lundi, mars 26, 2018

SACRÉ ET CONSACRÉ


Enregistrement 15/3/2018, passage, semaine du 26/3/18
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 309
lundi : 18h45 ; mercredi : 20 h ; samedi : 17h30
Semaine 13
Sacré, consacré
En cette semaine de Pâque les concerts de musique sacrée abondent.
         Mais, sacré veut dire quoi ? C’est d’abord le contraire de profane, terme qui qualifie ce qui n’appartient pas à la religion. Est donc sacré ce qui est objet d’un culte, digne de vénération par son caractère divin ou sa relation à la divinité.  Bien sûr, si l’on se demande ce que signifie divin, on s’aperçoit vite que notre époque, dans une confusion du profane et du sacré, est prodigue en enflure des mots, en inflation des valeurs (surtout marchandes) et il apparaît vite que la célébrité médiatique est aujourd’hui ce qui donne nom, renom, ce qui sacre et consacre, inspirant respect, vénération, culte. Voilà les sportifs devenus, de héros, des dieux du stade, tout comme les stars, les étoiles du ciel du cinéma, ou le divo ou la diva de l’opéra, qui signifient ‘dieu, déesse’.
         Pour souligner sa prédilection, sa vénération profane pour une chose, une œuvre d’art, on parle aujourd’hui de livre culte, de film culte, de chanson culte, etc. À voir donc où va se nicher le culte, on peut conclure sans peine, mais non sans dommage, que notre époque a sans doute perdu le sens du sacré pour le remplacer par celui du « consacré ». Consacré par la réputation, la célébrité sinon l’usage.
         Pourtant, on concédera que le morceau de musique suivant, notre première halte musicale, joint les deux qualités de consacré par sa beauté, et sacré par son thème. Il s’agit du Stabat mater mais non celui célébrissime de Pergolèse, mais de celui, moins connu, de Rossini. C’était une commande qu’on lui fit en Espagne en 1833 ; il le remania à Paris en 1844 et Donizetti en assura la direction. Voici une version de l’orchestre et chœur de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia dirigée par Antonio Pappano, avec de grands artistes en solistes. Écoutons cette grandiose entrée :

         1) PLAGE 1 

         Les musiques sacrées, il ne faut pas les confondre avec les musiques strictement religieuses. La musique religieuse, liturgique, rituelle, cultuelle, est au service du culte, du rite, de la liturgie. Elle est exécutée par des religieux, reprise souvent par les fidèles, à l’intérieur d’un édifice religieux, mais aussi à l’extérieur parfois, dans les processions par exemple.
         L’expression musique sacrée en Occident, désigne des formes, des genres musicaux consacrés par l’usage, qui peuvent accompagner le culte, les pratiques religieuses : les messes musicales suivent le déroulé du cérémonial de la messe religieuse ; le Stabat mater, prend son nom du début du célèbre poème de Jacopone da Todi : « Stabat mater dolorosa juxta crucem… » (‘la mère douloureuse était près de la Croix…’) tout comme le Requiem, qui est le premier mot de la messe des défunts, Missa defunctorum  : « Requiem æternam dona ei [eis], Domine… » (‘Seigneur, donne-lui [donne-leur] le repos éternel’).
         La musique sacrée est souvent commandée à de grands compositeurs, qui utilisent des textes liturgiques. Elle est jouée aussi bien dans des églises que dans des salles de concert, des opéras.

Messe religieuse
         Au-delà de la croyance religieuse, la messe religieuse, c’est la réactualisation d’un archaïque sacrifice humain que la coupable conscience humaine voudrait oublier : chair et sang, pain et vin, résumés, sublimés, par le miracle de la Transsubstantiation, dans l’hostie. De l’acte criminel ancien initial on est passé à son actualisation initiatique, mais non par la répétition du crime, mais par sa sublimation poétique par le symbole. Et, qu’on lui donne un sens religieux ou non, ce symbole qui en vient à remplacer l’horreur première du sacrifice, c’est le degré le plus élevé de la civilisation.

