lundi, mars 02, 2009

Christine Lecoin

LE CHARME AU BOUT DES DOIGTS
Récital de clavecin: Christine Lecoin interprète Couperin,

Marseille, Urban Gallery, 7 février

Notre région a de la chance avec le clavecin : plusieurs grands interprètes y demeurent et nous régalent sur place de leurs concerts comme ils ont rayonné et rayonnent nationalement et internationalement : Jean-Marc Aymes, Natalia Cherachova, Jean-Paul Serra et Christine Lecoin. Cette dernière apporte aujourd’hui sa touche et son toucher aux passionnantes Petites histoires de claviers que J.-Paul Serra, dans le cadre de son Ensemble Baroques-Graffiti, conte et raconte au fil des mois. Cela a lieu au sein de l’Urban Gallery, vilaine appellation english d’une somptueuse demeure typiquement marseillaise, disons de ces hôtels particuliers que la prudente bourgeoisie de Marseille, à l’apogée de sa puissance, entre les XIX e et XX e siècles, se faisait construire dans le quartier Longchamp-Libération, ombragé d’arbres, alors en périphérie discrète du centre de la ville. Une façade belle mais sans faste ostentatoire, un vaste vestibule et l’on tombe dans un confortable salon, moulures et frises en stuc néo-rococo, cheminée de marbre et glace en trumeau au-dessus, éclairé d’une lumineuse suspension, donnant sur un jardin secret : cadre rêvé pour un concert intime retrouvant les confidences musicales d’antan pour un cercle privé et privilégié d’amis. Mais, débordé par le succès, il faut vite ouvrir l’autre salon attenant et trouver des sièges de fortune, ou n’en trouver pas pour caser la nombreuse qui se presse à ce récital.
Du fond, on entendra mal les explications que donne la claveciniste sur les pièces de son programme, et je dois à sa gracieuse amabilité les précieuses précisions suivantes. On connaît la méticulosité de Couperin (1688-1733), priant les interprètes, dans les préfaces de ses quatre livres de clavecin (1713, 1722, 1730) de respecter à la lettre ses partitions, sans ajout ni omission, et dans L'art de toucher le clavecin (1717), c’est pratiquement, en professeur, qu’il expose une méthode pratique de jeu, position du corps, des doigts, et, surtout, la manière de réaliser les d’agréments.
Et c’est dans ce respect de la lettre, cette allégeance au compositeur que Christine Lecoin, avec son clavecin copie d’époque de Blanchet, trouve sa paradoxale liberté, nous promenant capricieusement à travers ses Ordres, alternant morceaux tendres et allègres, délicieuses vignettes musicales, tableautins harmonieux (Les Moissonneurs, Les Bergeries) ou portraits psychologiques (La Visionnaire, La Ténébreuse, La Lugubre, La Voluptueuse) ou catalogue plaisant d’objets dans un style plaisamment représentatif (Le Tic-toc, Le Réveille-matin), etc, sans oublier une adorable cantilène de berceuse. On retrouve le goût baroque pour les danses européennes assimilées, telle l’allemande ou les hispaniques chaconne, passacaille, sarabande et autre canaris et, propre à Couperin, ses révélatrices indications de tempo et de caractère : « Gravement, noblement, gaiement, naïvement, vivement, tendrement, légèrement… » : toute l'esthétique du plaisir d'une époque délaissant les fastes morbides du Versailles crépusculaire de Louis XIV, pour Les idées heureuses d'une Régence délivrée de ce poids. Subtile palette de nuances pastel pour un instruments faussement réputé pour n’en avoir pas, bien de son époque rococo se plaisant aux trompe-l’œil et jouant aussi de l’illusion d’oreille, délicat artifice mousseux, évanescentes couleurs comme cette poussière lumineuse au-dessus des cascades légères, captant le fugace mirage des diaprures des arcs-en-ciel dont Christine Lecoin déploie en fée l’éventail éthéré.


Photo : Christine Lecoin.



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