vendredi, novembre 03, 2017

LE FEU COUVE AU COUVENT


Benito Pelegrín

VIVE L’OPÉRETTE !

         « Vive le mélodrame où Margot a pleuré ! », s’exclamait Musset.
Vive l’opérette où nous avons ri, dirons-nous, surtout en des temps qui prêtent moins à rire qu’à pleurer.
         L’Opéra de Toulon a ainsi ouvert d’un franc éclat de rire sa saison lyrique avec Mam’zelle Nitouche, vaudeville-opérette, dynamitant les convenances conventuelles et l’Opéra de Marseille/Odéon a sainement ponctué les sombres drames à l’affiche, Le Dernier jour d’un condamné, La Favorite et Tancredi de Quatre jours à Paris ensoleillés, dynamisant les règles conventionnelles de l’opérette par le vaudeville.
I
LE FEU COUVE AU COUVENT

MAM’ZELLE NITOUCHE (1883)
Vaudeville-opérette en trois actes
Musique d’Hervé
 Livret d’Henri Meilhac et Albert Millaud
NOUVELLE PRODUCTION
Opéra de Toulon, dimanche 15 octobre




I. L’œuvre

Très connue hier mais aujourd’hui peu jouée, Mam’zelle Nitouche (1883) d’Hervé, pleine de trouvailles, méritait bien ces retrouvailles

Sainte Nitouche ? Ironiquement, c’est une personne, une jeune femme, une jeune fille, qui joue hypocritement les innocentes, bref, qui cache prudemment, sous le masque de prude, une vie un peu moins pudique. Oh, il n’y a pas de quoi fouetter un chat et, encore moins, une chatte. D’autant que le personnage à double vie est plutôt le héros, en fait, masque réel du compositeur qui l’inspire : Hervé. Un simple prénom qui en cache plusieurs, symboles d’une vie à multiples facettes. En effet, Louis-Auguste-Florimond Ronger dit Hervé, est un compositeur, auteur dramatique, acteur, chanteur, metteur en scène et directeur de troupe français, né en 1825 et mort en 1892.Anticipant Offenbach, il peut à juste titre se proclamer, et réclamer le titre : créateur de l’opérette en France. Pour gagner sa vie, Florimond Ronger est organiste des plus sérieux à Saint-Eustache, institution religieuse des plus sévères, à Paris : il tiendra ce poste pendant plus de huit ans.


Parallèlement, attiré par le théâtre, s’étant découvert une voix de ténor et des dons de comédien comique, devenu compositeur, il s’en allait chaque soir chanter et jouer clandestinement, anonymement, dans les petits théâtres de banlieue. Il lui fallait cacher cette double vie qu’on ne lui aurait pas pardonnée dans la pieuse institution et qu’on aurait tournée en dérision dans le monde de la fête et du théâtre. D’où le pseudonyme d’Hervé. Près de quarante ans plus tard, Meilhac le fameux librettiste de Carmen et d’Offenbach, assisté de Millaud, mettent en scène sa double vie, il en compose la musique, et cela donne Mam’zelle Nitouche, opérette qui triomphe, longtemps très jouée, filmée avec de grands acteurs jusqu’après la Libération, rien moins que Raimu et Fernandel.



Double trouble, triple c : couvent, coulisses, caserne

Mamz’elle Nitouche met donc en scène Célestin, l’organiste de l’austère Couvent des Hirondelles, institution huppée de jeunes filles, qui, le soir venu, se transforme en Floridor, compositeur dont on va donner la première opérette au théâtre. Mais il n’est pas seul à jouer un double jeu de rôles : passant allègrement des deux côtés de la clôture, nous avons un galant Major frère, sinon de la Majorette, de la Supérieure du couvent ; un vicomte courant le guilledoux et la dot, jouant pour fin de compte —courant— les inspecteurs pour inspecter sa tirelire inconnue, des soldats jetant la casaque aux orties pour le tutu, et surtout, au-dessus du troupeau bêlant des virginales pensionnaires et de la mêlée méli-mélo des mâles, l’air de rien mais touchant à tout, battant les mousquetaires au couvent en faisant le mur de celui-ci pour aller au théâtre et du théâtre à la caserne, Denise de Flavigny, notre Sainte Nitouche. Et concentrant et mettant en abime toutes ces doubles faces, la Supérieure et la diva Corinne sont supérieurement et divinement jouées par un homme, Olivier Py pépiant, caquetant, imposant, décrétant, minaudant, vocalisant, diva empanachée, décorsetée et déjupaillée, Carmen, Manon, Dalila, qui s’assume enfin comme tel, enfin presque, ânonnant en innocent Loriot, comique troupier, bêtifiant benêt à l’œdipe mal résolu, cornéliennement déchiré entre papa et maman.