Messe musicale
         La messe musicale est la sublimation de cette sublimation. La musique a toujours accompagné la religion. Messe des morts et messe de résurrection, chacun, croyant ou non se trouve confronté un jour au mystère de l’origine et de la fin, de la perte des êtres chers, au sentiment de la sienne propre. Aussi, que le public vienne dans une église pour Bach, Mozart ou Beethoven, les textes liturgiques sur ces mystères fondamentaux, ne peuvent laisser personne indifférent. Et cela va de soi pour la Vierge à l’enfant, la mère et le fils, image universelle de la vie, de l’amour, et la Mater dolorosa, la mère tenant son enfant mort entre les bras, image universelle de l’humaine douleur, et même animale. D’où ce cri à la Vierge, inflammatus, per te virgo… » chanté par Ana Netrebko :

         2), PLAGE

         Rossini, mélancolique ans sa vie, avait un sens aigu de l’humour et, dans sa préface à sa Petite messe solennelle qu’il compose en 1863, à soixante et onze ans, après trente-quatre ans de silence, écrit :
« Bon Dieu. La voilà terminée cette pauvre petite messe. Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire ou de la sacrée musique ? J'étais né pour l'opera buffa, tu le sais bien ! […] Sois donc béni et accorde-moi le Paradis2. »
Nous lui accordons bien volontiers le paradis, celui de la musique en écoutant ici ce passage a cappella, sans accompagnement, de son Stabat mater :

3) PLAGE 9 

Et c’est avec un souhait de bonnes Pâques, que nous nous quittons sur l’amen final du grandiose Stabat mater de Rossini :

4) PLAGE  10 : FIN ET FOND

FOLLE LUCIA




LUCIA ASSASSIN(É)E
         Rassurons-nous, Lucia de Lammermoor est toujours assassine de son époux, qui tout innocent qu’il soit, le mérite mille fois dans cette mise en scène où, finalement c’est elle, c’est l’œuvre qui est assassinée.

LUCIA DI LAMMERMOOR
Opéra en trois actes de Gaetano Donizetti
Livret de Salvadore Cammarano
d’après le roman La Fiancée de Lammermoor de Walter Scott
Naples (1835)

À l’occasion de tant de Lucia qui ont hanté nos scènes, j’ai publié mes textes sur « La folie dans l’opéra » (France-Culture, Les Chemins de la musique, émission de Gérard Gromer, en partie utilisées pour mon émission de  Radio Dialogue RCF, « Le blog-note de Benito »). On peut les retrouver aisément sur mon blog sur mes diverses critiques à Lucia di Lammermoor. Je n’en donne ici qu’un résumé.

