lundi, avril 28, 2008

Ouvertures solistes

Ouvertures solistes
Carte blanche à l’Ensemble Télémaque
Marseille, Montevideo


Baroque
C’est toujours un bonheur de retrouver Raoul Lay et sa souriante pédagogie au service de la musique contemporaine, toujours illustrée de judicieux exemples donnés sur le vif par les précis solistes de son précieux Ensemble Télémaque. Bonheur redoublé quand s’y agrège un habituel complice, Alain Aubin, artiste-orchestre déjà à lui seul, chanteur (contre-ténor et baryton), acteur et, à l’occasion, danseur. C’est à tous ces titres, déjà salués depuis longtemps, qu’on ne chipotera pas à Alain, improvisé aimable commentateur juste avant l’angoisse du concert, devant une table de café du sympathique mais bruyant café de l’espace Montevideo, ses quelques paroles sur le Baroque, ces lieux communs qui traînent partout de « contraste », «de surprenant », voire d’extravagant et d’irrégulier (bannières sous lesquelles on pourrait ranger tant Hugo que les expressionnistes, les cubistes, les dadaïstes, les surréalistes, etc) alors que ce qui frappe dans cette esthétique, quand on la connaît bien, c’est l’exacerbation des règles, l’hypercodification de la forme régie par la rhétorique : la liberté dans la contrainte.

Contemporain
Autre trait « baroque » qui justifiait ces pertinentes mises en miroir auditives entre musiques d’hier et d’aujourd’hui, et qui bannit d’autres clichés, c’est la volonté juvénile de modernité, d’être de son temps : la musique baroque est toujours contemporaine, en rupture avec ce qui précède, et exprime souvent la singularité : au travers du soliste.
Nous fûmes gâtés. Sur une partition graphique de John Cage, Ryoanji (1983) -du nom du célèbre temple zen japonais de roches symboliques- sur la rocaille virtuose d’un ostinato aux percussions (Christian Bini) s’élève la voix, le hautbois, de Blandine Bacqué, sorte de recitativo secco, manière d’ouverture au récit accompagné d’Eugène Kurtz, La dernière contrebasse à las Vegas (1974) pour récitant(e) et contrebasse. Ici, mise en scène par Olivier Pauls, c’est une inénarrable conférencière campée en tailleur aux strictes géométries très Arts Déco (Édith Traverso) par Alain Aubin, lunettes et boucles d’oreilles, élégance chichiteuse très Hitchcock dont le chic est déchiqueté par le choc de l’archet de la contrebasse caressée, frappée, pincée comme aux fesses par le facétieux Jean-Bernard Rière, que la mondaine dame, en anglais, en français, en grave, en aigu, vit en vibrant dans son corps de cordes, piquée de pizzicati, déliquescente de glissandi, rubescente de rubato : l’ut en rut, elle jouit et la salle se réjouit de plaisir.
Les Citations (1985, 1990-91) de Dutilleux, collage au sens moderne ou pasticcio au sens baroque, aux inspirations polyphoniques de Janequin à Britten, est une œuvre infiniment personnelle et poétique : toile d’araignée argentée du clavecin (Isabelle Chevalier), ondoiements vocaux, vaporeux, du hautbois, vibrations du vibraphone, brefs éclairs de lumière de timbales frissonnantes, luminescences et scintillements rêveurs. Le lamento (2000) de Simon Holt, genre canonique encore baroque, donne encore à Aubin, ancien hautboïste, de jouer en virtuose avec celui de Bacqué, les deux voix, boisées, jouant du timbre, de la ligne, échangeant graves et aigus avec une grande émotion.
Par les mêmes interprètes, solistes de Télémaque et Aubin, une cantate de Bach et un air de Purcell, enchâssés dans le contemporain, montraient dans leur beauté que la musique, apparemment la plus diverse, n’est qu’une, et unique quand elle est servie par de grands interprètes.

4 avril 2008

Photos Agnès Mellon pour Télémaque, D. Garcia pour Alain Aubin, légendes B. P. :
1. Grappes de notes, gruppetto ou clusters : Télémaque ;
2. L'ut du rut : la conférencière d'Ah! Aubin.


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