Parmi les jeunes filles en fleur à l’ombre du cloître gris, des roses, un bouton prometteur : la couvée du couvent chérie de la Supérieure a donc éclos d’une pure colombe, Denise. Mais l’on sait —non, on ne sait pas, alors je le rappelle aux connaisseurs ou le révèle aux ignares— les colombes et les roses, autrefois érotiques attributs de Vénus, par le renversement sens dessus dessous de la bigoterie chrétienne, devinrent les catholiques symboles virginaux de Marie, Eva devenue Ave par les vertus de l’eau bénite, et le mois de mai des amours et des roses fut fait, défait, mois des maris marris (mariages interdits) mais celui de la Rosière, la virginale colombe du Prix de Vertu qui gardera sa fleur pour le pieux époux du pieu conjugal. Bref, sous la grise cendre de la couventine estampillée vertu modèle par la Mère Supérieure du couvent couve le feu divin et non dévot de la divette qui brûlera les planches et enflammera le public du théâtre et le théâtre d’opérations d’une troupe guère opérationnelle, d’une bande débandée de soldats en tutu-pan-pan, sans faire pour autant tata mais « taratata, c’est le clairon qui sonne ».




La réalisation

Dès le hall d’entrée, accueil patriotique : personnel à cocarde tricolore et, dans la salle, un vaste fond de scène aux mêmes couleurs, l’épique Liberté guidant le peuple de Delacroix campée héroïquement sur une barricade, flanquée à gauche de l’insurgé à gibus mais arborant un bouquet au lieu d’un fusil, à droite, de Gavroche brandissant aussi des fleurs et non des pistolets, mais la souriante Marianne attisant l’ardeur des hommes sur fond de Tour Eiffel n’a pas le beau sein fièrement nu mais les mamelons pudiquement et hypocritement offusqués d’une étoile : la féminité honteuse en gros plan ? Plan pan, pan-pan cucu bourgeois et triste tartuferie des temps : « Cachez ce sein… » ? Bien peu émancipateur en tout cas, à l’inverse de la banderole qui proclame : « Opéra révolutionnaire », dont rien, dans le texte et la musique, ni la mise en scène, ne viendra corroborer le qualificatif, à part les clinquantes couleurs, chaud au cœur, bleu, blanc, rouge des costumes et décors.

Au pied de cette gaudriole étoilée, attaché au plateau, triste gauloiserie, un vrai coq s’égosille sur scène à un cocorico de vulgaire coucou et l’on se demande, en souffrant pour lui, ce que la pauvre bête vient faire dans cette galère : libérez le poulailler, les poules et le coq !

Ceci dit, il y a tant à dire et à rire dans ce spectacle qu’on serait tenté de tout dire en ne disant mot : en riant. Coups de théâtre, quiproquos, danses, dialogues burlesques, chants, tout s’enchaîne sans solution de continuité et l’on redoute même l’inéluctable fin, tant la faim euphorique est insatiable, aiguisée par cette mise en scène de Pierre-André Weitz, dont l’hilarante évidence épidermique ne doit pas masquer la sérieuse virtuosité profonde qui y préside. Du hall à la scène, jouant lui-même les clowns présentateurs mieux que Monsieur Loyal, puis le Régisseur Piero affolé, il paie partout de sa personne, en belle monnaie sonnante et trébuchante mais jamais claudicante, menant de plein et solide pied les maquillages (et ceux de Py sont dignes d’anthologie), des costumes inventifs et festifs, des nonnains aux apaches parisiens, puritains et coquins (Sainte Nitouche, sous sa bure, l’impure !), auteur de l’habile scénographie de manège à tourner la tête : couvent, gare, coulisses du théâtre, avec des lumières complices de Bertrand Killy, à la fête des yeux et une  chorégraphie dans la même veine et verve joyeuse d’Iris Florentiny. Touche à tout sinon Nitouche, Weitz est un homme-orchestre, et sa troupe est réglée dirait-on métronomiquement comme autant d’instruments parfaits répondant à l’impeccable mécanique du vaudeville bien ajustée à la direction musicale de Jean-Pierre Haeck dans la fosse au diapason du plateau, malgré quelques turbulences.