            Hommes et femmes en folie
         Je rappelle simplement que, dans l’opéra, la folie semble d’abord masculine : l’Orlando furioso de l’Arioste, mis en musique par Lully, Hændel, Vivaldi, Haydn, et des dizaines d’autres compositeurs, est aussi le modèle de l’héroïsme déchu. Xerxès, Serse, de Cavalli ou Hændel, et de tant d’autres sur le livret de Métastase, est un général et roi des Perses fou qui chante son amour à un platane dans le célèbre « Largo ». Mais il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et Mesmer, le célèbre magnétiseur, puis Ségur au début du XIXe, pour attirer l’attention sur le somnambulisme féminin, référé à la folie et provoqué par la musique, l’harmonica en l’occurrence.
         La folie féminine est donc un thème à la mode lorsque Walter Scott publie en 1819 son roman, The bride of Lammermoor, qui fait le tour de l’Europe, inspiré d’un fait réel en 1668, histoire écossaise de deux familles ennemies et de deux amoureux, autres Roméo et Juliette du nord, séparés par un injuste mariage qui finit mal puisque Lucy, lors de sa nuit de noces, poignarde le mari qu’on lui a imposé et sombre dans la folie.
Bellini, en 1827 fait chanter la première folle à l’opéra, Imogène, dans Il pirata. Donizetti réplique par son Ana Bolena (1830) qui perd la tête avant que son roi de mari ne la lui fasse trancher. En 1831, donne à la même Pasta La sonnambula, la somnambule, rôle où triomphera aussi la Malibran : Amina, affligée de somnambulisme, le matin de ses noces, est retrouvée dans la chambre non de son fiancé, mais d’un comte. Conte à dormir debout, mais on imagine le diagnostic : folie. En 1834, Donizetti rebondit sur le thème avec  Maria Stuarda, héroïne qui perd aussi la raison avant de donner son cou à la hache d’Élisabeth d’Angleterre. Janvier 1835, à Paris : Bellini encore, qui mourra en septembre de la même année, offre cette fois-ci à Giulia Grisi, qui voulait aussi son opéra et sa folie, I puritani, ‘Les Puritains’. La même année 1835, mais en septembre, trois jours après la mort de Bellini, à Naples, Donizetti donne le modèle indépassable de l’air de la folie avec Lucia de Lammermoor. Arrêtons-là cette folle décennie, bien que d’autres folles lyriques suivront, Azucena, Lady Macbeth, Ophélie….
Les grandes cantatrices, qui remplacent désormais les castrats dans la plus folle virtuosité, requièrent des compositeurs des scènes de folie qui justifient les acrobaties vocales les plus déraisonnables, libérées des airs à coupe traditionnelle mesurée. Bref, sur scène, la femme perd la raison qu’on lui dénie souvent encore à la ville : à la fin du XIX e siècle, des savants, des phrénologues, concluent encore sérieusement que le moindre poids du cerveau de la femme explique son infériorité naturelle à l’homme.
         Peut-être n’est-il pas indifférent de rappeler que, juste avant sa mort, Donizetti fut enfermé dans un asile d’aliénés à Ivry…


Réalisation et interprétation
Le rideau s’ouvre : un vaste rideau couvre tout le champ de la scène, aspect molletonné ou pavé, mur se déployant en lourde muraille grise puis s’allégeant en écran aux transparences délicates : étang, rive ou rivage frémissant de vaguelettes, fleuri de marguerites, éclairée de bougies ou opacifié de roches, sanguinolent ; variant donc et dessinant et définissant des espaces divers. Derrière, sur toute la longueur du cadre de scène, des degrés (décors de Josef Svoboda, réadaptés par Benito Leonori). Les lumières du metteur en scène Henning Brockhaus créeront, à travers ce voile qui met une distance onirique à la scène, quelques images poétiques comme la harpe et la harpiste perchées sur une hauteur, telle une image de rêve.

C’est ce qu’on retiendra pour s’acharner à trouver quelque chose de positif à cette mise en scène, si mise en scène il y a, ridicule. Mais hélas, d’entrée, ces soldats à grands boucliers romains mais en casques de poilus de la Grande guerre, étagés comme plus tard les chœurs en statique rang d’oignons sur les degrés, que les acteurs du drame monteront ou descendront un peu pour dire sans doute leur désarroi (ah ! ils se roulent aussi par terre de désespoir), en plus de se jucher sur le socle à jardin pour mieux clamer et déclamer leur partie. Et n’oublions pas cette table Louis XV de traviole sur les degrés pour dire le déclin de la maison Ravenswood.

