vouloir rapprocher dans le temps les personnages, éloigne dans
l’invraisemblance historique ce qu’on aurait sans doute mieux accepté dans un
nébuleux passé lointain de légende indéfinie.
Il reste
que, même gratuitement hors contexte, ces costumes de Frédéric Pineau sont beaux, dernier tiers du XIXe
siècle, longs manteaux raglans de brune mousse, chapeaux haut de forme pour les hommes, d’amazone pour les femmes ;
les deux sœurs ont des robes vert sombre à tournure, à falbalas dorés, la blonde
Rozenn cheveux sagement noués et déchaînés pour la passionnée et brune
Margared. Dans ce chromatisme d'ombre mousseuse baigné des lumières humides ou brumeuses
de Michel Theuil, l’apparition soudaine des soldats du
soudard Karnac, en uniforme de légionnaires romains rouge vermillon, étonne et
détonne comme une inclusion humoristique de bande dessinée dans un sombre drame
moyenâgeux qui a oublié la mode troubadour, médiévale, du temps.
Les décors d’Alexandre Heyraud, avec deux falaises grises de granit latérales, barrées
horizontalement d’un fond d’écluse, et une verticale façade ogivale, église et
palais, descendant des cintres, est simple mais efficace et, à défaut de
traitement psychologique de personnages vides, cela permet au metteur en scène Jean-Louis
Pichon une superbe mise en
images, de très beaux effet de la masse onduleuse de ces manteaux dans la brume
sur ces dalles inégales du sol, et le tableau saisissant de la victoire
émergeant de la fumée ou du brouillard avec, sur la grisaille, les trois drapeaux
rouge vif arrachés à l’ennemi (mais l'on ne pense pas à la Commune malgré ces costumes contemporains…).
Lalo,
cherchant l’inspiration dans des légendes celtiques, voulait rivaliser avec,
celles, nordiques et germaniques, de Wagner. Mais, cependant, Wagner peint des
dieux humains, trop humains comme dirait Nietzsche et Lalo offre des humains
déshumanisés par le simplisme des sentiments.
Fort
heureusement, cette humanité absente des personnages, nous la retrouvons dans
la beauté sensible des voix des chanteurs, d’un plateau d’uniformément belle
qualité. De Marc Scoffoni
en Jahel au Saint Corentin de Patrick Delcour, en passant par les chœurs, tout le monde
est à louer. Philippe Rouillon
prête sa grande et sonore voix de baryton, sa stature, à Karnak. Il suffit à Nicolas
Courjal, basse, de quelques phrases, nuancées, comme venues
des profondeurs de l’humain, pour mériter le titre de l’opéra que lui dénie
cependant l’action où il est presque inexistant, même au mariage de sa fille. On
goûte le charme élégiaque de Florent Laconi, son art des demi-teintes en voix de tête
du ténor français de cette tradition après l’avoir vu camper un chevalier vaillant, héroïque, aux aigus puissants
puis plein de délicatesse dans la fameuse aubade à la fiancée, tel non un
troubadour du sud, mais un trouvère du nord chantant tendrement l’amour à sa
dame. Et quelle dame ! ici Inva Mula, toute délicate et fragile, beauté de chant nuancé pour donner
vie à la trop simple image de Rozenn, rondeur et douceur de miel opposée à
l’amertume anguleuse des sombres déchirements de la Margared de Béatrice
Uria-Monzon, sautant du
grave à l’aigu dans un déchaînement passionnel de fauve blessé qu’elle traduit
avec son tempérament de tragédienne, dans la seule vraie grande scène
dramatique de l’ouvrage qu’elle porte sur ses épaules, et qui mériterait le nom
de Margared et non de Roi
d’Ys.
Les
scènes d’amour tendre ou celles inspirées du folklore breton, pèchent sans
doute d’un texte kitsch dans le goût du temps et certainement des spectateurs
de cet Opéra comique qui avait été suffoqué par les audaces de Carmen.
Inégal,
l’ouvrage possède cependant des pages musicales remarquables, dont la longue
ouverture, vrai poème symphonique qui cite Tannhäuser, explicite clin d’œil et défi, mais ne
démérite en rien du maître de Bayreuth, la scène au motif obsédant de houle de
Margared, la gentille mais un peu mièvre aubade, et le tableau impressionnant
du déchaînement des flots, d’un cataclysmique effet déjà de cinéma. À la tête
de l’Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille au mieux, Lawrence Foster dirige, déroule et déplie magistralement et
minutieusement cette partition aux superbes couleurs, où l’on sent déjà le
colorisme orchestral de compositeurs postérieurs, tel Dukas et même, en plus
délicat, Ravel.
Opéra
de Marseille, les 10, 13, 15 et 18 mai
Production
Opéra de Saint-Étienne / Opéra Royal de Wallonie, Le Roi d’Ys d’Édouard Lalo.
Orchestre
et Chœur de l’Opéra de Marseille.
Direction
musicale : Lawrence Foster.
Mise
en scène : Jean-Louis Pichon.
Décors : Alexandre Heyraud. Costumes : Frédéric
Pineau.
Lumières : Michel Theuil.
Distribution ;
Rozenn :
Inva Mula ;
Margared : Béatrice Uria-Monzon ; Mylio : Florian
Laconi ;
Karnak : Philippe Rouillon ;
Le Roi : Nicolas
Courjal ;
Saint Corentin : Patrick Delcour
; Jahel : Marc
Scoffoni.
Photos :
Christian Dresse
1. L'eau et le feu : la blonde Rozenn et la brune Margared (Mula, Uria-Monzón) ;
2. Celui par qui le scandale arrive : Mylio ( Laconi) ;
3. Le roi et la fille peinés (Courjal, Mula) ;
4. Le prétendant malheureux à la tête de ses mirmydons technicolor (Rouillon) :
5. Victoire de l'eau sur le feu.
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