lundi, décembre 10, 2007

À SE DAMNER

La Damnation de Faust
d’Hector Berlioz
Opéra de Marseille

L’œuvre
Avec toute sa sensibilité littéraire, son sens dramatique de la musique, Berlioz, -dont les Mémoires sont souvent un chef-d’œuvre d’écriture, d’ironie mordante, a rarement été au niveau théâtral qu’exige tout bon opéra. Et, si sa musique, d’une grande liberté, expliquée parfois par les failles techniques de son éduction musicale, dépasse de très loin tous les compositeurs contemporains de la première moitié du XIXe siècle, plus proche des audaces germaniques de Beethoven et d’un Wagner, qu’il préfigure, que de l’opéra bourgeois français de son temps, le théâtre, il faut le chercher là dedans : il a beau avoir donné au répertoire quelques uns de ses plus beaux airs, la trame ne s’érige jamais en véritable drame lyrique. Sa Damnation de Faust, « légende dramatique en quatre parties » est une sorte d’oratorio, de symphonie avec voix. Mais quelle symphonie et quelles voix ! Il l’avait d’ailleurs créée lui-même en version concert en 1846, échec terrible, et il n’en vit pas la première version scénique (1893), toujours une gageure.
Aussi, l’esprit libéré de toute réflexion sur la quadrature du cercle de l’adéquation d’une mise en scène à l’œuvre, ce fut un bonheur sans partage que de s’abandonner au mouvement irrésistible de cette musique en version concert.

Interprétation
Il y a d’abord ce chef, Philippe Auguin, qui impose, une large respiration à l’Orchestre de l’Opéra, le soulève d’une houle profonde qui nous porte, dont il apaise d’un geste précis le flot pour faire briller des écumes instrumentales, des couleurs de timbres, d’impondérables folies des follets, tirant des nuances du chœur (Pierre Iodice), malgré la gêne de la Chorale Angélos.
Gilles Ragon, qui inaugure ce Faust, extrême par la tessiture vaillante et corsée, se coule dans cette onde, chante avec l’orchestre et le chœur a tutti dans toute la première partie, avec l’engagement et la vérité d'acteur qu’on lui connaît, malgré une fatigue à la fin, mais toujours transcendée par son sens dramatique. Voix sombre et rude, Eric Martin-Bonnet est un Gander sarcastique et presque diabolique, cousin de ce Méphistophélès racé, ironique, charmeur et cinglant, qu’incarne avec élégance physique et vocale Nicolas Cavallier, pour qui beaucoup de spectatrices se damneraient volontiers. Mais que dire alors d’Anna-Caterina Antonacci, déjà Cassandre des Troyens de Berlioz ? Belle, rayonnante, pénétrée, intelligence du texte et de la musique, diction française parfaite, elle nous offre aussi sa première Marguerite. Voix aisée, large, belle, aux nuances de l’émeraude au rubis : un bijou, un trésor d’émotion et de retenue, de la brumeuse et rêveuse Chanson du Roi de Thulé à "D'amour l'ardente flamme" qui nous brûle d'émotion. Grande et chaleureuse soirée, triomphe mérité.

30 novembre.

Photos Christian Dresse, légendes B. P. :
1
.G. Ragon, Faust tourmenté ;
2. N. Cavalier, Méphisto tourmenteur entre les amants ;
3. A. C. Antonacci, Marguerite douloureuse.





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