Il va de soi, selon la mode qui a déjà un demi-siècle, que personne ne porte d’habit d’époque XVIIe siècle de l’action : celui qui s’en approche le plus, c’est le héros, mais en costume XVIIIe, catogan, jabot et bottes, le reste étant un méli-mélo d’habits XIXe, ces messieurs avec haut de forme et quelques belles dames, dansantes on ne sait pourquoi, là oui, belles, dans des robes raffinées avec des tournures bouillonnées à la Balenciaga du soir (Patricia Tofolutti). Mais le comble, c’est, d’abord en transparence, ensuite dans toute la crudité et cruauté du ridicule, le fiancé de Lucia, visage enfariné, en smoking et chapeau haut de forme blancs, canne à la main avec des gestes de Monsieur Loyal fantôme échappé de quelque cirque, escorté de deux gitons ou gigolos le haut en smoking et le bas, horreur, en calçons et jarretelles à chaussettes : Arturo, le mari imposé à Lucia n’est même pas un riche gommeux, gandin ou godelureau, galurin de guingois,  c’est un gugusse guindé, gogo pitoyable, gue-gue-gue-ga-ga-ga, moins victime de la folle Lucia, qui le tue à raison, que de la folie ou gâtisme du metteur en scène. Mais le ténor Mark Van Arsdale qui le joue, beaux suraigus, n’est pas responsable de cet assassinat.

Heureusement, la direction musicale très dynamique de Francesco Lanzillotta et attentive au chanteur dans la bonne tradition lyrique italienne sauve la mise et la mise en scène par une dramatisation des tempi qui rattrape le burlesque du plateau. La distribution est mieux qu’honorable : en Alisa, suivante de Lucia, en quelques phrases, la mezzo Julie Pasturaud laisse entendre un timbre riche et prometteur. Pierre-Emmanuel Roubet, le troisième ténor de la partition, est Normanno avec aussi peu d’interventions mais, nous semble-t-il, on ne le lui reprochera pas, victime de quelque refroidissement de ce dimanche froid.
C’est le baryton David Bižić, annoncé victime d’un rhume, qui nous surprend par sa santé vocale en Enrico, plein de noirceur vocale et morale, massif, brutal, très crédible scéniquement : la femme, la sœur est bien une marchandise à disposition du mâle héritier de la famille. Dans le rôle du prêtre qui se prête à la machination du frère de Lucia, l’exhortant au mariage qui lui répugne malgré sa promesse à Edgardo, la basse Jean Teitgen, tête de Michel Blanc chenu sur stature imposante, affublé de deux soutanes de pasteur, noir et feu, double fonction mortifère et diabolique, déjà deuil et sang, déploie un timbre sépulcral impressionnant. Par sa silhouette élégante et sa voix au beau métal, franche, solide, qu’il allègera bien dans les redoutables aigus de son air final, le ténor Roberto De Biasio campe un Edgardo crédible visuellement et vocalement ; mais, hélas ! sans aucune direction d’acteur, comme Hernani d’Hugo, il est « une force qui va » mais sans savoir où : il monte et descend ces degrés, se perche aussi sur le socle comme un coq, mais raide comme une girouette clouée, se roule aussi par terre ; il se plante au milieu de la scène, ne sait que faire de ses bras et semble en battre la mesure plutôt que son ennemi car, l’épée brandie, plutôt qu’avec l’arme d’Enrico, il paraît vouloir croiser le fer avec la baguette du chef qu’il ne quitte pas regard.

 Lucia, c’est la soprano colorature turque Serenad UyarSon physique sain, avec de belles rondeurs sont loin du stéréotype de l’héroïne romantique chlorotique, éthérée, déjà prédestinée visuellement à la mélancolie, à la dépression : à la folie. Au contraire, cette santé d’une belle jeune femme amoureuse accuse à mes yeux les auteurs mâles et la gravité de leur complot qui va détruire cette solidité plastique et sans doute mentale, la faisant sombrer dans la folie, que rien en elle ne laisse prévoir d’entrée : la scène d’hallucination de la fontaine n’est pas forcément un signe grave de sa faiblesse psychique. Surtout avec la franchise et la rondeur, peu habituelles dans ce type de voix, au timbre riche qu’elle manifeste, sans faille. Cela ne rend que plus pathétique ce qu’on en fera. Sa technique à toute épreuve la tire sans mal de celle de cette longue et terrible scène finale, folie induite mais parfaitement et raisonnablement conduite :  la tête, plus que la voix, prime dans le chant comme le dit Berganza. Un bonheur musical.
On salue les chœurs (Christophe Bernollin) et, pourquoi pas les danses, même incongrues dans l’action, de Valentina Escobar qui fait joliment se mouvoir les jolies dames en robe de soirée et gants jusqu’au coude.

