mercredi, décembre 28, 2016

CONCERT DES 40 ANS DE LYRINX




À LA RECHERCHE DU SON PERDU


LE SON RETROUVÉ
           Célébré dans le monde pour la recherche éperdue d'un son original perdu par la sophistication technique, né à Marseille, le label musical Lyrinx, avec sa pure touche musicale, en est à quarante ans de service en faveur d'une musique non asservie aux excessives retouches sonores des studios d'enregistrement. Regrettant l’appauvrissement harmonique inéluctable de la compression du CD, dont se désolait aussi Elisabeth Schwarzkopf, qui explique le retour contemporain du vinyle, Lyrinx cherchait sa voie et trouvait sa voix musicale dans une nouvelle alors technique d’enregistrement.
            En effet, dès 1998, c’est le nouveau support numérique Super Audio CD (SA-CD), plus fudèle, basé sur la technologie de numérisation DSD (Direct Stream Digital), mis au point et à sa disposition expérimentale par Sony, qu’emploie Lyrinx pour tous ses enregistrements, devenant ainsi l’un des tout premiers labels au monde, le premier éditeur français, à l’utiliser. Ainsi, Lyrinx s’est fait rapidement connaître au Japon et aux États-Unis par des prises de son naturelles, dans des conditions de concert public refusant les artifices du son retouché, trafiqué, la compression réductrice du compact, par un son d’une vérité musicale aujourd’hui reconnue partout et qui est devenu sa marque, sa signature.

     

DE SYRINX À LYRINX
         Ce label s’appela d’abord Syrinx, puis devint Lyrinx. De Syrinx à Lyrinx, il n’y a qu’une lettre. Heureuse, poétique et musicale paronomase, deux mots de sonorité semblable, le premier, Syrinx, nom de la nymphe poursuivie par les assiduités du Dieu Pan, transformée en roseau pour le fuir puis en flûte par lui pour en garder mémoire : mémoire amoureuse d’un son et quel amateur de musique n’a pas souvenir de Syrinx de Debussy ? Le passage du S au L, de Syr à Lyr évoque, convoque tout naturellement l’instrument musical antique, la lyre, faite pour accompagner la poésie, mot qui se décline en lyrique, la voix chantée émise par le larynx. Quelle richesse sémantique connote sinon dénote ce mot ! Quelles harmoniques au sens musical, harmonieuses donc, enfermées dans ce simple nom de Lyrinx, ainsi prédestiné pour un label musical sur l’antique terre provençale et la Phocée grecque où il a vu le jour !
         Nom aussi apparemment prédestiné que son fondateur René Gambini ne l’était pas par son métier initial de peseur-juré. Mais pesons les mots et ne jurons de rien : de ce corps professionnel créé en 1228 pour le port de Marseille et dissous en 2004, peseur-juré le fut également un illustre Marseillais, Jean Ballard, dont une rue, un cours, perpétue le nom mais moins que son œuvre immense de fondateur de la célèbre revue Les Cahiers du Sud revue pionnière à défricher, à déchiffrer la poésie moderne, le surréalisme, la première à publier des poètes étrangers de première grandeur tel Federico García Lorca pour n’en citer qu’un, un catalogue impressionnant de poètes, d’écrivains où se retrouvent  tous ceux qui ont pu compter au panthéon des lettres de 1914 (où elle s’appelait encore Fortunio), alphabétiquement d’Artaud à Simone Weil  et Marguerite Yourcenar, souvent pour leurs premiers textes jusqu’à sa fin en 1966. Est-ce un hasard si le label Syrinx du peseur-juré Gambini se love dans un vénérable bâtiment des arsenaux des galères, tout comme celui des Cahiers d’un Balard disparu ?  Il n’y que l’espace d’une place qui sépare les deux lieux que, sans emphase, on se permettra, de considérer comme deux pôles culturels essentiels de la culture française à Marseille.
         C’est en 1976  que René Gambini, pianiste frustré par la nécessité de travailler pour vivre, mais musicien émérite reconnu, prié, pressé par Roland Petit alors à Marseille, d’enregistrer Verklärte NachtLa Nuit transfigurée’ de Schönberg avec les Solistes de Marseille pour un spectacle à Avignon, s’exécute, l’enregistre en son naturel et le coup d’essai est un coup de maître. Il fonde donc ce label par un premier disque, et le succès, du moins la reconnaissance arrive puisque l’Académie du Disque Français couronne un album Jolivet par un Grand Prix du Disque.
 