D’Olivier Py, je ne connaissais que le metteur en scène, mais, successivement Mère Supérieure au port altier d’abbesse de Port-Royal, avec les hublots de ses lunettes, puis Corinne, diva irascible et susceptible et même attendrissant dans les couplets du brigadier Loriot, qui a hésité entre deux carrières grandioses : l’armée de papa et la passementerie de maman, il est tout simplement irrésistible. Malgré cette écrasante présence, tous les autres acteurs chanteurs ne sont heureusement pas écrasés : voix pure, timbre doucement acidulé, Lara Neumann est une Denise Nitouche en demi touche au début avec ses airs de chaste demoiselle convenue, mais airs qui, enfreignant la convention, se décalent, déglinguent en seconde partie, trahissant les aspirations moins chastes de la jolie personne. Malgré barbe et moustache qui lui font prendre un coup de vieux, jeune premier avantageux, Samy Camps campe un séduisant Champlâtreux, vicomte désargenté chantant avec cynisme le mariage de raison. En Floridor à la double vie, avec beaucoup de passages parlés fatigants pour la voix chantée, Damien Bigourdan crée un personnage crédible, attachant. Attaché à ses basques pour le botter, Eddie Chignara est un Major vert-galant en goguette, grognon avec ses hommes, gâteux avec la cocottante cocotte Corinne, vantant l’avantage d’une épouse sourde d’oreille. Clémentine Bourgoin est une angélique Sainte Nitouche à la touche moins farouche quand elle soulève les jupons.

Avec à peine quelques mots ou quelque phrase chantée, soldats, apaches, danseuses de cancan, tous les autres acteurs, chanteurs, danseurs, seraient à citer, faisant exister ce spectacle fou, ces idées folles, fofolles pour notre bonheur : Sandrine Sutter, Ivanka Moizan, Antoine Philippot, David Gilardi, Pierre Lebon.


Ce spectacle truculent, succulent, est appelé à tourner et l’on y applaudit, non parce qu’il est dans les bons rails opportuns des tournées officielles sans risques et souvent sans grandeur, mais parce qu’il le mérite amplement par un remarquable travail à tous niveaux.
On salue  de retrouver à Toulon la belle tenue du programme bien documenté, bien illustré. 


Mam’zelle Nitouche 
Vaudeville-opérette d’Hervé
Opéra de Toulon,
13 et 15 octobre

Production Bru Zane France, coproduction Opéra de Toulon, Angers Nantes Opéra, Opéra de Limoges, Opéra de Rouen Normandie, Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale : Jean-Pierre Haeck.

Mise en scène, scénographie, costumes et maquillage : Pierre-André Weitz.

Lumières : Bertrand Killy.

Chorégraphie : Iris Florentiny.

Distribution :
Denise de Flavigny : Laura Neumann ; La Supérieure / Corinne : Miss Knife (alias Olivier Py) ; La Tourière / Sylvia :  Sandrine Sutter ; Lydie : Clémentine Bourgoin ; Gimblette :  Ivanka Moizan.

Célestin : Damien Bigourdan ; Fernand de Champlatreux : Samy Camps ; Loriot : Olivier Py ; le Major, comte de Château-Gibus : Eddie Chignara ; le Directeur : Antoine Philippot ; Gustave, officier : Pierre Lebon ; Robert, officier : David Ghilardi ; le régisseur Piero : alias Pierre-André Weitz.

Photos : © Frédéric Stéphan :

1. Rideau de scène ; 
2. Weitz ;
3. Invocation à sainte Nitouche (Bourgoin, Neumann) ;
4. Paris canaille ;
5. Directeur et danseuses ;
6. La gare ;
7. Tambour battant à la caserne (Neumann et danseurs).

LE PIRE : PAS DE PHOTO DE PY





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