Opéra de Toulon,
9, 11 et 13 mars 2018
Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti,
Direction musicale : Francesco Lanzillotta
Mise en scène et lumières : Henning Brockhaus
 Chorégraphie : Valentina Escobar
Décors Josef Svoboda.Réadaptation des décors Benito Leonori
Costumes : Patricia Tofolutti
Distribution
Lucia :  Serenad Uyar  ; Alisa Julie Pasturaud ;
Edgardo :  Roberto De Biasio ; Raimondo :  Jean Teitgen ; Enrico :  David Bizic ; Arturo : Mark Van Arsdale ; Normanno : Pierre-Emmanuel Roubet
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Coproduction Teatro Comunale di Modena, Fondazione Teatri di Piacenza, Fondazione “I Teatri” di Reggio Emilia, Teatro Regio di Parma, Fondazione Pergolesi Spontini di Jesi
Photos : Frédéric Stéphan
1. Des poilus aux boucliers romains ;
2. Edgardo et Lucia (De Blasio,  Uyar) ;
3. Méchants et table décadente (Bizic,  Roubet) ;
4. Gogo gugussse, le mari (Van Arsdale ) ;
5. Lucia et son mari assassiné (Uyar, Van Arsdale)

dimanche, mars 18, 2018

PROPHÈTE AVANT MESSIE



Enregistrement 8/3/2018, passage, semaine du 19/3/18
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 307
lundi : 18h45 ; mercredi : 20 h ; samedi : 17h30
Semaine 12
Hérodiade


L’Opéra de Marseille présente les 23, 28 et 30 mars à 20 heures et le dimanche 25 à 14h30,, une nouvelle production, d’Hérodiade de Jules Massenet, absente de notre scène depuis… 1966 ! Cet opéra exige au moins cinq grandes voix pour des rôles écrasants. La distribution propose de très grands chanteurs français ou d’expression française, telle la  soprano  monténégrine francisée Inva MULA pour Salomé, le baryton québecois Jean-François LAPOINTE incarnera Hérode, la mezzo Béatrice URIA-MONZON, sera Hérodiade, le ténor Florian LACONI, Jean et Phanuel sera la basse Nicolas COURJAL, le reste de la distribution n’étant pas en reste de qualité, dont la soprano Bénédicte ROUSSENQ, digne d'un meilleur sort, Jean-Marie DELPAS et Antoine GARCIN, étant de grands habitués de notre scène lyrique
Le livret traite de l’épisode de la Bible, sur Jean le Baptiste, le prophète  précèdantJésus, qu’il a baptisé, et qui mourra décapité, mais tiré de la version du dernier des Trois Contes de Flaubert, Hérodias, adapté par les librettistes Paul Milliet et Henri Grémont. Massenet le traite dans le style du grand opéra à la française, spectacle grandiose en quatre actes, sept tableaux, des décors monumentaux, un grand ballet, des fanfares, des défilés de soldats romains, des prêtres hébreux, des chœurs. Créé en 1881 à Bruxelles, l’opéra passe l’année suivante à la Scala de Milan en italien. Cette version, remaniée, est ensuite traduite en français et remplace la primitive.
Nous sommes dans la Jérusalem décadente, déchirée entre Samaritains et Pharisiens, conquise par les Romains qui laissent régner, en apparence, le tétrarque Hérode Antipas. Cependant, la révolte gronde contre l’occupant, et le prophète Jean le Baptiste, semble incarner les espérances messianiques, mais aussi politiques, du peuple. La mage Phanuel, consultant les astres, prévoit le désastre qui menace cette ville perverse, s’interrogeant sur ce Jean dont il se demande s’il est un homme ou un Dieu. Nous écoutons José Van Dam qui l’interprète sous la direction de Michel Plasson à la tête de l’Orchestre du Capitole de Toulouse :

