lundi, mars 02, 2009

ENSEMBLE TÉLÉMAQUE

PORTRAITS COMPOSÉS
Schœnberg en regard de la jeune génération
Ensemble Télémaque
17 février, Bibliothèque départementale Gaston Defferre

Il y a de quoi s’étonner ou être choqué : l’Ensemble Télémaque, qui fait rayonner la musique contemporaine et le nom de Marseille bien loin de son ingrate cité, n’a droit de cité qu’en quelques lieux qui veulent bien s’ouvrir à lui, condamné à l’errance faute de lieu fixe pourtant nécessaire à son remarquable travail. C’est la Bibliothèque départementale Gaston Defferre qui eut l’heureuse idée de recevoir ses « Portraits composés », dont le dernier était la mise en regard de trois compositeurs d’aujourd’hui et d’Arnold Schönberg (graphie germanique), commentée en exemples instrumentaux vivants par le chef de l’ensemble Raoul Lay.
Implacable et impeccable dans la direction de ces musiques délicates qui risquent la dispersion et le chaos à la moindre défaillance, au plus minime écart de la vigilance, bref, souple et précis dans sa direction, Raoul Lay, compositeur par ailleurs, a l’art subtil de l’explication musicologique la plus complexe qu’il met tout simplement à la portée de l’amateur curieux de la musique de son temps : un geste et ses instrumentistes exécutent un exemple; d’un sourire, il dénoue un problème apparemment enchevêtré : c’est un régal d’analyse succincte et éclairante, sans lourde démagogie pédagogique, avant d’entrer en plein dans des œuvres parfois difficiles dont il nous a balisé l’accès.

François Narboni (1963) : Le Plérôme des éons
En sa présence, c’est sa version révisée en 2004 de sa pièce pour flûte, clarinette, piano, violon et violoncelle, Le Plérôme des éons de 1998, qui sera donnée. Le titre issu de la tradition gnostique méritait peut-être une explication du compositeur, référant sans doute à la plénitude céleste, somme des éons ou étapes de temps éternel nécessaires au parcours de l’homme pour atteindre son zénith ou l’Être suprême. Un bruit pulsé comme un pneuma originel, un indistinct frottement ou feulement feutré de cordes, puis un tourbillon d’accords et d’intervalles infinitésimaux, de démultiplications rythmiques : grouillement déguinglé qui donne le sentiment, la sensation, dans un transfert de l’oreille à l’œil, de l’audible au visible, du divisionnisme, du pointillisme en peinture qui serait devenu un scintillement musical.
François Narboni (1961) : Night music, op. 73.
Cette œuvre pour clarinette et violoncelle de 2001 a quelque chose de verlainien, me fait penser au « Colloque sentimental », dernier poème des Fêtes galantes, dialogue entre deux formes, deux spectres « dans le parc solitaire et glacé » qui évoquent un passé mort. Les titres des parties, les indication de tempi des morceaux sont significatifs d’un climat pesant, nocturne et morbide : « Elegy (lento lugubre) » ; le « scherzo », jeu joyeux, devient sombre fête : « misterioso, lentissimo funebre, misterioso » et même la berceuse, « Lullaby » est scandée tristement de lente et dolente désolation: « Adagio mesto- Molto lento e desolato ». Les deux instruments, comme deux voix, baryton et mezzo, créent une brume sonore, voile sombre et fatal de deuil et de mélancolie sur la basse du « ground » du violoncelle, s’estompant parfois dans un silence inquiétant. Les pizzicati décharnés des cordes sur les grincements de la clarinette tiennent de la danse macabre. Deux plaintes : du violoncelle plus obsédé qu’obstiné et de la clarinette lancinante, tenue qui s’exténue, s’atténue dans l’expiration du souffle. Expressionnisme impressionnant.

Tristan Murail (1947) : Treize couleurs du soleil couchant
Impressionnisme par contre, dirait-on de cette œuvre fameuse de l’aîné de ces compositeurs vivants, pour flûte, clarinette, piano, violon et violoncelle : treize sections enchaînées ou enchâssées peignant, pour les oreilles une couleur du couchant. Lent archet, souffle, vapeur de flûte, friselis, vibrations, frémissements : du médium coloré, la palette s’éclaire et resserre en écarts dans le fracas d’un aigu lumineux et descend, s’étend en larges intervalles, se pose dans le grave grondant, palette généreuse, vaste arc-en-ciel de couleurs intenses ou délicates, une fête de couleurs, de timbres.
Et, naturellement, on pense ici à l’ancêtre peintre et musicien qui résumait, rappelons-le, sa conception picturale et musicale par sa formule de la klangfarbenmelodie, la mélodie de couleurs de timbres.

Arnold Schönberg : Symphonie de chambre op. 9
Le disciple Webern avait réduit en 1923 la symphonie déjà réduite de Schönberg (1906) pour flûte, clarinette, piano, violon et violoncelle, l’effectif du Pierrot lunaire (1912). C’est ici, du Schönberg avant Schönberg, avant le Schönberg dodécaphonique et sériel. Cependant, tout Schönberg est là en germe : forme brisée du canon symphonique mais centré sur une mélodie modulante élargissant tellement la tonalité qu’elle frôle et frise l’atonalité. Encore post-romantique, la symphonie frissonne de timbres fiévreux, alterne plages de calme et fulgurances paroxystiques dans des éclats, des éclairs, des éclatements qui en font un verige de couleurs de timbres sensible aux oreilles et aux yeux : musique visible, peinture audible dans une voluptueuse et savoureuse dégustation.

Ensemble Télémaque :
Flûte, Charlotte Campana ; Clarinette : Linda Amrani ; Piano, Hubert Reynouard ; violon, Yann Le Roux-Sèdes ; violoncelle, Guillaume Rabier. Direction, Raoul Lay.

Photos : © Agnès Mellon

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