lundi, mars 24, 2008

COLETTE L'INSOUMISE

L’INSOUMISE ET L’AMOUREUX
Piano et jeu, Édouard Exerjean,

Théâtre de Lenche




L’insoumise, bien sûr, c’est Colette (1873-1954), écrivain majeur du XX e siècle français, épouse mineure d’un usurpateur Willy de son talent, femme divorcée, émancipée, libérée, dissipée, scandaleuse par fidélité à soi dans une époque et un milieu aliénés de conventions mondaines et morales momifiées, romancière, critique, esthéticienne, après avoir été actrice de pantomime et danseuse nue, osant clamer :

«Je veux danser nue si le maillot me gêne et humilie ma plastique. Je veux chérir qui m'aime et lui donner tout ce qui est à moi dans le monde, mon corps si doux et ma liberté. » (Dialogues de bêtes).

Et proclamer :

« Faites des bêtises, mais faites-les avec enthousiasme. »

Amoureuse émerveillée de la vie :

« Le monde m'est nouveau à mon réveil, chaque matin.»

L’amoureux, c’est lui, Édouard Exerjean, des notes, des mots, faisant des textes qu’il choisit et dit des partitions littéralement musicales et, des morceaux qu’il joue, des pages littéraires de musique.
Élève de Pierre Barbizet, lui-même professeur, longtemps partenaire à deux mains de Philippe Corre, applaudi à quatre par le public, dire d’Exerjean que c’est un grand pianiste, c’est défoncer une porte ouverte alors que ce Grand Prix du Disque ouvre grandes les fenêtres pour aérer au grand vent la formule du concert. Il ne lui suffit pas de bien jouer du piano, il élargit son clavier de son talent d’acteur, de diseur, pour mettre en vibration des textes amoureusement choisis, rares ou méconnus, avec des pièces de piano, tout aussi méditées qui en sont un horizon élargi vers le rêve, un indicible prolongement. Et là, c’était Colette, avec un subtil éventail de morceaux entre l’émouvante parenthèse du dernier Fanal bleu en prélude et final, allant des Claudines juvéniles à des lettres intimes, de l’aurore au crépuscule de la vie, en correspondance avec une palette de musiciens rares au piano, Chabrier, Pierné, Lecocq, Damase, Séverac, Aubert, Hahn, à côté des plus fréquentés Debussy, Ravel, Fauré, Poulenc.
Un piano, un bureau d’écolier, un fauteuil, des lumières et quelques gestes, à la suggestion délicate de Maurice Vinçon, et Exerjean, à lui tout seul est non seulement une personne mais les personnages de cette comédie, douce (Sido), rosse ou féroce en ses portraits, brossée par la plume pittoresque de Colette, attendrie à la nature, émue par les animaux, humaine infiniment. Et lui, tel les matous matois chers à l’écrivaine, avec la même gourmandise, presse, accélère, retient les mots pour en mieux distiller le suc et nous en faire partager la saveur : un régal.
Et un regret : « missing Missy ». Dommage que ce beau florilège ait oublié Mathilde de Morny, marquise de Belbeuf, fille du frère adultérin de Napoléon III, scandaleuse femme libre, lesbienne militante et amante protectrice de Colette, sa partenaire travestie en homme au Moulin-Rouge, qui osa même illustrer du blason de son illustre famille, l’affiche de leur pantomime Rêve d'Egypte qui déchaîna un esclandre mondain et policier.
Mais on retiendra, comme une promesse, ce magnifique final du Fanal bleu d’une Colette en fin de vie et d’œuvre :

« déposé l'outil, on s'écrie avec joie : « Fini! » et on tape dans ses mains, d'où pleuvent les grains d'un sable qu'on a cru précieux... C'est alors que dans les figures qu'écrivent les grains de sable on lit les mots : « À suivre... »


22 mars 2008

Photo de Christiane Robin :
Édouard Exerjean

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