1) PLAGE 9

Salomé, qui cherche dans la tumultueuse ville sa mère inconnue, qui l'avait jadis abandonnée, raconte à Phanuel la paix qu’elle a trouvé auprès du Prophète Jean, dont elle est tombée amoureuse. Nous écoutons, dans cet enregistrement, Chéryl Studer qui chante la bonté de la parole apaisante de cet homme, « Il est doux, il est bon » :

2) PLAGE 4

En voici une qui est loin de partager cet avis. C’est Hérodiade, qui, autrefois, par ambition, avait quitté sa petite fille et sa famille, son pays, pour suivre Hérode jusqu’au trône. En effet, Jean dénonce partout, de sa puissante voix, les vices de cette femme. Outragée publiquement, Hérodiade clame vengeance auprès de son époux, demandant la tête de l’insolent prophète, qui vient même dénoncer le couple corrompu sous les fenêtres du palais. Nous écoutons la fureur vengeresse d’Hérodiade par Nadine Denize :

3) PLAGE 5

Mais Hérode, superstitieux et politique, n’entend pas tuer un prophète vénéré par ce peuple qui voit en lui le Messie, et dont il a besoin pour secouer le joug des Romains et passer, de tétrarque, gouverneur, à roi. Il a d’autres pensées pour l’heure : il a vu Salomé, parmi des danseuses, il est fou de désir, il la cherche, il la rêve. Thomas Hampson chante ici la « Vision fugitive » qui hante le tétrarque :

4) PLAGE 8 
Double affront pour Hérodiade, par Jean qui l'insulte, et par un époux qui se refuse à la venger. Elle comprend qu’il ne l’aime plus, qu’il porte ses vœux et feux sur une autre femme, dont elle ignore qu’elle est sa fille autrefois abandonnée. Salomé, de son côté, vient se déclarer à Jean, qui la repousse et lui conseille de transfigurer son amour humain en amour mystique. Hérode, lui, déclare sa flamme à Salomé, qui lui révèle qu’elle aime quelqu'un d'autre. Double et terrible déconvenue amoureuse pour le couple maudit, dont l’amour est rejeté : Hérodiade découvre que Salomé est sa rivale et le roi Hérode, que Jean est son rival, avec la circonstance aggravante d’avoir par ailleurs refusé de servir ses dessins politiques contre les Romains. Le sort de Jean, prisonnier, est scellé. Salomé, qu’il aime aussi, veut mourir avec lui. Il refuse. Mais comme le bourreau apporte la tête du Prophète à Hérodiade, Salomé, qui découvre avec horreur qu’elle est sa mère, essaie de la tuer et se suicide. Nous nous quittons avec la voix de Jean chantée par Ben Heppner :
5) PLAGE 13 

Hérodiade de Jules Massenet
NOUVELLE PRODUCTION
COPRODUCTION Opéra de Marseille / Opéra de Saint- Étienne
Direction musicale :  Victorien VANOOSTEN
 Mise en scène : Jean-Louis PICHON
Décors et costumes : Jérôme BOURDIN 

 Lumières :  Michel THEUIL
Chorégraphe :  Laurence FANON Vidéo :  Georges FLORES


Salomé : Inva MULA
Hérodiade : B atrice URIA-MONZON
La Babylonienne : Bénédicte ROUSSENQ

Jean : Florian LACONI
Hérode : Jean-François LAPOINTE

Phanuel : Nicolas COURJAL
Vitellius  : Jean-Marie DELPAS
Le Grand Prêtre : Antoine GARCIN
La Voix du Temple  :Christophe BERRY

