mercredi, avril 09, 2008

Le grand retour de Boris S.

Le grand retour de Boris S.
de Serge Kribus

Théâtre Fontblanche , Vitrolles


Sur fond noir et l’embrasure d’une porte, un quadrilatère délimité par de minces portants métalliques, dessine, définit et indéfinit entre dedans et dehors, un transparent aquarium qui n’est une pièce que parce qu’un canapé, un fauteuil, deux chaises, un vague meuble et une table basse Ikéa l’occupent sans l’encombrer. Ingénieux décor minimal, minimaliste, pour financement minime du théâtre en ces temps de pénurie et maximum de travail de mise en scène de Jean-Claude Nieto sans même l’assurance d’un avenir de sa production.
La pièce de Serge Kribus commence comme un vaudeville, une scène de ménage mais par téléphone : un jeune trentenaire et chômeur, quitté par sa femme et ses enfants. Le ton monte avec la future ex, descend, avec passage de l’excitation de l’un à l’autre, en décalage avec les affirmations de sérénité, et véhémentes accusations réciproques d’énervement : cela laisse prévoir le procédé qui se répétera des relations tendues d’abord et excitées avec le personnage pour l’heure encadré dans la porte, chapeau en tête et valise à la main. Autre thème vaudevillesque : celui de la belle-mère qui s’invite sans crier gare au domicile de son enfant marié, au pire moment.
Mais ici, c’est le père : vieil acteur qu’on vient juste soi-disant d’engager en urgence pour le rôle titre et prestigieux du Roi Lear, pour sauver la pièce de la défaillance d’un acteur et qui vient répéter chez son fils car le chauffage est en panne chez lui. S’engage alors un conflit (le seul) entre le père qui s’incruste et le fils qui veut le renvoyer chez lui sans oser avouer sa situation familiale. Mais vite l’apaisement et l’arrangement se fait, suivi d’aveux réciproques, entre dire et taire, d’une nuit de beuverie mais dont la teneur n’arrive pas à alimenter, sinon le jeu (parfait des acteurs), l’enjeu, le nœud d’une action. Malgré l’évocation de la mère, les rapports père-fils ne sont guère conflictuels car, passées les premières passes d’armes, du duel on passe à un duo, un désarmant assaut de bons sentiments réciproques auquel le thème surimposé de la judaïté donne une gênante couche supplémentaire de sentimentalité et de pathos. Pour en venir à la conclusion, prévisible, que, finalement, père et fils, vivent des échecs et des solitudes parallèles.
La langue, prosaïque, ne s’élève guère que dans les citations, bien amenées, de Shakespeare ou autres, mais qui ne sont guère exploitées dramatiquement par l'auteur, restant à l’anecdote plaisante, théâtre dans le théâtre dont on sent trop qu’il a été fait pour donner l’occasion à un grand comédien de jouer au comédien, l’autre servant surtout de faire valoir, pièce à l’économie de notre époque. Il faut reconnaître qu’Albert Lerda entre au mieux dans ce rôle, rendant plausible son ivresse, touchant par les naïvetés enfantines des acteurs qui se croient toujours grands et admirés, presque à la névrose mythomaniaque comme dans Sunset Boulevard, rêvant de come back, de grands retours, et Guillaume Hennefant, qui lui donne la réplique, tire habilement son épingle du jeu en fils tendre et mari blessé.
Il faut dire que la mise en scène de Nieto, précise comme toujours, et toujours sensible dans les rapports humains, subtil à travailler les pièces et le jeu, réussit le prodige de donner une dignité scénique à un texte un peu plat dont les truismes -c’est ma perception- soulevaient les rires d’un public ravi, c’est la réception : ce qui compte au théâtre, art de la communion plus que de la communication.

1er avril 2008

Photo :
Lerda et Hennefant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire