vendredi, mars 21, 2008

SOMBRERO

« L’auréole de l’ombre à l’orée des lumières »
Sombrero
de Philippe Decouflé Grand Théâtre de Provence

Plus lumineux que sombre, ce spectacle de Philippe Decouflé, créé en 2006, mêle heureusement danse, théâtre, cinéma, parole, avec un texte de Claude Ponti, foisonnant de rives, de dérives, de délires linguistiques qui font tanguer, danser les mots de jeux, d’échos, d’ombres qui les brouillent, embrouillent, débrouillent, sur le blanc du papier, sur la page de l’écran écru d’éclat, silhouettes et paroles à l’encre noire mal buvardée, étalée en taches, traces, faces, sons dégradés en sonorités qui font sens et sensations, couleurs vocales vocalisées en colorations même étranges et étrangères, qui créent un halo autour de chacun comme l’ombre n’est pas sécable de l’hombre (‘l’homme’), de la lumière, comme le solo lumineux appelle le pas de deux ombreux : chaque unité est un duo, chaque un a sa une, chaque être a le non-être du paraître de son ombre, émoi du moi : est-ce moi, ce compagnon, cette noire compagne, à géométrie variable, allongée, raccourcie selon l’angle du jour, du soleil, évanouie la nuit à moins de se faire paradoxalement blanche ? Je est toujours un autre ombreux qui ne se laisse pas prendre au filet de la claire raison et glisse savonneusement, savamment et savoureusement comme dans ce spectacle, sous les doigts : n'en déplaise aux rationalistes attardés, sur l'écran noir de nos nuits blanches ou blanc de la pâleur de nos sombres cauchemars, se projettent rêves et rêveries instillant l'ombre du doute, ombres majuscules ou minuscules, sur la stabilité lumineuse de l'être.
Ombres ombellifères de proustiennes « jeunes filles en fleur », « hombre sin nombre », aurait dit le Don Juan espagnol, ombres sans nombre, innommables autant qu’innombrables : la parole s’émet par la femme côté jardin et s’en remet, côté cour, à l’ombre du silence de l’homme qui la mime de ses lèvres muettes.
Avec une virtuose prestesse et prestidigitation technique, sur de variables écrans éblouissants de lumière, les pas dansés, les passages parlés, les suites en blancs de pures lignes balanchiniennes sur l’ombre, ou fluides et noires élasticités, ondes ondulantes sur le blanc, la bouillonnante verve de la musique de Brian Eno, piano, cordes, percussions, solidifiant ou liquéfiant les sons, les thèmes, parfois empruntés à Dvorak, au synthé, défile une synthèse de l'histoire de l'image, remontant à l’ombre platonicienne de la caverne, passant au théâtre d’ombre, aux ombres chinoises, à l’histoire du cinéma, Murnau et son vampire, le mélo muet et le moelleux western spaghetti ou nouille par une image louche, double, trouble, mal plaisamment « al dente », sans oublier les clins d’œil, sidération et lumière, aux dessins animés et à la BD.
Avec sans doute moins de danse que chez un José Montalvo et son vertigineux usage de la vidéo, dans ce spectacle tonique, à l’ombre vaste du sombrero des charros mexicains, prétexte et texte, images filmées et projetées, on a ici « L’auréole de l’ombre à l’orée des lumières », comme j’intitule le dernier chapitre de mon dernier livre sur l’incertitude, incertitude qui est un dégradé du noyau dur de l'antithèse, des angles tranchés du ténébrisme et luminisme, un ambigu clair-obscur de la certitude qui est une dissolution de l'absolutisme du dogme, reflets et réflexions sur l’être et le paraître, réalité et l’illusion. Tout ce qui est rassurant de nos claires assurances quotidiennes est ici gentiment, joyeusement bousculé en sons et images, en euphorie audible, visible, sensible. « Ombre heureuse » comme on eût dit dans les Champs-Élysées des Anciens et de l’Orphée de Gluck.
vendredi 14 mars


Photos Laurent Philippe, Légendes, B. P. :
1. Ombres majuscules ;
2. À l'ombre des sombreros en fleur.

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