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
 Chef de Chœur : Emmanuel TRENQUE


Opéra de Marseille  : 23, 28 et 30 mars à 20 heures et le dimanche 25 à 14h30
Renseignements/Réservations : 04 91 55 11 10
opera.marseille.fr 





  

lundi, mars 12, 2018

PREMIER OPÉRA PAR UNE FEMME : "L'ISOLA DI ALCINA"



Enregistrement 8/3/2018, passage, semaine du 12/3/18

RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 306

lundi : 18h45 ; mercredi : 20 h ; samedi : 17h30

Semaine 11


Mars en Baroque (2)
         La semaine dernière, j’ai souligné les temps forts du Festival Mars en Baroque. Le clou, en sera assurément, entre tant de manifestations diverses, la création du premier opéra écrit par une femme, Francesca Caccini (1587–1641), La liberazione di Ruggero dall ‘isola di Alcina, créé à Florence en 1625.
         Il convient de s’attarder un peu sur Florence, ce haut lieu de la Renaissance, de la culture, lieu aussi de la naissance de la musique baroque, en particulier des spectacles chantés que l’on ne nommera opéra que beaucoup plus tard. Il faut situer cette effervescence artistique mais aussi religieuse dans les ondes puissantes du Concile de Trente (1545-1563) qui avait lancé la contre-offensive contre le protestantisme, la Contre-Réforme catholique. Pour ce qui est de la musique, le Concile dénonce les excès de la polyphonie de la musique religieuse qui, tout à la « délectation de l’ouïe », en oubliait le sens religieux de paroles devenues incompréhensibles à force d’entrecroisement de lignes vocales savantes et d’entrées décalées des voix sur le même texte de la sorte brouillé.
         La musique religieuse, pour des raisons éthiques exige donc un retour à la monodie, au chant sur une seule voix avec des paroles compréhensibles. La musique profane, pour des raisons esthétiques, suivra aussi ce chemin. Et cela est théorisé dans cette prodigieuse Florence autour de la Camerata, le salon du comte Bardi : artistes et érudits, dont Galilée père, tentent de retrouver la tragédie antique dont on savait qu’elle était chantée, mais sans savoir comment. Ils travaillent sur cette parole intelligible d’un nouveau théâtre musical, sur la nécessité de coller aux paroles que l'on doit parfaitement comprendre afin de suivre aisément l'action.
Pour illustrer ce chant théâtralisé, deux compositeurs, Jacopo Peri, Giulio Caccini, successivement mettent en musique "rappresentativa" ('théâtrale'), une Euridice (1600) sur le même texte.  Peri, dans la préface, prônait « une forme intermédiaire » entre la mélodie du « parler ordinaire » et du chant. Ce sera ce fameux « recitar col canto», 'réciter en chantant', ce « favellare in armonia », ce 'parler en musique', souple et serpentine déclamation chantée qui épouse les accents de la parole dont la mélodie ne semble qu'une prolongation, qu'une naturelle accentuation. La basse continue (accords plaqués au clavecin et frottés à la viole, en gros) soutient harmoniquement le chant, librement orné par l’interprète sur des mots-clés, toujours en accord avec les affects, les sentiments exprimés. Ce genre théâtral, dramma per musica : drame en musique, drame mélodieux ou melodramma donnera naissance à l’opéra. C’est l’Orfeo (1607) de Claudio Monteverdi, à Mantoue, qui porte au sommet ce genre naissant.
Voici un exemple de cette déclamation lyrique de Francesca Caccini elle-même, tiré de son recueil paru en 1618: Il primo libro delle musiche a una e due voce. C’est chanté par María Cristina Kiehr, qui incarnera l’héroïne de son opéra, fondatrice de Concerto soave avec Jean-Marc Aymes dans un de leurs disques, Il canto elle dame. C’est la plainte d’un amant, Lasciatemi qui solo, ‘Laissez-moi seul ici’, ‘Lasciatemi morire’, ‘laissez-moi mourir’, conclut-il :