CONCERTS DES QUARANTE ANS
         Dans son catalogue, entre autres grands interprètes, on trouve le flûtiste Alain Marion, le violoniste Laurent Korcia, les pianistes Pierre Barbizet, Catherine Collard, Georges Pludermacher, Jean-claude Pennetier, Marie-Josèphe Jude, Katia Skanavi, Muza Rubeckyté, etc.
         Lyrinx, fêtait ses quarante ans avec trois concerts à la Criée, un plateau prestigieux de musiciens autour de la musique romantique le vendredi 9 décembre ; le samedi 10 après-midi, était consacré à la musique française et, pour clore la fête, il revenait à Olivier Bellamy, de Radio classique, élégant, disert et discret, d’ouvrir le samedi soir un vaste panorama de Bach à nos jours. Pour cette fête musicale et amicale, on retrouvait, pour le piano, Michel Béroff, Vittorio Forte, Marie-Josèphe Jude, Caroline Sageman, Katia Skanavi, Daniel Wayenberg, le vétéran de quatre-vingt-sept ans : soixante-dix ans de différence avec la benjamine de dix-sept ans, Sarah Jégou-Sageman, violoniste. Le violoncelle était illustré par Maja Bogdanovic. Pour la mandoline, le flambant et flamand marseillais, Vincent Beer-Demander professeur au Conservatoire, et son orchestre à plectres de pratiquement jeunes musiciens. 
Pour la voix, la mezzo-soprano Yana Boukoff qui signe chez Lyrinx un album ¡Yambó !, de Napoli à La Havane, de Sofia à New York, accompagnée par Daniel Wayenberg, dans lequel elle interprète des mélodies italiennes de Paolo Tosti, trois mélodies de son pays, six chansons de Gershwin et les  cinq fameuses Canciones negras, ‘Chasons nègres’, du catalan Xavier Monsalvatge dont la dernière, sur un poème du grand poète cubain Nicolás Guillén, Canto negro, qui donne son titre au disque.
         On signalera ici simplement les temps forts du dernier concert, du samedi 10 à 20 heures.
 Sous l’archet ailé du violon de Sarah Jégou-Sageman et le miel du violoncelle de Maja Bogdanovic, la Passacaille de Händel, c’était un dialogue amoureux entre la voix féminine et aiguë de l’un et la voix chaude, masculine, de l’autre, agacements gracieux, coquets, des pizzicati de l’une, appels piquants, échos, réponses arrondies de chaleur de l’autre, ferveur, effervescence des variations, courses poursuites et retrouvailles dans un climax, larmes de joie, gémissements de bonheur, frissons, tremblés des trilles, extase s’apaisant dans une lassitude heureuse, la langueur des mouvements lents comme des mots tendre longuement murmurés : l’accord parfait.
La pianiste Caroline Sageman, sa lançait dans le Scherzo N°2 de Chopin, donnant d’entrée le frisson pressé des triolets interrogatifs, suspendus avant de faire ruisseler comme des sentences fatales les réponses des notes avec une limpidité sans brouillage ni brouillard romanticoïde, avec une vigueur vigilante dans les évidences des montées et descentes, pourtant vite hérissées d’arpèges piégés s’apaisant enfin dans une douce cantilène, une fièvre, une ferveur sans mièvrerie ensuite, arrachant Chopin aux miasmes maladifs qu’on lui impose parfois encore : une musique forte, virile, exprimée avec une franchise bouleversante par la grâce d’une femme.
Version, interprétation brésilienne de Bach, les Bachianas de Villalobos étaient représentées ici par la plus célèbre, la N°5, dialogue voluptueux de la voix voilée de mélancolie du violoncelle de Maja Bogdanovic tissée à petits points poignants par le piano de Vittorio Forte, mais la chanteuse Yana Boukoff, mezzo en difficulté pour une tessiture de soprano dans la longue vocalise qu’elle ne reprendra pas non plus en bouche fermée pour le finale, plus heureuse plus tard dans Gershwin.

Que dire de ce géant vénérable du piano Daniel Wayenberg qui, annoncé par erreur par Bellamy dans une pièce de Liszt non programmée par lui, s’installe paisiblement au piano et, sans mettre le présentateur en difficulté, joue tranquillement celle de l’annonce, rien moins que les « Harmonies du soir » des Études transcendantales ? Sens de la construction, mise en valeur des symétries, puissance dans le tumulte jamais désordonné de cloches, impressionnant crescendo d’accords arpégés avant un retour léger, élégiaque, rêveur. On retrouvera cet éclectique jeune homme de quatre-vingt-sept printemps avec le même bonheur dans l’accompagnement jazzistique de Gershwin, dans le Libertango de Piazzola avec Vittorio Forte, dans la Première suite pour deux pianos de Rachmaninov partagée avec Michel Béroff pour notre joie, toujours à l’aise et parfaitement à sa juvénile place avec ses jeunes confrères.
Le plaisir de cette exceptionnelle soirée fut aussi dans les duos entre ces grands interprètes amicaux. Chargée d’organiser les répétitions des trois concerts, Marie-Josèphe Jude, la brune, entrait en miroir et jeu avec Caroline Sageman, la blonde, pour le premier mouvement de la Sonate pour deux pianos de Mozart, avec une complicité souriante contagieuse, espiègles, vives. D’autres surprises, d’autres connivences bien trouvées émaillèrent de concert amical et chaleureux. On l’on n’oublie pas le Concerto pour mandoline de Vivaldi, avec, en soliste et chef de cet Orchestre à plectre pluriel, Vincent Beer Demander, géant débonnaire au milieu de ces frimousses d’enfants, parsemées de quelques adultes, avec émotion penchés sur leur instrument, gravement fiers et tremblants, vibrant comme leurs cordes, de se retrouver dans cette salle immense, pleine, pour cette célébration au milieu de grands artistes reconnus et reconnaissants et bienveillants à cette touchante et nécessaire enfance de l’art.  

Avec : Vincent Beer-Demander, Michel Béroff, Maja Bogdanovic, Yana Boukoff, Vittorio Forte, Sarah Jégou-Sageman, Marie-Josèphe Jude, Caroline Sageman, Daniel Wayenberg.
Chopin, Gershwin, Händel, Liszt, Mozart, Piazzola, Rachmaninov, Villalobos, Vivaldi, etc.







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