1) DISQUE I, PLAGE 11

Francesca Caccini (1587–1641), donc, était la fille du célèbre chanteur, compositeur et théoricien, Giulio Caccini. Ce père éclairé avait donné à Francesca une éducation extraordinaire pour l’époque et pour une femme, non seulement la musique, le chant, mais le latin et les arts libéraux, incluant la philosophie, la rhétorique, les mathématiques.  Elle participe à Florence aux fêtes musicales composées par son père pour le mariage de Marie de Médicis avec Henri IV, en octobre 1600. En 1605, la famille Caccini, tous  musiciens autour du mari et père,  sont invités à Paris par Henri IV et Marie de Médicis et Francesca Caccini y a beaucoup de succès, chantant aussi des airs en français. Dès vingt ans, musicienne officielle du Grand-duché de Toscane, c'est à elle que l'on commandera ce que nous appelons aujourd’hui opéra, qu’elle nommait balletto, 'ballet', La liberazione di Ruggero dall ‘isola di Alcina, 'La libération de Roger de l'île d'Alcina', ouvre dans la nouvelle esthétique lyrique désormais installée.
Le livret de Ferdinando Saracinelli (1583-1640) est tiré de l’Orlando furioso, ‘Roland furieux’, le fameux poème épique, chevaleresque, de l’Arioste. Immense poème que le poète peaufine et augmente de 1505 à 1532. Aujourd’hui, ce serait un roman feuilletonnesque, une interminable série d’exploits de paladins de Charlemagne contre les musulmans, avec la scène élargie à la terre entière que l’on découvre à la même époque. Ces aventures auront un succès et un avenir extraordinaires, inspirant pendant deux siècles poèmes, théâtre et opéras et même, aujourd’hui, l’heroic fantasy de certains films et bandes dessinées n’en sont pas loin. 
 Cet épisode met en scène Ruggiero, Roger, vaillant chevalier sarrasin, aimé de la guerrière et chrétienne Bradamante. Prisonnier d’un château, il s'en évade sur un cheval volant, l’Hippogriffe, il atterrit dans une île enchantée. Dans cette île de tous les plaisirs, la magicienne Alcina garde une belle collection d’amants qu’elle a métamorphosés en plantes, dans d’autres versions, en animaux. Roger, oubliant Bradamante, succombe à ses charmes, et réciproquement. Mais le voici découvrant la plainte d’une plante, un chevalier prisonnier des sortilèges d’Alcina, par l’ensemble Pro Musica Camerata :


Animal volant, métamorphoses, danses, magie, érotisme : c’est tout le merveilleux baroque à l’œuvre pour des effets qu’aujourd’hui on dirait spéciaux dans une œuvre qui, à l'origine, exigeait même un carrousel de chevaux. Mais, à bien regarder, dans Ruggiero, le vaillant chevalier, je ne vois qu’un homme objet disputé par des amantes farouches, la chrétienne et guerrière Bradamante qui, aidée de la magicienne Mélissa va venir encore le délivrer, l’arracher aux bras voluptueux d’Alcina. Il finira par épouser la guerrière Bradamante qui le convertira à la foi chrétienne après de nombreuses péripéties :

            

 Ce spectacle exceptionnel sera donné à la Criée le samedi 17 mars à 20 heures.
www.marsenbaroque.com
Accueil/vente tous les mercredis du mois de février de 14h à 16h : Salle Musicatreize, 53 rue Grignan 13006 Marseille
Fnac - Carrefour - Géant - Magasins U - Intermarché www.fnac.com - www.carrefour.fr - www.francebillet.com 0892 68 36 22 (0,34€/min)
Et sur les lieux de spectacles une demi-heure avant la représentation, règlement par chèque ou en espèce